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LA PUISSANCE DES VAINCUS

Certains livres nous happent dès les premières pages, dès les premiers mots.

C'est évidemment le cas de celui-ci. 977 pages denses et ardentes qui m'ont tenu éveillée voire qui m'ont réveillée jusqu'à m'emmener, haletante, au terme de l'histoire de Dominick et Thomas Birdsey deux jumeaux physiquement identiques mais psychiquement opposés qui vivent à Three Rivers, ville imaginaire du Connecticut.

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Certains livres comme celui-ci nous hantent et nous obsèdent au point de se télescoper avec tout ce qui fait le quotidien de la période où on le lit. Il me fut difficile de ne pas vivre avec Dominick et Thomas pendant tout le temps de ma lecture. Au point de ralentir lorsqu'il ne m'est plus resté qu'une centaine de pages à lire. D'avoir du mal à me saisir d'un nouveau livre, d'une nouvelle histoire, de nouveaux personnages. Jusqu'au bout, jusqu'à la dernière page de cette histoire qui couvre plusieurs générations d'une même famille, d'un même pays, les rebondissements et révélations m'ont tenu en alerte, surprise, horrifiée, impressionnée et bien souvent bouleversée. Aux basques de Dominick qui raconte cette histoire folle, banale et insensée.

Heureusement, je viens seulement de savoir qu'une mini série (dont les critiques ne sont pas fameuses) a été tirée du roman. I know this much is true (le titre original du livre) est sorti sur OCS. Tout au long de ma lecture, je n'ai jamais imaginé Thomas et Dominick avec le physique balourd et le visage grimaçant de Mark Ruffalo, dont la performance est cependant saluée par la critique. Néanmoins, je suis fortement intriguée et ai tellement envie de revivre quelques heures avec ces personnages... mais je n'ai pas cette chaîne (OCS) et mes recherches ne me mènent pas vers un DVD de la série.

"L'après-midi du 12 octobre 1990, mon frère jumeau Thomas est entré dans la bibliothèque municipale de Three Rivers, Connecticut, où il s'est retiré dans un des box de travail du fond de la salle et s'est mis à prier Dieu pour que le sacrifice qu'il allait accomplir soit jugé acceptable... Ce que je sais sur ce qui s'est passé à la bibliothèque le 12 octobre 1990, je le tiens de Thomas lui-même et des articles publiés dans les journaux avec les informations sur l'opération "Bouclier du désert"... 

Le chirurgien orthopédiste qui a traité mon frère par la suite a été stupéfait de sa détermination. Selon lui, l'intensité de la douleur aurait dû faire avorter son projet à mi-course. De sa main gauche, Thomas a exécuté chacun des gestes qu'il avait répétés dans sa tête. Plantant la lame du couteau dans son poignet droit, il a traversé l'os et s'est soigneusement amputé de la main. Avec un grognement retentissant, il a lancé la main coupée au milieu de la bibliothèque. Puis il a fourragé dans sa blessure et tiré sur les artères cubitales et radiales béantes, les pinçant et les tordant pour les refermer de son mieux. Et il a levé le bras en l'air pour ralentir la perte de sang".

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en lisant ce texte inaugural d'un roman d'une envergure colossale. J'avais bien sûr lu le beau texte du Bison qui m'a donné une folle envie de lire (merci, mille fois merci), mais je reconnais que l'ampleur de la tâche me semblait infranchissable quand j'ai vu la taille du bouquin. Et qu'attendre de l'histoire d'un gars qui ne trouve rien de mieux que se trancher la main pour marquer son désaccord contre la guerre que le père Bush décide de mener en Irak ? J'avais tort, l'histoire des jumeaux, sans temps mort, souvent dramatique certes, est passionnante. Et l'écriture remarquable de Wally Lamb est un régal à chaque ligne. Malgré la noirceur ambiante la plupart du temps, l'humour jalonne le livre. Car Dominick, alors que Thomas son frère schizophrène se retrouve incarcéré dans un établissement psychiatrique dont il essaie de le faire sortir, traîne un mal-être existentiel, une hargne, une lucidité mélancolique et un peu cynique qui m'ont parfois évoqué... Jean-Pierre Bacri.

Il faut dire que la mère des jumeaux, "Double fléau" ainsi que les appelle leur beau-père, sur son lit de mort accable son fils, celui qu'elle croit le plus solide de la promesse de toujours prendre soin de Thomas. C'est donc en tentant de le sortir de l'hôpital-prison dans lequel il est enfermé, abruti de médicaments, battu, violé, que Dominick écrasé par sa mission, va faire un  retour arrière sur sa vie, son enfance, sa famille. Forcément, les non-dits, le mystère de leur origine (leur mère leur a toujours caché qui était leur père) mais aussi de celle de leurs ascendants vont débouler livrant peu à peu tous leurs secrets, pas toujours avouables. L'entreprise colossale embrasse ainsi tout un pan de l'histoire américaine et notamment l'immigration, les guerres de Corée, du Vietnam et en Irak, et aussi le système de santé et plus encore psychiatrique américain, tout cela observé du point de vue de la "petite" histoire de Dominick.

Mais c'est encore davantage sur le plan psychologique je trouve que l'auteur impressionne. Les personnages sont décortiqués et nous renvoient à nous-mêmes, nos propres interrogations, nos erreurs, nos questionnements existentiels, notre culpabilité, notre solitude, notre tendance naturelle (pour les plus anxieux d'entre nous) à imaginer le pire. Et le pire n'est jamais décevant... Dominick se débat dans le marasme de sa propre vie qu'il gâche consciencieusement, toujours tiré vers le bas par ce frère fragile, malade, envahissant, incontrôlable mais qu'il ne peut s'empêcher d'aimer. La gémellité, au cœur du roman semble être un fardeau souvent, un ravissement parfois.

Il est évident que je vais désormais m'intéresser à Wally Lamb, l'auteur américain âgé de 70 ans aujourd'hui. La puissance des vaincus date de 2000. Il fut un best-seller, traduit dans plus de 20 pays, comme son précédent roman Le chant de Dolorès (objet d'un véritable culte) et le suivant Le chagrin et la grâce.

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Commentaires

  • Ah super, tu as fait un billet ! Vu le nombre de pages, c'est une lecture que je vais garder pour l'été, mais il faut absolument que je découvre cet auteur.

  • Merci :-)
    Le chant de Dolores est 2 fois moins long je crois.

  • Il faut vraiment apprécier la lecture pour arriver jusqu'à la fin d'un tel livre ! Un livre parfait pour un prochain confinement, nous aurons le temps...

  • En effet, un livre et un auteur à découvrir.
    Pas un seul instant de lassitude.

  • Ce billet m'a convaincue et donné envie, je viens d'ajouter cinq livres de cet auteur à ma liseuse, reste à le découvrir.
    C'est marrant, dès que j'ai vu que le livre parlait d'une histoire de jumeaux, j'ai pensé à cette série que j'avais commencé à regarder et laissée en plan. Je crois que c'était trop sombre pour moi au moment où je l'ai vue, j'avais besoin de légéreté.
    Au bout de quelques lignes, j'ai vu que c'est bien de cette histoire dont il s'agit,je pense que je vais m'y remettre aussi.

  • Ma PAL s'étoffe également. Je pense que la lecture est moins sombre que la série. L'humour de l'auteur est assez savoureux je trouve.

  • Merci pour cette chronique, Pascale. Je vais tâcher de noter ça dans un coin de ma tête. Je ne manque pas de lecture en ce moment... et un autre pavé attend son tour sur ma table de nuit, dont on m'a dit grand bien. Mais Willy Lamb : je note !

  • Oui les livres comme les films et les séries s'amoncellent on n'aura jamais assez de tous les confinements pour en venir à bout.

  • Je n'avais même pas fait attention :-)

  • Faute de salles ouvertes, tu te réfugies entre les pages. A la bonne heure !
    A la lecture de ton article, j'ai l'impression que tut t'es pris le pavé en pleine face. Double effet pour cette histoire de jumeaux, pas de faux-semblants.
    Je t'avoue que l'épaisseur m'effraie un peu. En ce moment, je suis dans une sale affaire de crime passionnel avec préméditation sous la plume d'un écrivain dont m'a dit du bien. Un certain Zola. Prometteur en effet.

  • Les pages ont toujours été de pair avec les images. Mais écrire à propos d'un livre me semblait impossible.
    Oui en pleine face, tu l'as dit.
    Je n'aurais pas dû dire le nombre de pages. Franchement, on ne les sent pas passer.
    Emile ? je crois connaître. Un de mes auteurs favoris. Thérèse Raquin ???
    Moi je suis dans le Goncourt. Page turner addictif. Une bonne série actuellement (de livres je veux dire, car parfois j'enquille les médiocrités). Et sur ma PAL : Colibri et Créatures...

  • Bingo sur Zola.
    Il paraît ça pour le Goncourt. Il se pourrait bien qu'il soit dans mes cordes car elle m'intrigue cette histoire d'avion qui se pose deux fois... (je ne sais pas pourquoi j'ai dans la tête les images de Lost quand j'y pense).

  • Dur de lâcher le Goncourt...

  • Je viens aussi d'attaquer le goncourt, j'en suis à 70 pages environ, difficile de le lâcher.
    Moi c'est à manifest qu'il me fait penser.

  • Je suis d'accord. Je suis plus loin que toi :-)
    Trop de personnages pour qu'on puisse s'y attacher (comme dans La puissance des vaincus) mais quel brio !

  • Quel magnifique billet de littérature. Superbe. J'ai envie de le lire... Ah zut, je l'ai déjà lu et adoré. Un peu trop lourd pour le reprendre. Voir la série sur OCS... Ah là aussi déjà vu... J'ai bien aimé aussi. Pas aussi intense que le roman... mais là c'est le lot normal de la transposition bouquin-film... Et puis Y'a Mark Ruffalo tout de même, en double (j'ai pas dit gras)...
    Mais que ça me fait plaisir que tu parles aussi de littérature... Tout de suite, j'ai l'impression de mieux te connaître... Un bouquin qui fait du bien, tout de même, et que s'il effraie avant de le commencer, il ne faut surtout pas en avoir peu, ce ne sont pas les pages qui font peur, c'est le contenu et cette première image qui reste gravée...

  • Oh merci.
    C'est pour ce genre de livre, d'histoire, de style, de personnage que j'aime tant lire. Pas un jour sans lire. Pas à ton rythme bien sûr mais quelque soit mon état (de fatigue), je lis chaque jour.
    C'est rare des livres comme celui ci. Je suis tellement heureuse de l'avoir découvert en m'attardant dans ton ranch...

  • 977 pages !! 900 de trop pour moi en ces temps incertains
    J'ai donc téléchargé la série ( 6 ép. )
    Dès demain je visionne, Mark Ruffalo je suis assez fan je dois dire. ;-)

  • Sauf que si tu lis les 77 premières pages, tu ne pourras pas t'arrêter.

    Mark Ruffalo est un repoussoir pour moi. Jamais Thomas et Dominick ne pourront à mes yeux lui ressembler. Je voyais plutôt un acteur grand, mince, expressif... bref, anti Ruffalo.
    Tu me diras pour la série.

  • J'en ai fini avec Ruffalo et son double.
    Excellentissime à tous points de vues. ;-)

  • Tu l'as vu où ça ? OCS ?
    Moi je pense toujours à Dominick et Thomas.

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