UNE BATAILLE APRÈS L'AUTRE
de Paul Thomas Anderson ****
Avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Teyana Taylor, Regina Hall, Chase Infiniti, Alana Haim
Bob et son amoureuse Perfidia (sexuellement insatiable) font partie d'un groupe révolutionnaire les French 75 qui veut tout faire péter. En même temps, c'est le principe de tout groupe révolutionnaire.
A leurs trousses se trouve le redoutable Lieutenant Steven Lockjaw, plus MAGA que Donald en personne, qui entend bien mettre la main sur le groupuscule et faire cesser ses activités. A force de se frotter sur la goupille de Bob, Perfidia tombe enceinte. Lorsque l'enfant paraît, la nouvelle maman ne manifeste pas un instinct maternel effréné mais se désole surtout que son Bob la délaisse et n'ait plus d'yeux que pour l'enfançonne. Quelques péripéties et trahisons plus tard, nous retrouvons Bob et Willa sa fille désormais âgée de 16 ou 17 ans... Il a cessé ses activités révolutionnaires et s'est cramé le cerveau dans l'alcool et les drogues diverses. Avachi sur son canap' en mode Dude (la réf. est évidente), il ne lève un sourcil que pour sermonner la prunelle de ses yeux, lui enseigner qu'on ne dit pas "les cartes sont jetées" mais "les dés sont jetés" et surtout menacer les petits rigolos qui tournent autour d'elle. Mais lorsque Willa disparaît, Bob est obligé de reprendre du service pour la retrouver. L'urgence de la situation l'oblige à se lancer à sa poursuite en robe de chambre ! Fuck le glamour.
Le reste est une course poursuite électrisante, un pur divertissement qui met néanmoins aux prises deux camps irréconciliables. L'Amérique d'aujourd'hui en somme. Mais je passerai sur la valeur politique du film. D'autres se chargeront bien mieux que moi d'analyser tout cela. J'ai surtout apprécié l'aspect ludique et l'énergie déglinguée qui se dégagent ici. Un machin déjanté délirant (mais sensé) taillé pour la course aux Oscar mais aussi la peinture d'une relation entre un père et sa fille séparés et dont l'objectif du premier est clair et simple : la retrouver quoiqu'il en coûte. Pour cela il doit réveiller des souvenirs enfouis et ses neurones bousillés lui ont fait oublier un détail : un code indispensable pour réactiver le réseau.
C'est à mourir de rire.
J'ai éclaté de rire vingt fois (mes excuses aux voisins). Entendre Leonardo hurler Viva la revolucion le poing levé, le voir se jeter par terre, piquer des colères, essayer de se faire comprendre, se jeter d'une voiture, tomber d'un toit ("such as Tom Cruise") et être fou de sa gamine de 16 ans (ou 17), on ne s'y attend pas. Cet acteur est décidément prêt à tout, parce qu'il peut tout. Si sa présence est un atout majeur tant on sait qu'il ne s'économise jamais, elle n'est pas le seul de ce film. L'action se renouvelle constamment jusqu'à la fin et jusqu'à une scène que j'ai trouvé exceptionnelle où deux voitures (puis trois) se poursuivent sur une route où alternent les montées et les descentes. Les véhicules disparaissent de la vue régulièrement puis réapparaissent sans qu'on se doute ce que l'on va découvrir à la prochaine descente. C'est magistral... ça donne l'impression de durer longtemps, trop longtemps et lorsque cela s'arrête, on redéroulerait bien encore un peu de ruban.
Dans cette course poursuite infernale contre des ennemis et contre la montre, Bob court, rampe, s'écrabouille, se relève, se trompe, s'échappe. Infatigable et pourtant pas au top de sa forme. Le rythme est soutenu et les personnages sur le chemin éreintant de Bob valent leur pesant de pellicule. D'abord Benicio Del Toro que je n'ai pas trouvé aussi irrésistible depuis bien longtemps. Surnommé Sensei (先生, terme japonais désignant « celui qui était là avant moi, qui est garant du savoir et de l'expérience d'une technique ou d'un savoir-faire »), il va aider Bob à trouver quelques voies lui permettant de progresser dans sa course. Le calme et la décontraction de ce maître en arts martiaux (il est également l'instructeur de la petite Willa (très belle scène de kata au passage)) contraste évidemment avec l'agitation permanente de Bob dont on imagine bien que l'impatience et l'angoisse de retrouver sa fille s'ajoutent au manque de drogues... (pure supposition de ma part). N'oublions pas au centre de ce chaos organisé la figure du militaire incarné par un Sean Penn déchiré entre ses instincts, ses pulsions et ses élans patriotiques chevillés à ses galons. Où l'acteur est-il allé chercher cette démarche de pantomime ? Cette mâchoire qui se contracte à la moindre contrariété ? Cette façon d'humidifier son peigne pour replacer sa ridicule mèche sur son crâne (le reste étant rasé) ? Il est absolument hilarant dans ce rôle de soldat naïf et patriote. Il en fait beaucoup c'est sûr mais c'est tellement drôle ! Sa rencontre avec une obscure entité dont le mantra est Vive Saint Nicolas... est un grand moment.
Leonardo DiCaprio intrépide comme jamais est donc parfaitement entouré et communique son énergie inépuisable et sa démesure à tout le film. Lui toujours tellement, constamment dans le contrôle de son image, de ses postures, sur les carpets. Révolutionnaire et drogué, il instille aussi l'émotion, l'énergie du désespoir à ce personnage de papa poule inquiet qui lui va à ravir. Quel acteur ! en parfaite adéquation avec son âge et de plus en plus fascinant. Sa fille de cinéma est ici Chase Infiniti, une nouvelle venue, une révélation.
Ce film brillant, trépidant, cette pure folie est sans hésitation l'un des meilleurs de l'année qui s'imprime aussi grâce à la musique percussive qui accompagne longuement certaines scènes (ce qui en agace vivement certains), un peu comme dans Magnolia (forever).