Tokyo ! de Michel Gondry, Leos Carax, Joon-ho Bong ***(*)
“Film à sketches” dont les thèmes traités dans la tentaculaire ville japonaise aussi pluvieuse que Seattle sont la solitude, la difficulté de communiquer, le racisme, la peur des autres, des différences, des étrangers… « Tokyo ! » est particulièrement jouissif, délirant, poétique, rare, inventif, passionnant et cohérent. Il nous offre trois films magnifiques et plutôt fantastiques (dans tous les sens du terme) pour le prix d’un. Foncez.
« Interior Design » de Michel Gondry***
Un jeune couple amoureux et plein d’humour cherche à s’installer à Tokyo où le prix des loyers est inversement proportionnel à la taille et la salubrité de l’appartement. Le garçon n’a qu’une passion, le cinéma. Il a d'ailleurs déjà réalisé un improbable film expérimental qui « dépasse les limites de l’écran » ; tandis que la fille plus rêveuse et hésitante ne trouve pas bien sa place. A force de comprendre et s’entendre dire qu’elle est un boulet sans ambition, elle va peu à peu se transformer pour finalement trouver une utilité et un sens à sa vie.
Le cheminement pour en arriver là est beau, lent et intrigant mais la métamorphose inattendue, cloue littéralement sur place et rend le film totalement surréaliste et d’une touchante poésie.
« Merde » de Leos Carax****
Merde, c’est son nom, est une créature hideuse qui vit dans les égouts de Tokyo et sort de temps à autre pour terroriser les tokyoïtes. Il a le corps tordu, une démarche de dément, un œil crevé, des griffes à la place des ongles et une étrange barbe rousse. Pouah ! Un jour il trouve un lot de grenades abandonnées et fait un carnage dans les rues de la ville. Il est capturé par l’armée et mis en prison. Seul un avocat français parle son énigmatique langage et va assurer la traduction lors de son procès.
C’est Denis Lavant qui prête ou plutôt qui offre son physique étrange et sa naïveté à cette créature rebutante. Mais le voir déambuler complètement hagard et halluciné dans les rues des quartiers chics est un pur régal et d’un niveau comique assez élevé. Il ose arracher sa béquille à un handicapé, jeter son mégot dans un landau etc, et on… enfin j’en redemande car comme l’affirmait W.C Field :
« Un homme qui n’aime ni les enfants, ni les animaux ne peut être totalement mauvais ».
Et puis survient l’avocat français et Jean-François Balmer, grandiose, compose un immense numéro à mi-chemin entre Nicholson (version Joker ou Jack Torrance), Nosferatu et Raspoutine. L’épilogue est vraiment marrant et j’aimerais que le cinéma nous propose plus souvent des personnages aussi inocemment méchants !
« Shaking Tokyo » de Joon-Ho Bong****
Ne pouvant plus supporter le contact avec son prochain, avec le soleil, un jeune homme est devenu “hikikomori”, un ermite. Il vit reclus chez lui. Son père assure sa subsistance en lui adressant chaque mois, sans un mot, une somme d’argent. Jusqu’au jour où ça arrive ! Lui qui n'avait plus croisé le regard de personne depuis 10 ans, il tombe amoureux d’une jeune et belle livreuse de pizza qui disparaît. Impressionnée par l’ordre et la perfection qui règnent dans l’appartement du jeune homme elle devient elle aussi « hikikomori ». Pour la retrouver et la sauver il n’a d’autre moyen que de sortir de chez lui.
Coup de foudre et tremblements de terre vont secouer deux êtres que l’angoisse de vivre dans une ville déshumanisée a rendu névrosés. C’est l’épisode le plus romantique mais certainement pas le moins angoissant…
car mieux qu’un certain film récent, ce trytique sur la solitude dans les grandes villes montre bien l’isolement et l’aveuglement qui gagnent notre univers urbain.