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CAVANNA, jusqu'à l'ultime seconde, j'écrirai de Nina et Denis Robert ***

CAVANNA, jusqu'à l'ultime seconde, j'écrirai de Nina et Denis Robert,

Synopsis : Un doc au long cours sur François Cavanna, le créateur de Charlie Hebdo et de Hara Kiri, l’inventeur de la presse satirique, l’auteur des Ritals et d’une soixantaine d’ouvrages, disparu fin janvier 2014. Le film repose sur des entretiens avec Cavanna réalisés peu de temps avant sa mort, des archives oubliées et des témoignages inédits comme ceux de Siné, Willem, Delfeil de Ton et Sylvie Caster. En filigrane l’histoire en passe d’être oubliée du premier homme qui aurait pu dire « Je suis Charlie ».

Une heure en compagnie de François Cavanna : un régal ! Quel beau vieil homme il était devenu sous sa crinière et derrière sa moustache désormais blanches. S'il semblait moins en colère, moins virulent, il demeurait toujours l'homme libre, incroyablement lucide, sensible et profond mais surtout passionné d'écriture. Et drôle aussi.

 

Très affaibli par la "salope infâme", la "Miss Parkinson" comme il l'appelait, celle qui lui a pourri les dernières années de sa vie. La voix est plus sourde, comme voilée alors qu'il a l'impression de gueuler comme avant et l'écriture est devenue minuscule alors qu'elle était ample. Alors forcément c'est émouvant, très. Surtout lorsque Denis Robert lui demande : "as-tu peur de la mort ?" et qu'il répond "ah mais tu m'emmerdes là ! Peur de mourir, non. Mais ne plus être là, sur terre, merde, ça fait chier !"

 

Mais le film commence sur une note drôle où Cavanna fait la distinction entre les cons de naissance et les cons volontaires... Les uns comme les autres, il ne les aime pas et il s'en excuse. On revoit des moments que les moins de ... ne peuvent pas connaître où sur le plateau de Droit de Réponse complètement enfumé on trouve Cavanna donc  essayant de s'exprimer sur la première fin de Charlie Hebdo, mais aussi Desproges, Renaud, Choron, Gainsbourg, Siné etc. Face à Bourdier co-fondateur du FN, ce n'était pas simple. Ah la télé épique de l'époque !!! 

 

 

Retrouver Cavanna c'est  faire un retour sur la création, les moments de gloire (+ de 200 000 lecteurs) et les difficultés de Hara Kiri, journal bête et méchant et Charlie Hebdo et aussi forcément sur les événements invraisemblables du 7 janvier et revoir Charb, Tignous.


C'est également entendre l'ami de longue date Willem dire : "je suis heureux de vivre dans un pays où il y a des églises, des mosquées, des synagogues et qu'on ne me force pas à y entrer."

 

Et comme je ne suis pas très en verve ces temps ci, je préfère vous faire lire un extrait du dernier livre de Cavanna "Lune de miel", un peu mélodramatique mais qui me "parle" particulièrement car je comprends, ô combien !, qu'on puisse être en colère contre une maladie qui vous ronge à petit feu mais aussi contre les discours de la faculté en blouse blanche...

 

 *

 

C'était donc ça, ce léger - si léger ! - tremblement de la main? Cette écriture qui, du jour au lendemain, s'est mise à foutre le camp dans toutes les directions? Cette irréelle sensation de flou dans la démarche, de ralenti dans les gestes?

J'ai demandé au neurologue :
« C'est certain? Je veux dire: absolument?

- Oh, pour ça, absolument. Vous ne présentez pas tous les symptômes, mais ceux que vous avez sont concluants.»

Très content de lui. Brave homme, au fond, il minimisa:
« Vous avez de la chance.
- Ah, ouais?
- Vous auriez pu, du premier coup, présenter des symptômes très marqués. Vous ne vous en tirez pas trop mal, surtout étant donné votre âge.
- Qu'est-ce qu'il a, mon âge?
- Eh bien, généralement, les symptômes apparaissent plus tôt. Si bien que, parvenus à votre âge, les patients sont beaucoup plus, si j'ose dire, «avancés» que vous.
- Vous voulez dire que ça va s'aggraver?»

Il eut un geste de regret, puis cet apaisement:
« Chez vous, ça a l'air de suivre un rythme très lent.
- Mais toujours du côté de tant-pis?»

Il s'excusa au nom de la science:
« On y travaille activement. Mais, jusqu'ici, on n'a trouvé que des palliatifs.
- C'est-à-dire?
- On agit sur les symptômes. On a pu synthétiser la molécule qui fait défaut et on la fournit à l'organisme.
- Mais c'est merveilleux ! Et ça fonctionne?»

Le docteur hésita, me jaugea, décida d'être franc:
« Un certain temps. Ensuite, il faut augmenter les doses.
- Indéfiniment? Jusqu'où?
- Je serai là. Je ne vous abandonnerai pas. Et puis, la science progresse, vous savez.»

*

J'ai bouquiné tout ce que j'ai pu trouver sur la question. J'en ai parlé. Les gens reçoivent ça avec un air d'en avoir deux. C'est pas de la maladie « honteuse » - y a-t-il encore des maladies honteuses? - mais son nom répand, sinon la terreur, du moins la méfiance. Ca se passe dans le cerveau, cette horreur. C'est plus ou moins un truc de cinglés, ou pas bien loin. La proximité sémantique d'alzheimer n'arrange rien. Ceux qu'ont lu des magazines vous disent, sincères:
«Heureusement, c'est pas l'alzheimer. C'est pas drôle non plus, mais au moins on garde sa lucidité jusqu'au bout.»

Dès qu’est prononcé le mot «Parkinson», le mot «Alzheimer» n’est pas loin de montrer le bout de son nez. Et toujours s’épanouit la charitable comparaison qui débouche sur la constatation qu’il vaut mieux souffrir et n’être plus maître de ses mouvements mais garder l’intégrité de sa lucidité — sous-entendu «de son intelligence», mais on est modeste —, plutôt que sombrer dans l’état de légume, béat, peut-être, mais tellement dégradant. Et de plaindre le pauvre légume dans son inconscience grignoteuse et sa descente vertigineuse aux enfers de l’inexistant puisque non pensant.

Derrière tout ça perce la trouille, non pas d'être un jour alzheimer soi-même, mais d'hériter d'un légume, et de sa petite voiture, et du caca qu'il faut nettoyer après avoir forcé le légume à l'ingurgiter par l'autre bout. « Ils ont bien du courage. Moi, je sais pas ce que je ferais à leur place.» Tu ferais comme eux, Ducon, si t'as pas les moyens de payer une aide ou un placement en maison « médicalisée ». Et tu charmerais tes putains de jours en imaginant comment tu t'y prendrais pour empoisonner le vieux - ou la vieille comme dans les polars, mais sans te faire prendre, cela va de soi.

Me voilà donc parkinsonien «pas trop gravement atteint». Bon. Après tout, ça ne se voit pas sur la figure. Du moins tant que les oreilles ne se mettent pas à trembloter.

Ca ne se voit peut-être pas, mais ça fatigue. Je me demandais depuis quelque temps pourquoi, après une bonne nuit, je me réveillais plus las que je ne m'étais couché. Eh bien voilà, je sais: Parkinson. Ce sera la réponse à des tas d'événements mystérieux, presque toujours douloureux ou, du moins, désagréables, qui s'étaient fait leur nid dans un peu tous les replis de mon anatomie. Je traîne cette meute accrochée à la putain de carcasse, crispé sur l’idée qu’il ne faut pas que ça se voie, veillant tout à la fois à ne pas traîner les pieds — impossible d’y fixer son attention pendant plus de quelques secondes —, à ne pas laisser le dos se voûter — mais une vertèbre cassée et mal ressoudée s’y oppose formellement —, à ne pas déporter vers la gauche quand je me figure aller bien droit devant moi, à ne pas bafouiller…

Bafouiller. Un des cadeaux surprises de miss Parkinson. On veut prononcer un certain mot. On n’y arrive pas. Vite, on improvise, on attrape par la queue ce qui nous passe par la tête, un mot qui signifie presque la même chose, pas tout à fait cependant, ça vous donne l’air à côté de vos pompes, les gens se regardent, de vous ils n’attendaient pas ça… Ajoutez, dans mon cas, une voix éteinte, épuisée, alors que je crois parler haut et fort.

Le pire, c'est l'écriture. Vous n'imaginez pas ce que m'a coûté d'efforts ce que vous lisez en ce moment. Ma main ne m'obéit plus. Ce n'est pas tellement qu'elle tremble, ça elle le fait rarement et pas longtemps. Mais elle n'en veut faire qu'à sa guise. J'avais une grande écriture, rapide et très régulière, mon principal souci, quand j'écris, étant d'être compris au premier regard. Si je la laisse faire, ma main, elle tend à griffonner des signes minuscules, lilliputiens, quasi invisibles sur le papier. Ca, c'est les bons jours. Il y a les autres, les plus nombreux, où la rebelle refuse de tracer la moindre lettre identifiable, la salope. Jours de détresse.

[ ... ]

Je dis, comme tout le monde, «un» parkinson. J'ai tort. Ce n'est pas un mec. Un mec ne pourrait pas être aussi méchant. Pas de cette manière, en tout cas. Au vrai, c'est une salope infâme, une sorcière aux yeux d'or, une cannibale qui suce les petits os, une de ces larves qui laissent la peau intacte et rose, et qui dévorent tout l'intérieur. Tout ce que vous voudrez, mais au féminin. Miss Parkinson. Pour la vie.

Traitement ? Y en a pas. Enfin, si, du palliatif. Le cerveau perd ses légumes, on les remplace tant bien que mal par de l'artificiel. Ca retarde l'échéance.

Au fait, c'est quoi, l'échéance? Légume? Cinglé? Paralytique? Pas moyen d'avoir une réponse nette. J'ai vu un académicien, une fois, sur un fauteuil, oublié dans un coin. C'était ça. Ca bavait. Ca tremblotait des badigoinces. Derrière le fauteuil, une jeune fille, un mouchoir à la main. Bon. Regarde-le bien... Oh, et puis, merde, ce putain de chapitre, on va pas se le finir dans la tristesse et l'amertume! Champagne, jeune fille, et que ça saute. Et tous ensemble entonnons:

« Il est des nôtres!
Il a bu son verre comme les autres !»

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