L'AGENT SECRET
Alors que le carnaval bat son plein il apprend que des tueurs sont à sa recherche. Il espère pouvoir obtenir un passeport et multiplie les démarches dans ce sens pour quitter le pays avec son jeune fils élevé par les parents de sa compagne morte.
Il reste encore quelques films à voir avant la fin de l'année et on peut noter qu'elle s'achève un peu comme elle avait commencé : avec l'évocation de la dictature brésilienne. Contrairement au formidable et glaçant film de Walter Salles sorti en janvier dernier, Je suis toujours là, L'agent secret est une fiction et on peut dire, si vous me passez l'expression, que le réalisateur met le paquet pour nous scotcher à l'écran, à l'histoire et à Wagner Moura pendant 2 h 40. Que la durée ne vous impressionne pas, le temps passe à toute vitesse et en ce qui me concerne j'étais frustrée que le film finisse.
Je ne peux rien vous dire et je vous encourage à ne rien lire. Du début à la fin les évènements s'enchaînent, nous clouent au fauteuil et stimulent l'attention. C'est tellement énigmatique pendant les trois premiers quarts d'heure qu'on se demande si quelque chose ne nous a pas échappé.
Un bon film, un grand film c'est un peu comme un livre dont l'incipit nous incite, nous invite à continuer la lecture. Ici la scène inaugurale, très longue, magnifique et absolument terrifiante nous immerge instantanément. On sait qu'on est au pays de la terreur où les cadavres peuvent pourrir sur le sol plusieurs jours sans que personne ne s'en préoccupe, où la corruption ne surprend pas le citoyen ordinaire qui sait qu'il n'a d'autre choix que d'y céder. Dès cette scène d'une maîtrise remarquable tant dans l'écriture que la réalisation et l'interprétation, on sait qu'on se trouve face à un film qui ne va pas laisser indifférent. Tout ce qui va suivre ne sera jamais décevant. Et pourtant Kleber Mendonçan Filho multiplie les pistes, les personnages, les histoires secondaires et même les époques et pourtant jamais, à aucun moment il ne nous perd. Tout est limpide, constamment. Enigmatique certes mais jamais abscons. Tous les éclairages sur la vie de Marcelo, ce héros ordinaire, sur ce qu'il a fait ou pas, se dévoilent peu à peu. A mesure que la traque s'intensifie, que l'étau se resserre, que l'urgence devient de plus en plus vitale, on tremble pour Marcelo à qui Wagner Moura (immense) offre son calme, sa retenue et sa douceur (à l'opposé de la violence qu'il a démontrée dans la série Narcos pour le rôle de Pablo Escobar).
Ce grand film est foisonnant et passionnant. Les nombreuses digressions cinématographiques à l'intérieur de l'histoire (le beau-père de Marcelo est gérant d'une salle de cinéma) en font également une sorte d'hommage au 7ème art. Il y est beaucoup question des Dents de la mer de Steven Spielberg mais on aperçoit aussi une scène avec Jean-Paul Belmondo dans Le magnifique de Philippe de Broca et une autre qui fait hurler de terreur les spectateurs de La malédiction de Richard Donner. Un requin éventré dans l'abdomen duquel une jambe a été retrouvée donne lieu à une série de moments assez désopilants que l'on attend pas forcément dans ce genre de film. Cette découverte macabre passionne les foules qui se mettent à acheter les journaux pour en savoir plus sur cette jambe sans propriétaire. Le réalisateur se serait inspiré d'une histoire folklorique brésilienne selon laquelle une jambe poilue attaquerait les gens à coups de pied. Les scènes concernant cette jambe sont un peu gores mais vraiment tordantes.
Cela dit L'agent secret est avant tout un film politique qui jamais ne s'égare malgré ses divagations fantastiques ou temporelles. Et ce que l'on redoute le plus face à une oeuvre de cette qualité, un film aussi brillant, magnifiquement ordonné, au suspense implacable est que la fin soit décevante, pas à la hauteur. Elle ne l'est pas (décevante). Elle est même exceptionnelle, inattendue, belle, touchante et puisqu'on s'est beaucoup attaché au personnage le réalisateur nous permet de l'accompagner encore un peu.
Les Prix de la mise en scène et d'interprétation masculine pour Wagner Moura au dernier festival de Cannes sont absolument indiscutables. La Palme d'or n'aurait pas été usurpée.
Voici l'un des plus grands films, puissant, magistral, envoûtant de cette année qui me donne une seule envie : le revoir.
Ah la la ! Vive le cinéma quand il atteint ce niveau d'exigence et de perfection !
