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LA CONDITION

de Jérôme Bonnell ***(*)

LA CONDITION, Jérôme Bonnell, cinéma, Louise Chevillotte, Galatea Belugi, Swann Arlaud, Emmanuelle Devos

Avec Louise Chevillotte, Galatea Belugi, Swann Arlaud, Emmanuelle Devos

En 1908 André jeune notaire estimé règne en maître sur un gynécée honorablement installé dans sa grande demeure bourgeoise.

Au rez-de-chaussée sa vipérine mère immobilisée au lit et rendue muette par un accident cérébral mais toujours activement fielleuse à l'écrit grâce à sa petite ardoise. Sous les toits la bonnicherie (comme disait élégamment Marianne Farrère) dont Céleste l'employée de maison. Entre les deux, les appartements cossus, au-dessus de tout soupçon d'André et de sa très jeune épouse modèle Victoire. C'est rien de dire que ce mariage n'a rien de joyeux mais qu'y règne néanmoins une harmonie proprette et raffinée de façade. Victoire, relativement soumise à son époux, parvient souvent à échapper au devoir conjugal et les nombreux soirs où elle se refuse à lui, si elle ne se prend pas une baffe magistrale, il se tourne vers Céleste, la petite bonne qui n'a d'autre choix que de le suivre et se laisser violer soir après soir en grimaçant mais sans un mot. Sa petite affaire (rapidement) accomplie, il s'affale près de la malheureuse et lâche un pitoyable "aaaaah que c'est bon !". Le consentement n'étant pas l'affaire d'André, on imagine sans peine la place qu'occupe le plaisir de l'autre dans son cerveau.

Lorsque Céleste tombe enceinte des oeuvres du maître, le ver commence sérieusement à gangréner le fruit. Une sorte de déni de grossesse fait qu'un avortement n'est plus possible. Pour permettre à Céleste de garder sa place, à Victoire de ne plus avoir à subir les assauts de son époux, cette dernière qui peine à tomber enceinte propose un marché à son mari et à Céleste. Le bébé naîtra, Victoire et André l'élèveront comme le leur (une sorte de GPA avant l'heure), Céleste restera dans la maison et verra son enfant grandir sans jamais révéler qu'elle est la mère. Le marché, la "condition" étant qu'André n'approche plus le lit de sa femme.

Tous finalement victimes de leur condition sociale (Céleste ne peut se retrouver à la rue avec un bébé et sans travail, André et Victoire sans descendance, ce n'est pas envisageable) acceptent l'étrange pacte. Tout cela est très joli et semble simple sur le papier mais c'est compter sans ces deux bizarreries souvent hors de contrôle que sont l'instinct maternel et la solidarité féminine.

S'appuyant sur un roman de Léonor de Recondo, Amours, Jérôme Bonnell s'essaie pour la première fois au film en costumes et c'est une absolue réussite. Du mouchage des chandelles aux femmes qui s'évanouissent à force d'étouffer dans leur corset qui leur donne une taille si fine, le moindre bibelot, le moindre détail à la lueur des bougies donnent à la fois une sensation d'étouffement et de raffinement feutré. La délicatesse des relations n'est qu'une façade car tout ici n'est qu'apparences et faux semblants. C'est admirablement observé. Et l'on suit l'évolution de ces relations plutôt étonnante avec un intérêt qui va croissant jusqu'au magnifique épilogue, une dernière réplique, un dernier regard... bouleversants et inattendus. Rien que pour cette scène le film vaut qu'on s'y attarde.

Mais pas seulement. Le choix du casting est un sans faute. Emmanuelle est génialement détestable mais sans doute porte-t-elle aussi dans son aigreur le poids du patriarcat qu'elle a elle-même subi. Louise Chevillotte et Galatea Belugi forment un duo magnifiquement incarné et l'on peut sans hésiter parler ici de féminisme. On sent également toute leur connivence d'actrices (ce qui n'était pas le cas des filles du Gang des amazones par exemple). La subtilité de leur jeu jamais mièvre, elles tiennent tête, elles font face, elles font front, impressionne. Quant à Swann Arlaud (parfait comme toujours) il a la lourde tâche de représenter à lui seul le patriarcat, la domination masculine, l'emprise sur son entourage et surtout les femmes. Tâche qui semble le dépasser un peu (je parle de son personnage évidemment) malgré sa suffisance et sa façon de déambuler mains dans les poches sur les beaux parquets qui craquent de sa demeure. Lorsque le vernis se fissure il ne trouve d'autre alternative que se réfugier dans l'alcool. Avoir fait le choix de cet acteur (magnifique jusque dans ses cheveux, sa coiffure, sa démarche) au visage encore enfantin, aux épaules délicates plutôt qu'un autre qui en aurait davantage imposé par un physique plus massif, est une idée géniale. Il est parfait (oui je sais je me répète).

Ces beaux et jeunes acteurs semblent sous le regard et la caméra du réalisateur tout droit sortis d'un tableau de Degas.

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