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AU RYTHME DE VERA

de Ido Fluck ****

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Avec Mala Emde, John Magaro, Alexander Scheer, Ulrich Tükur, Jordis Triebel, Suzanne Wolff

ALLEMAGNE

L'histoire (vraie) débute en 1973 en Allemagne (de l'Ouest) où Vera jeune fille de 15 ans est subjuguée par le jazz.

En opposition permanente avec ses parents, des petits bourgeois dont le père dentiste ambitionne pour elle (sans se préoccuper de la volonté de sa fille) qu'elle reprenne le cabinet familial, elle sort le soir dans des clubs où elle croise régulièrement des musiciens. L'un d'entre eux lui demande d'organiser sa prochaine tournée. Contre toute attente, la toute jeune fille obtient des "dates" pour l'artiste. Cette "réussite" lui donne des ailes et un peu d'argent qui lui permet de louer un appartement à l'insu de sa famille. Deux ans plus tard, elle assiste, éblouie à une prestation de Keith Jarrett qui fut le pianiste pendant quelques années de Miles Davis. Cette fois elle rêve que le pianiste se produise à l'Opéra de Cologne. Elle va tout mettre en oeuvre pour réaliser ce rêve, sans se douter que l'artiste n'est pas facile à apprivoiser. Nous savons tous, et ce n'est pas spoilé que de dire que le concert a bien eu lieu le 24 janvier 1975 à 23 h 30. Cela tient de l'exploit compte tenu de la somme exigée par l'Opéra, de l'heure tardive du concert, du style de jazz du musicien qui improvise exclusivement et surtout de l'artiste qui après refus exige de jouer sur un Bösendorfer Grand impérial (l'un des meilleurs pianos de concert du monde)...

Je ne sais si le film dont le titre original est Köln 75 s'adresse aux néophytes qui ne connaissent pas ce concert qui a été enregistré ce soir là ou seulement aux presque 4 millions de fidèles qui ont acquis le précieux vinyle (que j'écoute en écrivant) alors que Jarrett lui-même renie complètement ce moment et cet enregistrement puisqu'il a été contraint de jouer devant une salle pleine sur un piano d'études en mauvais état. C'est pourtant une apothéose musicale pleine de lyrisme et de simplicité, plus d'une heure de musique pure qui laisse approcher le mystère de l'improvisation sans l'expliquer. Certains passages dont il est impossible de se lasser malgré les réécoutes donnent une idée de l'élévation spirituelle, de la création à l'état pur. Les nombreux ostinati (répétition obstinée d'une formule rythmique, mélodique ou harmonique) de l'oeuvre plonge l'auditeur dans une profonde et apaisante méditation.

Mais, comme nous l'explique un journaliste dont le personnage est inventé pour le film, il ne s'agit pas ici de détailler une oeuvre mais de découvrir comment il a été possible à quelques privilégiés d'assister à ce concert où un artiste, un instrument et le public sont entrés en communion. Alors que ce personnage nous explique l'évolution du jazz à travers le temps (passionnant), il compare la mise en place du projet de Vera avec la création du plafond de la Chapelle Sixtine. Il ne s'agit pas de savoir comment Michel Ange a peint la voûte mais de s'intéresser à l'échafaudage qui a permis de réaliser l'oeuvre.

L'échafaudage ici c'est Vera Brandes, totalement oubliée de l'histoire. Le film met en lumière le travail et l'obstination dingue de cette "invisible" capitale qui a offert à un public curieux qui n'y était pas habitué la possibilité de découvrir le jazz. C'est l'album de jazz mythique qui à ce jour s'est le plus vendu au monde.

Si une fois de plus, j'ai trouvé le titre à côté de la plaque, il faut reconnaître que l'énergie de Vera est difficile à suivre et qu'elle impose au film un rythme haletant. Il faut la suivre cette ravissante petite bonne femme (qui m'a évoqué Isabelle Huppert jeune) que rien n'arrête, même pas la fureur violente de son père et encore moins les embûches. Elle surmonte tout. Elle fonce, elle court par tous les temps perchée sur ses bottes, si une porte lui résiste, elle entre par la fenêtre mais, malgré son jeune âge, elle trouve aussi les mots pour convaincre. Mala Emde, l'étonnante actrice a dû se prendre de passion pour ce personnage qu'elle interprète avec une rage, une fougue et une joie de vivre communicatives. Comment une gamine de 17 ans, insolente, gonflée, a t-elle pu venir à bout de toutes les résistances de cet univers une fois de plus essentiellement dominé par les hommes ? Il suffit parfois que quelques hommes fassent confiance.

Au bout d'une heure le rythme s'apaise voire se met à stagner. On fait la connaissance de Keith Jarrett interprété avec humilité par John Magaro (décidément cet acteur très talentueux est surprenant... First cow, September 5, LaRoy) et c'est tout aussi passionnant. On découvre un homme jeune de 29 ans à l'époque, mais comme usé par une hernie discale qui lui vrille le dos de douleurs, sans le sou et obligé de faire sa tournée avec son manager et ami dans une Renault 4 L. L'abîme entre l'énergie de la première partie et le calme de la deuxième nous offre la possibilité de faire tranquillement connaissance avec cet artiste de génie sans que pour autant le charme et le rythme du film soient rompus. En vérité, on attendait de rencontrer enfin l'artiste tout comme on attend que Vera et lui se rencontrent et sans doute un peu plus encore...

Quand un film est à ce point dynamique, enthousiaste, didactique sans être plombant, quand il donne envie de découvrir un artiste, un évènement de légende sans en faire un biopic hagiographique, on salue bien bas et en rentrant chez soi, on met une galette sur la platine.

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