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DEUX PROCUREURS

de Serguei Loznitsa ****

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FRANCE ALLEMAGNE ROUMANIE LETTONIE PAYS BAS LITUANIE

Avec Aleksandre Kuznetsov, Aleksandr Filippenko, Anatoliy Belyy

En 1937 dans une prison de Briansk (à quelques centaines de kms de Moscou) un détenu hâve et épuisé est chargé de détruire les lettres de ses compagnons d'infortune.

Seul dans une cellule, l'homme enfermé avec un poêle et une seule allumette commence à lire quelques lettres. Elles décrivent les conditions de détention, les sévices et tortures subis systématiquement et l'injustice des condamnations. Il en dérobe une, rédigée sur un morceau de carton avec le sang du prisonnier et réussit à la faire parvenir sur le bureau du procureur de la région, le tout jeune diplômé Alexander Kornev. Ce dernier cherche alors à rencontrer ce prisonnier qui s'appelle Stepniak. Malgré toutes les embûches que l'administration et la direction de la prison essaient de lui opposer, Kornev, armé d'une patience admirable, patiente et obtient une entrevue en tête à tête avec Stepniak. Ce dernier lui relate alors l'injustice de sa détention, affirme être la victime parmi des milliers d'autres, du NKVD (la police secrète de l'Union soviétique de l'époque) qui se livre à une véritable "purge" commanditée par Staline qui entend éliminer tous les cadres du parti communiste actifs durant la révolution. Mais aussi, il décrit les conditions d'incarcération inhumaines, les sévices subis quotidiennement, la privation de nourriture, la torture. Bolchévique convaincu, fidèle et sincère, assoiffé de justice, le jeune procureur se rend, confiant, à Moscou dans le but de rencontrer Andreï Vychinski le puissant Procureur général.

Adapté du roman soviétique éponyme Dva prokourora (Два прокурора) de Gueorgui Demidov le film parle d'une époque qui semble lointaine mais s'applique absolument à la période actuelle. Les régimes totalitaires se perçoivent rarement en tant que tels. Le réalisateur l'affirme : "Ce film se passe durant la terreur stalinienne des années 1930, c’est en réalité un film d’aujourd’hui". Il peut donc être vu comme une parabole de l'époque actuelle où il ne fait pas bon s'opposer au Tsar de toutes les Russies, où l'emprise de l'Etat sur la justice, la manipulation dictatoriale sont considérables. 

Ce n'est pas un film bavard, c'est un film aux dialogues denses très impressionnants, où chaque mot employé est pesé, évalué. On se retrouve aimanté à la parole de chacun des personnages même lorsqu'il s'agit de la blague récurrente (hilarante aux oreilles de ceux qui se la racontent) qui circule entre les services : "que faisiez-vous pendant la Révolution ? J'attendais en prison. Et ensuite ? La prison m'attendait". Le film s'articule ainsi autour de trois conversations entrecoupées de scènes d'une impressionnante beauté malgré la quasi absence de couleurs. Elles sont froides comme désaturées à l'exception du rouge du sang de la première lettre et d'un ballon, comme il y avait un manteau rouge dans La liste de Schindler, vestige de la vie et de l'insouciance. Enfermés dans un format carré, les personnages évoluent au rythme de la lenteur bureaucratique ou d'un train. Chaque scène est d'une force, d'une puissance implacable : celle de la rencontre entre Kornev et Stepniak, la vision des bannis terrifiés et exsangues des prisons,  la première scène de train avec les laisser pour compte de la Révolution qui semble n'avoir existé que sous forme de promesses et face à un certain fatalisme, la ténacité d'un idéaliste au regard naïf et plein d'espoir. Je ne révèle rien de la suite. Est-ce que la rencontre entre le jeune Procureur et le puissant Procureur général va bien avoir lieu ? En tout cas, je pense avoir vécu la dernière demi-heure en apnée, assez effrayée, anticipant sans vouloir le croire la suite des évènements.

De ce réalisateur ukrainien, j'avais déjà vu l'excellent et éprouvant Dans la brume. Quant aux acteurs, Alexandre Filippenko acteur russe qui joue Stepniak mais aussi un passager du train unijambiste et manchot, s’est exilé en Lituanie après l’invasion de l’Ukraine en 2022, Alexandre Kouznetsov (Kornev) a quitté Moscou pour la Grande-Bretagne et  Anatoli Bely (Vychinski) pour Israël.

Je suis sortie de la salle vraiment secouée, très étonnée de retrouver le soleil. Les réactions chuchotées à la fin du film me laissent supposer que je ne suis pas la seule à avoir été impressionnée, stupéfaite par cette espèce de boucle sur laquelle se referme le film. Je vous recommande vivement, expressément ce film qui ne bénéficie d'aucun battage médiatique quand d'autres (que je trouve) sans intérêt occupent le terrain pendant des semaines. Ici l'élégance de l'image et de la réalisation, la force de l'interprétation pourtant retenue d'Aleksandre Kuznetsov au visage et au regard encore enfantins puis terrifiés, qui parvient à exprimer l'indicible et le dégoût en une expression à peine visible... tout concourt à faire de ce film didactique et captivant comme un thriller, un GRAND film.

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