LA TRILOGIE D'OSLO
de Dag Johan Haugerud
NORVEGE
Une trilogie norvégienne de haute tenue pour évoquer différentes manières d'aimer mais aussi la complexité des rapports humains au travers des sentiments et de la sexualité (sans la moindre scène de sexe, merci Dag). Je vous présente les films dans l'ordre où je les ai vus (l'ordre de la réalisation étant Rêves, Amour, désir). Peut-on voir les films dans le désordre et indépendamment les uns des autres ? On peut. Seul un personnage secondaire apparaît dans les trois films dont une fois où il est simplement nommé.
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AMOUR de Dag Johan Haugerud ****
avec Andrea Braein Hovign, Tayo Cittadella Jacobsen, Marte Engebritsen
A Oslo de nos jours Marianne est urologue/oncologue, Tor, infirmier dans le même service. Ils se retrouvent le soir sur le ferry pour regagner leur domicile. Il est homosexuel et cherche des aventures sans lendemain à bord, tandis que Marianne, célibataire hétéro est hostile à toute forme d'engagement. Ils échangent à propos de leur façon d'envisager le couple. Marianne est indécise face à l'homme que son amie (qui cherche à la caser) lui a présenté car il a deux enfants et une ex femme qui souffrent. Elle refuse de prendre en charge toute cette souffrance. Tor tombe sous le charme de Björn un homme plus âgé que lui qui lui résiste et qu'il retrouve comme patient à l'hôpital.
J'ai d'abord été déroutée par ce film extrêmement bavard dont je ne parvenais à déceler s'il fallait le prendre au premier degré et se laisser convaincre par ces conversations sans fin où des personnages se livrent sans fard ni tabou sur leurs pratiques sexuelles et sentimentales. Et puis bizarrement, je me suis surprise à chercher le ou la "méchant-e" de l'histoire. Toute cette gentillesse ne pouvait être réelle. Et bien ne cherchez pas, il n'y a pas de méchant-e. Progressivement, la douce petite musique de leurs échanges sans artifice m'a envahie et je me suis sentie comme enveloppée par toute cette douceur, par le charme démentiel des personnages qui incarnent chacun à leur façon, cette aptitude que je trouve exceptionnelle, de plus en plus rarissime et que je place très haut dans les caractéristiques humaines : l'empathie. On peut également parler ici de compassion et de bonté. Des termes, des sentiments, des émotions, des façons de se comporter qui pourraient paraître dépassés, gnangnans, naïfs mais qui ne le sont pourtant pas. Ici l'éloge de la gentillesse, de l'écoute, de l'entraide, de la compréhension atteint des sommets de délicatesse sans sombrer jamais dans la niaiserie.
"Avec AMOUR, dit le réalisateur, mon principal objectif était de suggérer que de nouvelles façons de penser et de se comporter sont possibles." S'il pouvait être entendu !
Accessoirement on apprend plein de choses instructives sur le corps, "ce champ de bataille", mais aussi et sans la moindre gêne ou le moindre tabou, sur la prostate, son fonctionnement mais aussi sur les conséquences dues à son ablation...
Ce film, ces personnages, ces acteurs tendres et lumineux vous accompagnent en sortant de la salle. Douceur, délicatesse, intelligence me semblent les qualificatifs les plus justes pour évoquer cette carte du tendre en plein été à Oslo au son d'une partition jazzie qui vous étreint jusqu'à la toute fin du générique. Détail non négligeable et tellement bienvenu, le réalisateur évite avec bonheur toutes les scènes explicitement sexuelles qu'il laisse hors champ. L'intimité la plus éloquente se situe dans un geste simple, d'une grande banalité et pourtant tellement chaleureux, charitable, bénéfique, indispensable : une étreinte.
Le critique Julien Rousset parle ainsi du film : "Une fiction éblouissante, aussi douce qu’intelligente. Inoubliable Tor, garçon solaire qui a choisi de consacrer sa vie à deux tâches : aider et aimer." Je ne peux dire mieux.
Marianne et Tor (Tayo Cittadella Jacobsen pour la première fois à l'écran...) : la bonté, la gentillesse, l'empathie à l'état pur :

DESIR de Dag Johan Haugerud ***
avec Jan Gunnar Roise, Thorbjorn Harr, Siri Forberg
Un ramoneur, heureux père de famille, en couple avec son épouse depuis des années fait des confidences à son patron. Il vient d'avoir une aventure avec un de ses clients. Pour lui cela ne révèle pas une homosexualité enfouie mais simplement une expérience, pas même une infidélité. Il tient à le confier à son épouse qui ne le prend pas si bien qu'il l'avait prévu. Au cours de la même conversation, le patron raconte le rêve récurrent qui le dérange : toutes les nuits, il croise David Bowie qui le prend pour une femme et le désire.
S'ensuivent une introspection de la part de ces personnages perturbés par ces évènements et de longues conversations où chacun tente d'expliquer ces pulsions irrépressibles, inattendues, ensevelies... Comme dans Amour, les textes sont d'une intelligence incroyable et semblent faire le tour de toutes les interrogations. Tout cela, sans un cri, sans élévation de la voix, sans colère, sans hystérie. La femme "trompée" souffre le martyre de cette infidélité. Elle ne comprend pas et ne s'explique pas cette souffrance insensée qu'elle n'a jamais connue. L'homme désiré comme une femme ne sait plus où il en est de son identité. Il est même persuadé que sa voix change, est plus aigue. Evidemment c'est cérébral mais jamais pontifiant. Tous les personnages sont plutôt "ordinaires". Pas le genre de névrosés que l'on trouve chez Woddy Allen par exemple. Tout est traité avec sérieux sans jamais être ennuyeux.
Le réalisateur, qui explore les facettes du désir, fait énormément parler parfois crûment ses personnages et ne montre jamais l'acte dont il est question. Il semble que d'après lui tout peut s'expliquer voire se résoudre en parlant, en discutant mais aussi en écoutant et faisant preuve d'une (relative) ouverture d'esprit.
C'est très beau, très doux, rassurant, apaisant. Les acteurs comme dans Amour sont épatants.
Le réalisateur s'exprime : "J’ai choisi de dresser le portrait de deux hommes apparemment hétérosexuels, unis par des liens privilégiés d’amitié et de confiance qui leur permettent de discuter librement de leurs expériences intimes et de chercher du soutien dans le point de vue de l’autre. Les amitiés masculines de ce type ne sont peut-être pas aussi courantes qu’on pourrait le souhaiter, mais je crois qu’elles sont tout à fait possibles."
RÊVES de Dag Johan Haugerud ***(*)
avec Ella Overbye, Ane Dahl Torp, Selome Emnetu
Dès la rentrée des classes, Johanne tombe au premier regard follement amoureuse de sa professeure de français et de norvégien. Il faut dire que Johanna est magnifique, chaleureuse, porte de superbes pulls en laine et Johanne particulièrement brillante dans les matières enseignées attire l'attention de l'enseignante... Ce premier amour déroutant plonge la jeune fille dans tous les affres de la passion amoureuse : l'attente, l'espoir, le désir, la peur d'avouer ses sentiments mais aussi la crainte que l'autre n'aime pas ou aime moins. Le coeur battant Johanne détaille toute cette période de sa vie dans un carnet, révèle son amour défendu à sa grand-mère qui trahit la confiance de sa petite fille en le révélant à son tour à sa mère. Aux premières réactions de la mère et de la grand mère (que j'ai trouvées très étranges voire agaçantes (aurais-je l'esprit trop wild open ?)) succèdent d'autres qui attestent du potentiel littéraire du texte de Johanne.
Autour de ce récit d'apprentissage d'une adolescente éblouie et troublée par un sentiment inconnu gravitent deux générations, la mère et la grand-mère qui au récit de cet amour se mettent à se questionner sur leurs propres relations aux sentiments, leurs désirs et leurs espoirs. Comme les deux autres films, c'est très bavard (on comprend vers la fin la signification de la voix off...), très intellectuels (il y a des livres partout) car chaque mot, chaque émotion semblent être analysés mais les dialogues sont brillants et jamais plombants. La jeune fille animée de romantisme et de romanesque refuse d'être catégorisée dans la case gay sous prétexte qu'elle tombe amoureuse d'une femme. C'est en partie ce qui est beau ici. Il ne s'agit pas d'être hétéro, homo, genré mais d'aimer avec tout ce que cela comporte de rêves, de bonheurs et de douleurs.
Contrairement aux deux autres films où tous les personnages brillaient par leur douceur, leur bienveillance, leur intelligence et leur gentillesse, j'ai trouvé que ces femmes (la mère, la grand-mère et la prof) n'étaient pas toujours à leur avantage. Leurs réactions épidermiques voire égoïstes sont parfois surprenantes. Quant à Johanne, cette première expérience ne fera pas que lui révéler l'infinie cruauté des sentiments mais aussi un talent artistique.
Il est remarquable de constater que les hommes (où sont les pères et les maris ?) sont curieusement absents de cette histoire. Quant à la ballade dans Oslo, elle est encore plus marquante que dans les deux autres épisodes... l'architecture et la lumière semblent particulièrement importer au réalisateur. A noter des plans d'escaliers absolument sublimes.
Les trois films très stimulants se distinguent également par une interprétation remarquable et dont le mantra pourrait être : "se prendre dans les bras".
Commentaires
Trois films d'un coup à ajouter à ma liste ? Bon, ça attendra...