NOUVELLE VAGUE
de Richard Linklater ****
avec Guillaume Marbek, Zoe Deutsch, Aubry Dullin, Adrien Rouyard, Antoine Besson
Synopsis : Ceci est l’histoire de Godard tournant À bout de souffle, racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant À bout de souffle.
Impossible de mieux résumer ce film qui est en effet le tournage du tournage d'un film. Et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit du 1er film que Jean-Luc Godard réalise alors qu'il n'a pas encore 30 ans. Envieux (et admiratif) de ses collègues et amis Truffaut, Rohmer, Chabrol qui ont déjà réalisé leur premier film, il entend bien, lui qui n'en est encore qu'à un court métrage, passer au long. Le succès de François Truffaut au Festival de Cannes 1959 qui reçoit le Prix de la mise en scène pour ses Quatre cents coups lui donne le dernier coup de pouce. Il entend bien surfer sur la vague et la transformer en tsunami. Son projet est basé sur une idée de François Truffaut qui s'est inspiré d'un fait divers.
Difficile de comprendre ce qui a pu mettre dans une telle rogne Jacques Morice (lire sa critique dans Télérama, c'est vraiment drôle de voir quelqu'un autant en pétard). En dehors de lui la critique encartée est plutôt enthousiaste. Il faut dire que ce film est une réjouissance de tous les instants. Le réalisateur ne cherche pas à imiter, il ne se prend pas pour... simplement il "re-tourne" quelques scènes emblématiques du film avec tous les éléments dont ils disposent et franchement c'est un pur régal pour cinéphiles. Il n'a pu se baser sur les feuilles de route journalières puisque Godard griffonnait ses instructions sur un coin de table en guise de scenario avant de les remettre aux intéressés.
Richard Linklater choisit le ton de la franche rigolade. L'équipe du film de l'époque n'était peut-être pas à la fête tous les jours face aux caprices et exigences du réalisateur (notamment le producteur qui s'arrachait les cheveux) qui tournait parfois deux heures par jour voire pas du tout. Avec le recul, cela donne un film vraiment réjouissant au centre duquel brille un réalisateur complètement imprévisible, manipulateur, dictatorial mais également très drôle et dévoué à son art et à ses idées tellement déconcertantes mais au final géniales. Tourner en pleine rue sans autorisation (belle visite de Paris), enfermer le dévoué Raoul Coutard (LE directeur de la photo de la nouvelle vague) dans une remorque de la poste, exiger que les acteurs ne portent aucun maquillage (Jean Seberg est offusquée), obtenir de la figuration gratos simplement en ne prévenant pas qu'il s'agit du tournage d'un film, ne pas enregistrer les dialogues en direct... c'était du dogme avant le dogme et cela donne le film que l'on connaît. Des acteurs au dernier technicien, à peu près toute l'équipe se désespère devant ce qu'ils considèrent comme une absence totale de plan de travail. Sauf Jean-Paul Belmondo qui est venu là pour s'amuser et ne s'en prive pas. Nous non plus. C'est d'une drôlerie ! Mais l'acteur fait montre aussi d'un bel esprit de camaraderie en rassurant constamment sa partenaire qui ne comprend rien à ce film, aimerait quitter le tournage et résiste à certaines contraintes.
JLG ne s'exprime pratiquement que par aphorismes ou citations (un tel a dit...) et c'est encore plus drôle. Tout le monde s'adapte à sa vision des choses. Quant au montage, s'il donne finalement le film que l'on connaît c'est que Godard y est allé de son originalité face aux exigences de la production qui le trouvait trop long. Il coupe, non pas des scènes ou des plans entiers comme c'est l'usage, mais des petits bouts de scènes ce qui donne au film le rythme très particulier que l'on connaît.
Espérons que ce film, grande et belle déclaration d'amour au cinéma, à la Nouvelle vague et à Jean-Luc Godard donne l'envie à ceux qui ne l'ont pas vu de voir A bout de souffle. Ils risquent d'être surpris par le résultat de l'original. En tout cas ce making-of version 2025 ne trahit rien ni personne je trouve. Il permet de comprendre la passion pour le cinéma par ceux qui le fabriquent, qui ont une vision dans la tête et qu'il s'agit d'immortaliser sur pellicule.
Une de mes scènes préférées : celle où Belmondo (Poicard) atteint par une balle titube en continuant de courir dans la rue Campagne Première et rassure les riverains qui n'ont pas été prévenus ("Tout va bien, tout va bien") qu'il s'agit d'un tournage.
Quant aux acteurs, là encore le réalisateur réussit un tour de force. Si dans la bande-annonce l'interprète de Belmondo me faisait un peu peur, il s'avère sur la durée parfaitement réaliste et conforme à l'original (ouf). Zoe Deutsch (la seule actrice connue du casting) s'est fait la tête de Jean Seberg mais je la trouve meilleure que l'originale car elle minaude moins. Quelques autres sont des sosies tels Chabrol, Juliette Greco... Mais le coup de génie tient à la trouvaille de Guillaume Marbek en Jean-Luc Godard. On est ici au-delà de l'interprétation, de la ressemblance ou du mimétisme. On voit Jean-Luc Godard et surtout on l'entend. Incroyable.
Pas sûre que le maître ait apprécié mais après tout pourquoi pas. En tout cas, précipitez-vous voir ce film joyeux qui met en joie. Et comme le chante Souchon : "Rue Campagne-Première, personne le ramasse. Quand il tombe par terre. "Qu'est-ce que c'est dégueulasse"".
Moteur Raoul !
Commentaires
Moteur, Raoul ! L'un des films les plus enthousiasmants vus ces derniers temps. Je ne m'attendais pas à aimer autant. Je ne lui vois aucun vrai défaut, je me suis bien amusé, et j'enchaîne rapidement avec "À bout de souffle" histoire de garder cette bonne dynamique.
Tu crois que Bébel court encore jusqu'à l'Italie ?
Encore... de l'indispensabilité 4 étoiles... Tentatrice...
Sur celui-là, ça plaira moins à mon entourage, mais à titre perso, je suis à fond dedans... Déjà, je ne sais pas pourquoi, mais à bout de souffle, je kiffe à chaque diffusion télévisuelle. Et puis Richard Linklater, c'est aussi Boyhood qui m'avait fasciné...