de Jacques Audiard *****
Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Reda Kated
Malik n’est encore qu’un tout jeune garçon quasi analphabète lorsqu'il est condamné à 6 ans de prison. Il est terrifié de découvrir l’univers carcéral, et très seul. Dans le bâtiment où il se trouve, la Mafia Corse fait la loi, avec à sa tête un « parrain » Cesar Luciani aux pouvoirs étendus et incontestés qui règne à la fois sur les détenus et sur les gardiens.
6 ans, c’est long et c’est court. En prison c’est une éternité. Conscient de la fragilité de Malik, Luciani lui propose sa protection en échange de « services » dans le plus pur style « je vais te faire une proposition que tu ne pourras pas refuser »... Pour le mettre à l’épreuve, il lui ordonne de supprimer Reyeb un autre détenu. Malik, affolé, va tenter d’avertir l’administration pénitentiaire, mais il ne peut que constater qu’elle est aussi sous la coupe de Luciani et que finalement il n’a pas le choix.
Soumis et corvéable à merci, Malik va docilement jouer son rôle « d’esclave arabe » et remplir consciencieusement ses missions. Mais armé d’une intelligence supérieure à la moyenne (il va suivre les cours d’alphabétisation, passer des examens, apprendre seul le « corse » en observant et écoutant les autres) et d’un instinct de survie hors du commun, il va résister, s’endurcir, exprimer la violence qui sommeille en lui, gagner la confiance de tous mais aussi être hanté jour et nuit par le fantôme de l’homme qu’il a tué.
Il n’hésitera pas non plus à fréquenter ses « frères » musulmans, à sympathiser avec un « gitan »… bref, à faire le grand écart entre toutes les communautés présentes, animées par le racisme et les luttes de pouvoir ; les corses détestent les arabes qui détestent les gitans et tout le monde se le rend au centuple !
Jacques Audiard désormais, ça me paraît incontestable, Grand Cinéaste fait preuve d’une maîtrise exceptionnelle à tous les niveaux. Il réussit l’exploit de faire qu’on s’attache à son héros alors qu’il est typiquement le genre de personne qu’on n’a pas du tout envie de rencontrer dans la vie réelle. Il faut dire que Malik, c’est Tahar Rahim, inoubliable, époustouflant, mélange de candeur, d’innocence, de naïveté, d’intelligence et d’agressivité qui fait évoluer son personnage physiquement, intellectuellement, psychologiquement comme il est rare de le voir au cinéma.
La scène où Malik doit remplir son premier contrat (tuer un homme), est répétée plusieurs fois entre Malik et un corse qui joue le rôle de la future victime. Rien que la répétition est flippante pour Malik mais aussi pour le spectateur car le personnage paniqué est tremblant et on imagine bien qu’il n’est absolument pas en état d’accomplir cet acte. Lorsque le moment du meurtre arrive finalement, rien ne se passe comme prévu. Audiard étire la scène au maximum jusqu’à nous mettre dans un état de stress proche de celui de Malik. Une tension infernale s’empare alors du film, du personnage et du spectateur. C’est très rare. Le film sera parcouru de scènes poussant l’angoisse à son paroxysme et l’atmosphère électrique s’amplifiera dans un crescendo incessant nous faisant craindre le pire à chaque étape. Et ce n’est pas lors de ses permissions de sortie après trois ans d’enfermement, où il aura d’autres objectifs à atteindre qu’il sera le plus en sécurité. On continuera de trembler avec lui et pour lui.
Heureusement, il retrouvera dehors l’ami qu’il s’est fait en prison et cette histoire d’amitié, essentielle, idyllique et bouleversante est sans doute la seule bouffée d’air dans cet univers et cet espace confinés dans lesquels le réalisateur nous enferme pendant deux heures et demi. L’acteur qui joue cet ami, Abel Bencherif, est également une impressionnante et réjouissante révélation. Le moment où il raconte la mésaventure avec son chien qui l’a sans doute menée en prison est à mourir de rire. Car oui, on peut éclater de rire plusieurs fois pendant ces deux heures et demi claustrophobes !
Mais l'essentiel, l'essence même du film est qu'on assiste, cloîtré avec Malik à la métamorphose d’un personnage et d’un acteur. C’est absolument sidérant de voir comment il s’adapte, s’impose puis utilise les autres et la prison. Audiard fait de cette transformation une « ascension », sans poser de jugement, juste en racontant, en constatant : comment un petit malfrat devient un véritable caïd « grâce » à la prison ? Comment il s’en sort à force d’intelligence et d’opportunisme ?
Face à lui, évidemment, il y a Cesar Luciani et l’acteur ogre Niels Arestrup lui donne son regard d’acier, sa démarche chaloupée, sa voix incroyablement pondérée. Il est une bombe à retardement dont chaque expression de douceur n’est que la manifestement du calme avant la tempête qui s’abat avec la brutalité à la limite de la démence dont il est capable. Ses face à face avec Malik/Tahar sont des moments de pure jubilation offerts par deux acteurs touchés par la grâce, et l’aîné posera d’ailleurs parfois un regard tendrement paternel sur le plus jeune.
Jacques Audiard crée à l’écran un nouveau style de voyou individualiste qui nest pas un psychopathe sanguinaire inculte et assoiffé de pouvoir mais encore, mais aussi, mais surtout il nous fait un cadeau en faisant naître sous nos yeux énamourés de fans, un archange diaboliquement angélique, phénoménal dans un rôle écrasant : un Acteur, Tahar Rahim* !
J’ai dit inoubliable ? Il l’est !
Alors laissez-vous emmurer avec lui par Jacques Audiard.
*C’est décidé Tahar Rahim, je l’aime d’amour !
Contrairement aux films de ce genre généralement pleins de bruit et de fureur, celui-ci impose le silence car comme le précise l'affiche : "s'ils vous entendent, il est déjà trop tard". En effet, dans un monde post-apocalyptique (rien ne nous sera révélé de la catastrophe, juste quelques images de villes à l'abandon), des monstres hideux mais aveugles surgissent de nulle part et engloutissent en une bouchée le responsable du bruit qui leur vrillent les tympans.
Une famille composée des parents et de trois enfants, on ne verra aucun autre survivant (ah si, un couple...) est donc condamnée à survivre dans le plus grand silence. Première originalité ou bonne idée, la fille aînée est sourde (la petite Millicent Simmonds, aussi formidable ici que dans le Musée des Merveilles), tous les membres de la famille ont donc appris le langage des signes. C'est astucieux et très bienvenu. Ne pas parler, ou chuchoter, marcher pieds nus, ce n'est pas mal, mais insuffisant pour éviter tout bruit ! Et comment un sourd peut-il savoir qu'il ne fait pas de bruit ? Je me suis vraiment posée la question.
En tout cas, passée l'invraisemblance du postulat de départ (quoique... sait-on jamais !) et d'une aberration scénaristique (madame est de nouveau enceinte... bien sûr, cela doit manquer de contraceptifs dans ce monde en perdition...), le film est riche d'une belle ambiance oppressante mais également émouvante. La famille doit, en plus de multiplier les trouvailles pour survivre, se relever d'un drame terrible.
Je ne vous cache pas que j'ai énormément sursauté et que j'aurais aimé un peu moins sursauter... mais quand on a compris le principe du jump-scare, on peut trouver quelques secondes pour se préparer et éviter de justesse l'infarctus. Je sens que vous allez me dire "ce film n'est pas pour moi..." (il n'est pas spécialement pour moi non plus). Et c'est dommage car il me semble plus original, plus intéressant voire captivant, que ses congénères (si tant est qu'un film puisse avoir des congénères).
L'attention, le suspense et la tension sont maintenus de bout en bout. Evidemment pour survivre il est préférable de le faire aux côtés d'une tronche en électronique qui éventuellement trouvera, même à l'insu de son plein gré, la faille des bestioles omnivores (moi je crois que je décèderais dans le quart d'heure qui suit l'apocalypse) et que chacun déploie tous ses talents et compétences personnels. A moins que ce ne soit justement ce genre de situations qui rend les gens plus futés que la moyenne.
Le réalisateur se fend aussi d'une petite réflexion sur la famille, le sens du devoir et du sacrifice et l'incroyable responsabilité des parents à protéger leur progéniture quitte à se tromper, se mettre ou mettre les autres en danger. Il y a donc de bien jolies scènes familiales que certains trouveront sans doute trop sentimentales. Je les ai trouvées fort à propos ces moments entre les parents et les enfants (la scène de la cascade, cœur avec les mains), entre les parents tout seuls (la scène du slow, cœur devant les yeux), entre les enfants entre eux (la scène du silo à grains, cœur palpitant).
Et puis, cerise sur le slasher, l'interprétation est tout à fait remarquable aussi bien les parents, interprétés par un couple de choupinous (à la ville comme à la scène), les excellents Emily Blunt et John Krasinsky (le réalisateur himself) que les enfants sont admirablement dirigés, Millicent Simmonds donc et Noah Jupe.
Dommage que les deux autres films de l'acteur/réalisateur ne soient pas sortis en France.