DIS-MOI POURQUOI CES CHOSES SONT SI BELLES ?
de Lyne Charlebois ****
QUEBEC
Avec Alexandre Goyette, Mylène Mackay
HISTOIRE VRAIE
Après avoir entamé des études de lettres et de philosophie, Marcelle découvre que ce sont finalement la nature et la botanique qui la passionnent.
, elle s’inscrit à l’institut botanique où elle fait la connaissance du fondateur du Jardin botanique de Montréal le Frère Marie-Victorin. Elle devient son élève et très rapidement sa collaboratrice. Leur amour commun de la religion, de la nature et de la science ne cesse de les rapprocher. Leur relation évolue en connivence, intimité, amitié jusqu'à un amour foudroyant, partagé mais platonique. L'expression de cette inclination s'épanouira encore davantage dans un échange épistolaire passionné de plusieurs années dont la valeur scientifique et littéraire est aujourd'hui reconnue et saluée. L'une des caractéristiques de cette correspondance enflammée et érudite est évidemment qu'elle explore aussi dans toute sa crudité et son honnêteté la nature des rapports et désirs qui animent et rapprochent un homme et une femme. Sans jamais la consommer la jeune femme et le prêtre scientifique échangent en toute simplicité sans fard ni pudeur sur la sexualité. Ils parlent donc de "la chose" sans jamais la faire avec un naturel absolument déconcertant.
Il est évident qu'une telle relation dérange. Qu'aurait-ce été si la nature profonde de leurs échanges écrits avait été connue ? Une jeune femme, qui plus est élève d'un homme de plus de vingt ans son aîné, qui est à la fois son professeur et surtout un prêtre ne peut lui être si proche.
La première chose que j'ai remarquée, appréciée et admirée est l'absence totale de culpabilité chez ce couple atypique conscient que leur attachement dérange. Ils se fichent éperdument du jugement et du regard des autres. Ils savent que leur sentiment respecte la "condition" de chasteté de la religion qu'ils placent au-dessus de tout. Même si le prêtre évoque le fait que le célibat des religieux est sans doute à l'origine de bien des problèmes. Leur relation est pure, chaste selon les critères qu'ils respectent mais elle est néanmoins secouée par un désir réciproque ardent. Alors, pour comprendre ce qu'ils ne connaissent pas, le désir, le plaisir, ils enquêtent. Marie-Victorin se rend auprès de prostituées à Cuba et observe... Marcelle interroge des femmes de sa connaissance et est stupéfaite des révélations de ses homologues féminines. C'est à la fois drôle, clair, explicite et terriblement suggestif.
(J'encourage les hommes à voir ce film qui pourrait les éclairer sur quelques mystères de l'anatomie, du plaisir et du désir féminins, fin de la parenthèse).
Le film ouvre lui aussi des parenthèses puisqu'il s'articule autour du tournage d'un film dans le film. Une cinéaste réalise un biopic de cette histoire avec deux acteurs qui eux aussi partagent des sentiments interdits et ont vécu une histoire que l'un des deux protagonistes n'assume pas, rendant l'autre profondément malheureux. Les transitions, les parallèles, les passerelles entre les deux histoires m'ont paru originales et vraies ; absolument pas artificielles comme j'ai eu l'occasion de le lire.
L'impudeur quasi clinique, la "biologie sans voile" explorée par ces deux amoureux atypiques qui unissent leurs âmes mais jamais leurs corps est particulièrement originale et sublimée par deux interprètes qui ont tellement intégré l'intensité de leurs personnages qu'ils nous font vibrer, comprendre et ressentir la nature profonde, vertigineuse de leur sentiment.
Extrait d'une missive (chaste) de Frère Marie-Victorin à Marcelle Gauvreau (11 février 1940) :
"Après sept ans, les époux sont généralement fatigués l’un de l’autre, ils sont charnellement rassasiés. Vous et moi, nous sommes comme au premier jour. C’est ma fierté d’avoir distingué quelqu’une [sic] qui a ma confiance totale et qui n’en a jamais abusé. Je suis fier de ce que, m’aimant infiniment — j’ai la faiblesse de le penser —, vous me respectiez encore infiniment, et vice versa."
Tout cela est filmé en douceur, en retenue, en silences et en regards entre de longues conversations. Pas d'hystérie, quelques effleurements involontaires, un autre plus intentionnel inabouti (lorsque l'acteur du film dans le film approche sa main et finalement ne touche pas l'épaule de celle qu'il ne cesse de repousser tout en la désirant (oui c'est compliqué les rapports humains)...) et surtout des regards qui semblent consumer les protagonistes, mais sans douleur, sans cris, sans regrets. Tranquillement.
Je n'oublie pas l'aspect botaniste de l'oeuvre. Chaque arbre, chaque plante, chaque fleur, chaque herbe qui s'affiche à l'écran est une ode à la nature, une invitation à admirer, contempler, la remercier de ce qu'elle nous offre. Peut-être aurez-vous, comme moi, la curiosité d'aller visiter Le jardin botanique de Montréal, l'un des plus importants au monde.
Le titre du film fait référence à la devise du frère Marie-Victorin : «Je voudrais savoir pourquoi toutes ces choses sont belles». Si l'on n'a pas la réponse, il suffit, à l'instar de Marcelle et Marie-Victorin de se dire que "tout est amour, tout est beauté".
Le croire le temps d'un film ne peut pas faire de mal.