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STEFAN ZWEIG, ADIEU L'EUROPE

de Maria Schrader ***(*)

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Avec Josef Hader, Barbara Sukowa, Aenne Schwarz

En 1936, Stefan Zweig, écrivain juif autrichien est contraint de s'exiler pour échapper au régime nazi. Après avoir vécu à Londres, il est quasiment accueilli en rock star à Buenos Aires avec sa jeune épouse Lotte qui fut sa secrétaire.

Le film retrace les années d'exil de cet homme, européen convaincu, déchiré d'avoir quitté son pays et en même temps totalement amoureux du pays qui l'accueille, pour lui synonyme d'avenir.

Evidemment cette évocation n'a rien de l'hollywoodienne démonstration du récent Genius. tout n'était qu'hystérie et performance dans l'un, on ne trouve ici que profondeur et émotions. Stefan Zweig, adieu l'Europe a tout du film expérimental mais il est une aventure remarquable qui s'imprime durablement dans l'esprit (puisque je l'ai vu il y a plusieurs jours et que j'y pense encore avec émotion). La réalisatrice (et également actrice) choisit d'évoquer les dernières années de Stefan Zweig en quelques événements marquants. Elle s'appuie sur l'interprétation solide et tout en retenue de Joseph Hader qui n'en fait jamais trop mais parvient à exprimer toute la douleur d'un homme exilé, d'un intellectuel à qui l'on demandait de s'exprimer et de prendre position et dont l'attitude en retrait a déçu.

Et l'on comprend à quel point cela doit être difficile parfois pour ceux qui réfléchissent mais enthousiasment les foules de choisir de se taire ou de parler. Et ce thème me semble tout à fait actuel. Autant je trouve aberrant qu'on tende le micro à n'importe quel « pipole » sans cervelle pour qu'il s'exprime sur tout et n'importe quoi, autant quelqu'un de la stature de Stefan Zweig a des choses à dire que l'on était sans doute en droit d'attendre et d'entendre à l'époque. Il tente d'expliquer son attitude par le fait que l'artiste doit rester au-dessus de la mêlée et estime qu'il n'a pas à s'exprimer sur les innommables événements qui ravagent l'Europe. Il décide de ne pas prendre parti. Mais lors d'un passage à New-York, il réalise qu'il peut venir en aide à des compatriotes qui n'ont pas ses « protections » et ses moyens. Dès lors sa culpabilité de s'en sortir le rongera peu à peu.

Tout dans ce film est intelligent, déroutant et invite à la réflexion voire à la lecture. Et la réalisation étonnante de Maria Schrader, loin de tout académisme fait de son personnage un véritable héros auquel on s'attache fort. Pétri de doutes et de culpabilité, Stefan Zweig devient peu à peu l'ombre de lui-même. La nostalgie de son pays lui fait même entrevoir au plus profond d'une nature luxuriante, en pleine jungle brésilienne, les montagnes autrichiennes. On sent et on ressent parfaitement la lutte intérieure de cet homme accablé qui perd espoir mais continue à donner le change en se montrant charmant, conciliant lors de cérémonies en son honneur.

Josef Hader, d'une sobriété impressionnante incarne les tourments d'un homme écartelé, usé par les regrets, rongé par ce qu'il sait se passer en Europe, qui renonce et la réalisatrice accumule les tours de force. L'épilogue, un plan fixe, est magistral d'intelligence ! Poignant, exigeant, passionnant.

Voici sa célèbre et bouleversante lettre d'adieu :

"Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même. Mais à soixante ans passés, il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux."

Commentaires

  • Je l'ai vu il y a quelques jours et j'y pense encore beaucoup. J'ai aimé globalement, surtout la première et la dernière séquence, très fortes. Mon bémol, c'est que si l'on ne connaît pas la vie de Stefan Zweig, on a du sûrement du mal à suivre et à saisir ce qui se passe. J'ai trouvé l'acteur formidable.

  • Ah je ne connaissais pas sa vie et ça ne m'a pas gênée. Il m'a suffi de connaître le contexte... Mais quel film en effet. J'ai aimé les scènes dont tu parles, mais aussi la promenade avec son compatriote où il lui dit voir les collines d'autriche... Et celle de la réception chez le maire, drôle et pleine d'empathie... Tout en fait ! Et l'acteur : incroyable !

  • Je suis contente d'avoir l'avis de quelqu'un qui ne connaissait pas particulièrement sa vie, donc ça marche !! J'ai très envie de le revoir une deuxième fois, pour entrer davantage dans les nuances.

  • Non non j'ai tout bien suivi et ait eu envie d'en savoir plus. Manifestement la réalisatrice s'est parfaitement documentée. Contrairement au film sur Thomas Wolfe... nulle part je n'ai lu que la relation avec son éditeur était aussi fusionnelle.

  • Très tentant, d'autant plus que j'aime beaucoup l'écrivain. On sort du cadre purement cinématographique mais ce film me fait penser à l'excellente BD Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik et Guillaume Sorel, adapté du roman du premier. La fin était tellement poignante et forte émotionnellement que j'en ai pleuré, autant te dire que cela n'arrive pas souvent en BD.

  • Tu me donnes bien envie de découvrir cette BD en tout cas. Stefan Zweig est vraiment une personnalité forte et attachante.

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