AMÉLIE ET LA MÉTAPHYSIQUE DES TUBES
de Mailys Vallade, Liane-Cho Han ****
Voix de Loïse Charpentier, Victoria Grosbois, Isaac Schoumsky
Avant même de naître Amélie était Dieu. Cet état divin se confirme à la naissance. Elle n'est rien et parfaitement satisfaite de cette position et de sa toute puissance.
Le rien, le vide la comblent. Ses parents s'inquiètent que ce bébé aux grands yeux fixes, ne pleure jamais pas plus qu'il ne bouge. D'autant qu'ils ont déjà un garçon, André et une fille Juliette en bon état de fonctionnement et parfaitement, voire plus que remuants. Malgré la sentence des médecins : votre bébé est un légume, les parents sont heureux qu'il soit calme et inoffensif et grandisse en silence. Amélie du fond de son silence observe et commente ce qui l'entoure jusqu'à ce qu'elle découvre catastrophée que de la bouche de son entourage sort des mots, des phrases intelligibles alors qu'elle n'émet que quelques sons. Cette découverte la plonge dans une rage démentielle. Comment l'être supérieur qu'elle est peut-il ne pas maîtriser le langage ? Dès lors Amélie se transforme en monstre et ne fait plus que hurler. Le jour, la nuit, mettant son entourage KO d'épuisement. Jusqu'à ce que débarque de Belgique (la famille d'Amélie vit à Kobe au Japon) l'élégante grand-mère paternelle chargée de l'arme fatale :
du chocolat blanc de Belgique !
Après avoir essayé de chasser, mordre, décourager l'aïeule, Amélie attrape avec les dents le bâton blanc et c'est la révélation : ...ça fond sur la langue, ça tapisse le palais, elle en a plein la bouche et le miracle a lieu... C'est ainsi qu'à l'âge de deux ans et demi, naquit Amélie "en février 1970, dans les montagnes du Kansai, au village de Shukugawa, sous les yeux de ma grand-mère paternelle, par la grâce du chocolat blanc." C'est par le plaisir et la volupté que ce bébé devient un être humain et pense dès lors que la vie ne sera plus qu'une succession de plaisirs béats. La vie, les décisions des adultes, les alea, les deuils et les séparations se chargeront évidemment de remettre les pendules à l'heure. En attendant Amélie devient "le genre d'enfant dont rêvent les parents : à la fois sage et éveillée, silencieuse et présente, drôle et réfléchie, enthousiaste et métaphysique, obéissante et autonome".
Lectrice assidue voire adorative depuis trente trois ans d'Amélie Nothomb qui ont abouti à quelques rencontres marquantes voire bouleversantes, à des dédicaces de plus en plus personnelles et même un échange de correspondances... je redoutais un peu cette adaptation d'un des romans autobiographiques de mon autrice adorée, Métaphysique des tubes, un parmi mes préférés. Je suis enchantée que cette adaptation douce et colorée soit à la hauteur de l'écriture drôle et profonde. C'est comme si cette adorable petite poupée à la jolie robe verte et aux grands yeux verts qui s'animent peu à peu nous faisait la lecture, et c'est absolument délicieux.
J'ai re-dévoré le roman. L'adaptation est parfaite. Pourtant elle écarte tout le pan sombre et hautement suicidaire de la petite et cette fin qui fait monter le niveau lacrymal lorsqu'elle découvre une cicatrice à la tempe gauche qui l'assure néanmoins qu'elle n'a pas rêvé ce paradis originel. Les horreurs de la guerre sont par contre évoquées en la personne de la belle, hautaine et peu charitable Kashima-san qui en veut au monde entier occidental et trouve une rédemption dans le film qu'elle n'atteint pas dans le livre. Nishio-san, la douce et tendre gouvernante d'Amélie, son rayon de soleil, tente pourtant en pure perte de lui expliquer que la guerre est finie, que les évènements traumatiques qui ont anéanti le Japon datent de trente ans.
C'est en partie l'amour et les soins attentifs de Nishio-san et le Japon qui rendent cette prime enfance idéale au-delà de l'imaginable. Et Amélie, emplie de certitudes a une conviction inébranlable : elle est japonaise. "Être japonaise consistait à s'empiffrer des fleurs exagérément odorantes du jardin mouillé de pluie, à s'asseoir au bord de l'étang de pierre, à regarder, au loin, les montagnes grandes comme l'intérieur de sa poitrine, à prolonger en son coeur le chant mystique du vendeur de patates douces qui traversait le quartier à la tombée du soir. A deux ans et demi, être japonaise signifiait être l'élue de Nishio-san".
Je ne vous révèle pas tout de ce que l'on découvre des trois premières années de vie d'Amélie, son aversion rédhibitoire de la carpe (diem...) animal obscène à la bouche vorace en forme de bouée (de pneu ?), symbole au Japon du mois de mai qui célèbre les garçons (alors qu'aucune journée ne glorifie les filles) que ses parents, tendres et gentils mais toujours un peu à côté de la plaque, considèrent comme une fascination et sans doute à l'origine aussi de son féminisme. Voir ce petit bout de gamine s'ébattre dans la nature, fusionner avec l'eau son élément de prédilection (Ame, les trois premières lettres du prénom Amélie signifie pluie en japonais) y plonger au mépris de tous les dangers, câliner sa nounou, se délecter de ses récits horrifiques, s'extasier devant le pouvoir surnaturel de l'aspirateur, entendre ses petits pieds tapoter le sol lorsqu'elle découvre le plaisir de la marche puis de la course... tout ce qu'elle entreprend et explore est synonyme de bienfaits, de réjouissance voire de consolation.
Je ne peux que vous encourager à lire ce livre qui se dévore en deux heures où le désarroi succède aux sourires et au bonheur des premières fois, mais également je vous invite à vous précipiter voir ce beau film vif et pastel où un bocal transparent, en apparence vide, contient en cadeau que l'on offre à une personne fondamentale toute la magie de l'enfance et du paradis perdu.
"Ensuite, il ne s'est plus rien passé".
Prix du public au dernier Festival d'animation d'Annecy.
Commentaires
C'est un petit bijou, visible par les jeunes et les moins jeunes, certains aspects macabres du roman ayant été atténués.
L'animation est inventive, les dialogues parfois piquants, le tout étant plus profond que ce qu'il y paraît.