UN SIMPLE ACCIDENT
de Jafar Panahi ***
IRAN - Palme d'or Cannes 2025
avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi
Une nuit en voiture en Iran, un couple dont la femme (bâchée) couverte de la tête aux pieds est enceinte et leur petite fille heurtent un chien errant. Voilà pour le "simple" accident.
Le conducteur, Eghbal mène sa voiture dans un garage pour réparation. Le mécanicien Vahid entend un bruit qui l'a hanté et traumatisé à jamais. Il est persuadé qu'il s'agit du son de la prothèse de son tortionnaire lorsqu'il a été détenu par les autorités iraniennes plusieurs années auparavant. Le lendemain il enlève l'homme et l'emmène dans le désert dans l'intention de l'enterrer vivant. Il jette l'homme dans le trou qu'il a creusé et commence à l'ensevelir. Devant les cris d'Eghbal qui clame son innocence et assure que son amputation est récente, Vahid se met à douter. Les interrogatoires avaient toujours lieu les yeux bandés ; Vahid ne peut donc compter que sur sa mémoire auditive. Il extrait l'homme du trou, l'enferme dans un coffre de sa camionnette et retourne à Téhéran. Il y retrouve Shiva une photographe en train de photographier Ali et Golrokh pour leur prochain mariage. Plus tard Hamid, l'ex de Shiva les rejoint. Tous ont été victimes d'Eghbal, ils ont été interrogés, torturés. De retour dans le désert, le groupe s'interroge sur le sort à lui réserver.
Dès lors tout le but, l'ambition et le sens du film tiennent en cette simple et inextricable question : faut-il se comporter comme le tortionnaire ou lui laisser la vie sauve ? D'autant que l'homme qui depuis a changé de nom continue à clamer son innocence, à nier avoir appartenu à la police militaire et que tous les protagonistes ne sont pas d'accord sur le sort à lui réserver ?
Cela commence plutôt mal par une scène de voiture (une habitude chez le réalisateur et quelques compatriotes puisque ça leur permet de continuer à tourner dans la clandestinité en Iran comme c'est à nouveau le cas pour ce film) où les trois protagonistes jouent horriblement mal. Surtout la petite qui a une attitude vraiment horripilante (elle ne cesse en hurlant de coller son doudou sur le visage de sa mère puis de son père (qui conduit...) en leur demandant de danser !!!) Heureusement cela s'arrange dès la scène suivante. Nous retrouverons la petite beaucoup plus tard qui entre temps a dû prendre quelques cours de comédie et aura un rôle déterminant et émouvant. Ouf.
Nous doutons nous aussi (enfin, moi j'ai douté car je suis un bisounours) et l'on comprend que mettre les bourreaux face à leurs victimes soit une obsession pour ce réalisateur qui a lui aussi été incarcéré pour avoir proféré des critiques à l'égard du pouvoir islamique, condamné puis libéré après une grève de la faim.
C'est toujours avec le même courage que Jafar Panahi continue de tourner sans autorisation avec l'espoir qu'un jour ses films soient vus dans son pays par ses compatriotes. Le pouvoir en place s'amuse sans doute à prétendre qu'il réalise des films pour les festivals. Cette fois j'ai trouvé le réalisateur plus incisif que jamais, très en colère voire agressif, surtout au travers du personnage d'Hamid, lui que je trouvais jusque là plutôt doux. On peut également noter que les femmes du film (excepté celle de la première scène, mais on comprend pourquoi...) ne sont pas voilées et que là non plus il ne respecte pas les consignes vestimentaires imposées aux femmes. Shiva la photographe et Golrokh la future mariée sont d'ailleurs deux femmes à forte personnalité, aux idées précises et déterminées qui ne s'en laissent pas compter par les hommes.
Panahi semble également s'amuser de la corruption qui sévit dans toutes les strates de la société de Téhéran : quel que soit l'endroit où vous vous trouvez, quelle que soit la situation... il vous est demandé de sortir votre carte bleue et de payer un bakchich (les employés du stationnement, une infirmière et même dans la sphère privée).
On pourrait considérer le scenario comme "léger" puisqu'il s'agit la plupart du temps d'une intense et longue conversation souvent très animée où chacun essaie de faire valoir ses arguments. Mais les arguments et les détails sont tout à fait passionnants évidemment et balaient tous les cas de figures. Alors que faire ? Pardonner ou se venger ?
L'avant dernière scène d'une violence, d'une intensité dingues provoque quelques palpitations. Quant à la dernière, stupéfiante, nous laisse en apnée. Deux interprétations s'offrent alors à nous, je n'en vois pas une troisième. J'ai d'abord opté sans hésitation pour la plus optimiste. Quelques heures plus tard, c'est la seconde hélas, qui s'est imposée à moi...