LA VOIX DE HIND RAJAB
de Kaouther Ben Anhia ***(*)
Avec Saja Kilani, Motaz Malhees, Amer Hlehel, Clara Khoury
TUNISIE
L'ignominie, la bassesse et l'abjection sans fin qui se déroulent à Gaza depuis le 7 octobre 2023 ont désormais une voix, un nom et un visage.
Celui d'une petite poupée de même pas six ans qui aimait rien tant que se déguiser, porter des couronnes de fleurs dans les cheveux et lever le pouce sur les photos.
Une petite fille comme des millions d'autres en somme. Sauf que celle-ci en ce 29 janvier 2024 se trouve dans une voiture avec son oncle, sa tante et ses trois cousins et cousines dans le but de quitter la ville sur ordre de l'armée israélienne. Toute sa famille est abattue et pendant des heures elle va rester coincée dans le véhicule sans doute couverte du sang des victimes, avec pour tout contact des membres du Croissant-Rouge palestinien qui la gardent en ligne tout en essayant d'organiser les secours. On apprend que les ambulanciers se trouvent à huit minutes de Hind mais ne peuvent intervenir sans une coordination qui assure la sécurité de tous. La petite donne des détails et notamment que des chars entourent ou se déplacent autour la voiture. Parfois on entend des tirs et une de ses cousines qui était encore en vie au début de l'embuscade est assassinée.
Décrire froidement le calvaire de cette petite fille est insupportable. Plusieurs heures durant elle va supplier de son adorable petite voix qu'on vienne la chercher, donner des idées à son interlocutrice ("si tu ne peux pas venir me chercher, demande à ton mari de venir") mais jamais elle ne pleure, jamais elle ne crie. Je précise pour qui ne le saurait pas que si ce sont des acteurs qui jouent le rôle des bénévoles du Croissant-Rouge, c'est bien la douce petite voix de Hind que l'on entend, ce qui constitue une épreuve assez redoutable. La maturité de la petite est impressionnante. Lorsque son interlocutrice lui propose de prier avec elle, la petite accepte en bonne petite élève sage et obéissante qu'elle doit être et répète les âneries versets qu'elle entend. Dès la prière terminée, sa supplique reprend : "viens me chercher... j'ai tellement peur... il commence à faire noir". On a beau connaître le dénouement, avec un espoir insensé on suit finalement la progression de l'ambulance...
..................................
Faire de cette histoire un film de cinéma et non un documentaire reste problématique il me semble. Le film a été tourné en Tunisie et se déroule exclusivement dans le centre d'appel dont on ne sortira qu'à la toute fin pour voir l'état de la voiture et la maman de Hind comme figée dans un état de sidération qu'on imagine sans peine. La réalisatrice a réussi à tout reconstituer grâce aux enregistrements téléphoniques, aux membres de l'organisation humanitaire, à un oncle vivant en Allemagne qui donne le numéro de téléphone où joindre la petite fille dans la voiture et à sa mère qui était proche du lieu de l'attaque et a pu entrer en communication avec Hind dans les derniers instants. La seule infime consolation est que la petite ait pu encore entendre la voix de sa maman qui lui dit qu'elle l'aime, qu'elle est courageuse, qu'elle est une lionne...
Au début je n'ai pas été gênée par le fait que les personnages soient interprétés par des acteurs. Cela devient plus gênant lorsque l'on découvre que les vrais personnages de l'histoire sont intégrés au film. Pourquoi dans ce cas ne pas les avoir "utilisés" eux ? Très gênant aussi de découvrir des gens qui ont beaucoup de difficultés à garder leurs nerfs face à l'évènement. Leur efficacité est certes toujours remise en question par le fait qu'ils doivent "coordonner" les secours. On comprend aisément leur impatience et leur incompréhension quand on imagine le nombre de situations inextricables et désespérées qu'ils ont à gérer. D'autant que sur les murs de leurs bureaux sont affichés les visages de tous les membres bénévoles secouristes qui ont été assassinés. On le comprend un peu moins quand ils ont au bout du fil une petite fille qui ne pleure jamais alors qu'eux sont tous en larmes. Ce qui par contre ne va pas du tout est cette actrice (assez insupportable) qui passe beaucoup de temps avec Hind au téléphone (sauf quand elle ne peut plus le supporter), qui a le nez qui coule dans sa bouche en permanence et ne cesse de sangloter. C'est bien sûr très confortable à écrire derrière mon écran.
Ces réserves faites, je trouve qu'en mémoire de Hind, en hommage à tous les innocents victimes de ces massacres, il faut voir ce film éprouvant, sans doute le plus triste du monde, parce que ce 29 janvier 2024 des hommes (???) dans des chars ont tiré 155 balles sur une petite fille qui n'avait pas six ans.
Sur Hind Rajab ce dangereux bébé !


