L'ACCIDENT DE PIANO
de Quentin Dupieux ***(*)
Avec Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain. Karim Leklou, Gabin Visona, Clara Choï
FRANCE
C'est en regardant un programme débile à la télé avec son père que Magali encore adolescente se met à poster des vidéos sur les réseaux sociaux.
Le principe est simple : Magali teste et filme des chutes, des coups (s'enfoncer un pic à glace dans la main, mettre le feu à son lit, se prendre un coup de batte de base-ball etc.) qu'elle s'inflige à elle-même. Rapidement elle devient ce que l'on appelle une créatrice de contenus et les followers affluent par milliers pour visionner et liker ces vidéos toutes plus idiotes et violentes les unes que les autres. Elle devient une véritable star du web pour une foule idolâtre qui ne lui laisse plus un instant de répit mais la rend très très riche.
Ce qui caractérise également Magali, Magaloche pour ses fans, outre d'avoir gardé son appareil dentaire pour qu'on la distingue bien, de ne manger (salement) exclusivement que des yaourts, c'est son absence totale de morale et d'empathie. Elle est également habillée comme un sac et coiffée comme un d'sous d'bras (un d'sous d'bras de 1984 (car aujourd'hui les poils sont interdits par la loi) année de Marche à l'ombre de et avec Michel Blanc). En résumé, la jeune femme a l'esprit mauvais d'une gamine de dix ans peu évoluée et elle n'a pas inventé l'ampoule.
A la suite d'un accident survenu sur le tournage d'une de ses vidéos débiles, Magali se retrouve avec le bras dans le plâtre et va se reposer à la montagne avec son assistant Patrick, un gars qui la méprise et exclusivement intéressé par les sommes folles que sa patronne lui verse pour lui servir de bonne à tout faire. Lors de ce séjour, un fan à mobylette la harcèle pour obtenir une photo et une journaliste lui fait un odieux chantage pour décrocher une interview exclusive.
Le reste ? Je vous le laisse découvrir.
Dans cette cuvée Dupieux 2025, le prolifique réalisateur se livre à une charge en règle contre un aspect de notre époque où des youtubeuses décérébrées deviennent des stars sans avoir le moindre talent et pire sans doute, des influenceuses. Il aborde également le côté le plus sombre de la célébrité où le public finit par estimer que la personne lui appartient. Lorsque son assistant demande à ce qu'on la laisse se reposer, un chasseur de selfies crie : " t'as qu'à pas être célèbre si tu veux pas qu'on t'embête". On se demande alors qui est le plus con. Celle qui poste des contenus stupides ou ceux qui cliquent pour les regarder et en redemandent ?
Vous l'avez compris cette créatrice de contenus est gratinée tant elle atteint des abimes de bêtise. Ses fans s'accrochent aux grilles de l'endroit où elle vit et face à ses mutilations répétées, assurent sur des pancartes : "tu fais du bien là où ça fait mal". Contrairement à Yannick dont le personnage très importun finissait par devenir sympathique, Magali n'a, on peut le dire rien pour elle. Pas même ce rire forcé plus triste et ricaneur que franchement joyeux.
Comme toujours le réalisateur aux petits moyens mais aux grandes idées soigne le cadre, l'ambiance, les intérieurs, les plans élaborés (mine de rien), la musique (très belle et composée par ses soins) et la direction d'acteurs. Certaines scènes s'étirent jusqu'au malaise et notamment celle de la rencontre entre Magali et la journaliste ou celle de la mise en place d'un énième tournage idiot qui met en scène un piano. La tension monte, on pressent le massacre, on découvre par étapes la justification du titre. On est pas déçu.
Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain, Karim Leklou, trois personnages assez tordus entourent Adèle Exarchopoulos avec talent et gourmandise. Mais cette dernière pousse ici une interprétation de débile qui confine au génie. Ce n'est pas uniquement d'avoir réussi à rendre moche cette très belle jeune femme qui surprend mais son comique maîtrisé dans une forme d'imbécillité sans fond que sans doute peu d'actrices pourraient atteindre.
C'est triste, c'est noir, c'est drôle. C'est Dupieux.