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NOTHINGWOOD

de Sonia Kronlund ***(*)

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Synopsis : À une centaine de kilomètres de Kaboul, Salim Shaheen, l'acteur-réalisateur-producteur le plus populaire et prolifique d’Afghanistan, est venu projeter quelques-uns de ses 110 films et tourner le 111ème au passage.

Ce voyage dans lequel il a entraîné sa bande de comédiens, tous plus excentriques et incontrôlables les uns que les autres, est l'occasion de faire la connaissance de cet amoureux du cinéma, qui fabrique sans relâche des films de série Z dans un pays en guerre depuis plus de trente ans. Nothingwood livre le récit d’une vie passée à accomplir un rêve d’enfant.

La réalisatrice (que je ne connaissais pas, je le regrette mais il n'est pas trop tard) nous explique que depuis 15 ans elle réalise des documentaires en Afghanistan et qu'elle relate tout ce que ce pays traverse d'horreurs depuis 30 ans de guerre. Ce n'est que récemment qu'elle a fait la connaissance de Salim Shaheen, ce réalisateur étonnant, star dans son pays et elle estime que son approche du pays ne serait pas complète si elle n'en parlait.

En ce qui me concerne, je sens qu'il va m'être difficile de parler de cet homme aussi impressionnant, admirable qu'exaspérant. Jouant sur un physique imposant et une voix tonitruante, il impressionne et s'amuse à terroriser son entourage. Salim Shaheen c'est à la fois Ed Wood et Jean-Pierre Mocky. Le cinéma c'est sa passion, il est tombé dedans en étant jeune. Il a été battu par ses frères aînés qui n'acceptaient pas qu'il aille au cinéma si jeune mais n'a jamais cédé à son amour. Il réalise des films en cascade, sans moyen mais avec frénésie. Le titre du documentaire lui revient : «Kaboul, ce n’est ni Hollywood ni Bollywood, c’est Nothingwood parce qu’il n'y a pas d’argent, il n'y a aucune aide, pas de matériel, rien ».

La réalisatrice le suit sur ses tournages improbables où il est tout à la fois réalisateur, producteur, acteur, chanteur. Il hurle sur tout le monde mais tout le monde semble l'aimer.

Chaque fois qu'il se rend dans un village, il fait le show au milieu des autochtones qui le regardent avec admiration. Il se prend en photos avec les uns et les autres et chaque fois prétend que sa mère ou son père est né dans le village en question. Salim Shaheen est un menteur, un manipulateur mais il est drôle, truculent et sans doute généreux.

L'équipe se rend à Bâmyân au centre de l'Afghanistan. La région est tellement dangereuse qu'ils doivent être accompagnés en permanence par un service de sécurité. Pendant ce temps, les attentats continuent, des gens meurent. Les images ne nous sont pas épargnées. Je m'en serais bien passée, mais c'est aussi cela ce pays. La guerre, les Talibans, des Buddhas qui se sont écroulés de honte...

Et pourtant on rit. Presque tout le temps pendant ce film. Shaheen dit que de toute façon, tout est écrit et qu'il inutile d'avoir peur de la mort... pourquoi avoir peur de quelque chose qui doit arriver ?

Puis on se rend chez lui. Au rez-de-chaussée vit sa femme, au premier sa seconde épouse et le deuxième étage lui appartient. Il a... je n'ai pas réussi à compter, mais entre 10 et 14 enfants. Il prétend, car Shaheen est un baratineur, un bluffeur, que ses femmes ne veulent pas être filmées et que ses filles ne sont pas là. Ben voyons. La réalisatrice dit : "nous savons lui comme moi, que ce n'est pas vrai". Car les femmes sont absentes de ce film. Elles sont confinées, recluses ou totalement ensevelies sous la burqa. Elle sont interdites de séjour alors que les hommes se rassemblent, se distraient malgré le bruit des kalashnikov et les amis morts qu'ils déplorent.

Nous verrons pourtant une femme... puis deux. D'abord une toute jeune qui joue dans les films mais doit faire attention aux gestes qu'elle fait : "il ne faut pas avoir l'air d'une danseuse. En Afghanistan, c'est interdit". Son père assiste aux tournages. Elle doit à peine bouger sous peine d'être prise pour une danseuse ! Elle a dû quitter l'école parce que les garçons la harcelaient. Elle veut retourner à l'école. Peut-elle se sortira-t-elle de ce carcan qui enserre la vie des filles. On doute.

Comment parler de l'Afghanistan ? A l'autre bout de notre monde insatisfait, des hommes tentent de vivre, de faire du cinéma, alors que tout autour d'eux n'est que chaos, interdiction, peur et oppression. Ce film m'a fait peur. On y rencontre aussi un taliban qui évidemment ne parle pas à visage découvert et on découvre stupéfait que ces types qui ont interdit le cinéma dans leur pays regardent en douce les films de Shaheen. L'hypocrisie de certaines séquences est absolument révoltante. Et pourtant ce film est drôle et on éclate de rire régulièrement.

Et brusquement surgit un être, une créature, un acteur qui mériterait à lui seul un documentaire. A force de jouer les petits dictateurs prétentieux sur ses tournages Shaheen a fini, non par me lasser (c'est fascinant de voir jusqu'où il peut aller) mais par ne plus m'impressionner. Ses mensonges et sa mauvaise foi sont fatigants.

Mais Qurban Ali Afzali l'acteur fétiche de Shaheen est lui absolument fascinant. Efféminé au-delà de la caricature, il anime une émission de télé où enseveli sous une burqa il défend les droits des femmes. Hallucinant. On le découvre également ATTENTION SPOILER marié (et c'est la seule autre femme du film que nous verrons) et père de plusieurs enfants (au moins 6, si j'ai bien compté). Et il s'amuse : "je suis le seul homme a être maltraité par sa femme". Et lorsqu'il va au marché chercher une robe pour un film, il s'adresse au vendeur "pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu veux m'épouser ?" Et Shaheen lui dira plus tard : "fais attention à qui tu dis tes vannes ". On imagine comment l'homosexualité doit être perçue dans ce pays. Mais là encore l'hypocrisie est de mise puisque Qurban Ali Afzali est une star de la télé et les afghans disent "il peut être efféminé à condition qu'il ne soit pas ouvertement homo". Peut-être ne l'est-il pas d'ailleurs.

Et à force de chercher des renseignements sur lui, je découvre que depuis le Festival de Cannes où il a été invité, cet homme, cet acteur a disparu. Il n'a pas repris l'avion qui devait le ramener en Afghanistan...

Le film est fascinant, drôle, effrayant... mais je trouve que le destin rocambolesque de cet acteur terriblement attachant est à suivre.

 

Voici un des articles que j'ai trouvé à propos de la disparition de Qurban Ali Afzali. Si vous avez de ses nouvelles, je suis preneuse.

"Mai 2017, Sonia Kronlund est sélectionné au festival de Cannes dans la section de la Quinzaine des réalisateurs pour son documentaire sur le plus célèbre des cinéastes afghans. Pour Qurban Ali Afzali, le rêve commence alors  : photographié sous toutes les coutures, il fait même la montée des marches aux côtés de David Lynch. Après le festival de Cannes, l’équipe poursuit la promo en Allemagne puis Afzali est invité dans un festival en Italie. Celui qui devait concilier son métier d’acteur et son job d’électricien dans son pays, se voit, du jour en lendemain, propulsé sous les projecteurs les plus prestigieux d’Europe. Une célébrité éclaire qui l’a convaincu de rester en France (c’était la première fois qu’il sortait de son pays natal) avec seulement 100 euros en poche et un sac en plastique en guise de valise.

Qurban Ali, l'extraordinaire acteur fétiche de l'acteur-réalisateur le plus célèbre d'Afghanistan Salim Shaheen, que l'on a découverts tous deux dans Nothingwood vient de recevoir un prix spécial du public au festival Biografilm de Bologne, où le film a également reçu la mention spéciale du jury. Un prix important qu'il n'aura pas pu recevoir en personne, puisque le comédien afghan s'est purement et simplement volatilisé.

Lundi 12 juin, au moment de repartir, l'acteur s'est évanoui dans la nature. Nous avons contacté la cinéaste, afin de savoir plus précisément ce qui s'était passé. "Au moment d'embarquer pour retourner en Afghanistan, à l'aéroport, alors que la personne chargée de l'équipe s'occupait des cartes d'embarquement, il a littéralement disparu ! nous raconte-t-elle. Shaheen, quant à lui, est bien rentré en Afghanistan, et il est plutôt embêté de la disparition de son comédien. 

Dans Nothingwood, on comprend combien Qurban Ali est un personnage hors du commun. Exubérant, joyeux, il adore se travestir et surtout, fait toujours montre d'un enthousiasme extrêmement communicatif : "C'est quelqu'un de merveilleux, confie la réalisatrice, peut-être un peu naïf, avec une grande densité. Je ne crois pas qu'il soit nécessairement homosexuel, mais il a une vraie complexité, par rapport au genre notamment, et c'est probablement quelqu'un d'assez malheureux dans son pays", où, on le sait, les libertés sont soumises à une lourde chappe de plomb morale. 

Quitter son quotidien pour venir en France, vivre l'expérience du festival de Cannes, se retrouver sous les feux des projecteurs, a pu être très déstabilisant pour le comédien. Pour autant, son geste soudain n'était pas nécessairement calculé. "Je pense qu'il y pensait peut-être, comme ça, mais je ne crois pas du tout que ce soit quelque chose de prémédité, c'était plutôt un coup de tête. C'est un grand acteur, vraiment, qui veut simplement réaliser son rêve." La réalisatrice a pris contact avec Ariane Mnouchkine, metteure en scène et fondatrice de la compagnie du Théâtre du Soleil, familière de ce genre de situations, et on se dit que Qurban Ali aurait parfaitement sa place au sein de la troupe. On ne peut que lui souhaiter de trouver sa place, chez lui, ici, ou ailleurs. On ne peut que lui souhaiter, surtout, de réaliser son rêve". 

Ci-dessous, Salim Shaheen (à gauche) et Qurban Ali Afzali :

Nothingwood : Photo

Commentaires

  • Je l'écoute tous les jours sur France Culture dans les pieds sur terre

  • Oui j'ai vu qu'elle officiait mais je suis encore France Inter moi. ça doit être passionnant.

  • Scandale ! Ce film ne passe pas dans mon ciné ! Tant pis, j'espère que j'aurais d'autres occasions de le voir.

  • J'ai en effet appris sa disparition... Après avoir vu Cannes, ça se comprend qu'il ne veuille pas retourner dans ce pays ..
    Le docu est bien fait je trouve car il présente des personnages fascinants tout en n'occultant pas la réalité du pays.

  • La réalisatrice m'a épatée de les suivre ainsi partout.

    J'ai lu qu'il essaierait de faire venir ses enfants.
    On comprend qu'après Cannes ce soit dur voire impossible de retourner là bas. Quel pays !

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