YANNICK
de Quentin Dupieux ****
Avec RAPHAËL QUENARD, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne
Alors que la représentation d'une pièce élégamment intitulée Le cocu ronronne tranquillement, un spectateur l'interrompt poliment en invoquant la médiocrité du spectacle.
Les trois comédiens de la pièce s'offusquent de cette intervention, "ça ne se fait pas ce que vous faites monsieur", mais Yannick, l'importun, insiste. Il ne comprend pas qu'un spectacle censé lui remonter le moral l'afflige encore davantage. D'autant, et il le répètera plusieurs fois, qu'il a dû pour se rendre au théâtre, prendre une journée de congé (il est gardien de nuit), faire trois quart d'heure de transport en commun et un quart d'heure de marche (sans compter le retour). Bref, il refuse que ses efforts et sacrifices soient anéantis par une pièce mauvaise et mal interprétée. Quelques échanges de plus en plus agressifs plus tard, Yannick est éjecté de la salle par l'acteur principal. La pièce reprend difficilement, les comédiens se moquent de l'énergumène, le public rit et Yannick revient, armé et cette fois bien décidé à se faire entendre et respecter.
L'idée de départ est comme toujours chez Dupieux plutôt farfelue mais puisqu'il n'y a ici ni pneu psychopathe ni mouche géante à domestiquer, on peut dire que l'argument est plus réaliste. Et ce film est sans doute le plus accessible, le moins absurde du réalisateur même s'il reste déroutant voire même dérangeant par moments car Yannick n'est pas un personnage que l'on fait taire facilement. Et il a des choses à dire. Sur le pédantisme des comédiens et celui également de certains spectateurs, sur le mépris qu'on lui oppose, sans doute selon lui, parce qu'il est d'un milieu social défavorisé qui n'a pas forcément accès à la culture. Dès lors, Yannick décide de réécrire la pièce (laborieusement) et pendant que les comédiens se retrouvent contraints de répéter dans leur coin en tentant de s'organiser pour mettre fin à cette absurdité, le "terroriste" sympathise avec le public. C'est aussi drôle que dérangeant car les propos et les attitudes parfois inquiétantes de Yannick ne permettent pas aux spectateurs de savoir s'ils ont affaire à un hurluberlu inoffensif ou un authentique fou furieux.
Contre toute attente, le film n'est pas hilarant et la profondeur, l'aspect sombre, grave et dépressif de l'entreprise se révèlent peu à peu. Si Pio Marmaï parvient à exister face à Raphaël Quenard c'est parce qu'il est le seul à avoir un personnage à défendre, ce qu'il démontrera dans une scène assez magistrale où, à bout de nerfs il explose avec rage pour crier au public toutes ses frustrations accumulées.
Le film, vous l'avez sans doute compris, est tenu et vampirisé par l'acteur qui monte qui monte. Raphaël Quenard qui ne pouvait qu'intégrer la bande et l'univers très singulier de Quentin Dupieux, déroule une logorrhée savoureuse, délirante qui semble avoir été écrite pour nul autre que lui, voire qu'il improvise au fur et à mesure que le film avance vers un épilogue inattendu. Jusqu'ici la verve, l'éloquence et la faconde de cet acteur incroyable à l'accent inimitable ont toujours parfaitement été mises en évidence dans les films auxquels il a participé. Mais Quentin Dupieux (comme Jean-Baptiste Durand dans Chien de la casse (à voir absolument)) ont trouvé chez ce phénomène, autre chose et bien plus qu'un comique frénétique et désopilant. Raphaël Quenard avec sa tête d'enfant boudeur et en colère, sa frange de plouc ici, fait surgir une émotion réelle, sensation indispensable qui manquait jusque là aux films du réalisateur.
En ce qui me concerne ce film se place sans doute en tête de la filmographie du réalisateur que j'apprécie particulièrement, bien que je garde toujours une tendresse pour Rubber le pneu serial killer... Yannick est moins drôle et plus grave qu'il n'y paraît au premier abord et il est nimbé d'une bande son merveilleuse et envoûtante.
Dans le film : "on entend trois airs de piano (dont celui du générique) dans une nudité et une grâce qui pourraient évoquer une musique de Gospel, en total décalage avec la situation. Ces morceaux sont de Emahoy Guebrou (religieuse orthodoxe éthiopienne principalement connue comme compositrice et pianiste, décédée le 27 mars 2023)". Cinézik