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LES BANSHEES D'INISHERIN

de Martin McDonagh ****(*)

LES BANSHEES D'INISHERIN de Martin McDonagh, cinéma,

Avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon, Barry Keoghan

Sur l'île d'Inisherin, Padraic Súilleabháin (champion si vous parvenez à prononcer) et Colm Doherty sont depuis longtemps les meilleurs amis du monde et se retrouvent chaque jour au pub, la seule distraction du coin.

Le plus jeune Padraic élève des vaches laitières et vit avec sa soeur Siobhan et un petit âne qu'il aime beaucoup, Colm plus âgé est musicien, compositeur et violoniste. Mais en ce mois d'avril 1923, du jour au lendemain, ce dernier décide sans explication de briser cette amitié.

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Devant l'incompréhension de Padraic, Colm lui explique sans ménagement qu'il le trouve vide, creux, que leur relation ne lui apporte rien, qu'il souhaite occuper son temps à autre chose que discuter avec un débile. Il aspire au silence et à la solitude. C'est vrai que Padraic n'a pas inventé la marche arrière mais il est gentil, naïf, entier, incapable de mentir et surtout complètement dévoué jusqu'à la dépendance à son ami. Il pense d'abord à un poisson d'avril et insiste pour reprendre la vie telle qu'elle a toujours été avec ces rendez-vous quotidiens au pub. Toute l'île s'étonne avec Padraic de cette "rupture" mais Colm tient bon et devant l'insistance de son ex ami lui assure qu'il se coupera un doigt chaque fois qu'il lui adressera la parole. L'ultimatum semble excessif voire radical mais Colm ne plaisante pas. Malgré le soutien de son irréprochable et dévouée soeur et de Dominic le simplet de l'île (très) malmené par son père, le flic complètement abruti du coin, Padraic sombre dans une profonde tristesse mais cherche toujours à comprendre et à imposer sa présence à celui qui le repousse. 

Dès la première image on est foudroyé par la beauté des paysages, de l'île perdue au milieu de nulle part et enchanté de retrouver Colin Farrell et son air de parfait crétin de la lande, à peu près le même air que dans le délicieux et déjanté Bons baisers de Bruges du même McDonagh, où il partageait déjà l'amitié, criminelle alors, de Brendan Gleeson.

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Cette fois, on sourit un peu, on rit peu et surtout on tremble et on s'émeut. Car l'histoire est un conte cruel et dramatique auquel on peut reprocher de ne pas  évoluer, de tourner en rond. Mais c'est justement cette staticité, cette répétition qui en font sa force. L'obstination des deux personnages principaux, leur pensée qui n'évolue pas, leur incapacité à réussir à communiquer à nouveau malgré l'acharnement sans mesure de Padraic sont au coeur de l'histoire, mais aussi la réflexion sur le sens et l'absurdité de la vie, la peur de mourir quand on prend brusquement conscience de sa propre finitude et de l'inutilité de son passage sur terre. Même si on a beaucoup de mal à comprendre les actes et les décisions de Colm et de Padraic qui ont des conséquences terribles sur l'île. 

De l'autre côté de l'île, sur la grande île comme les insulaires l'appellent, la guerre civile fait rage, on entend parfois les coups de feu, les tirs des canons mais personne ne se sent très concerné et ne sait trop qui se bat contre qui et pourquoi. "C'était beaucoup plus simple quand nous étions tous unis et qu'on tirait sur les anglais" dira le personnage le plus détestable de l'histoire. Je vous le laisse découvrir.

On peut parler de conte parce que l'île d'Inisherin est fictive, même si les paysages bien réels sont d'une beauté à tomber mais aussi parce que les banshees du titre sont des créatures féminines surnaturelles de la mythologie celtique. Elles sont ici représentées par une vieille femme aux doigts crochus, proche de la sorcière. Elle semble avoir un don de voyance, elle surgit de nulle part, prophétise les drames et parfois les encourage ou les provoque.

Autour des deux protagonistes principaux gravitent quelques personnages très intéressants qui parviennent à exister. Siobhan la soeur de Padraic trop dévouée, presque sacrifiée (Kerry Condon merveilleuse), Dominic, l'idiot du village interprété de façon incroyable par Barry Keoghan mais aussi le curé, le flic tordu, l'épicière acariâtre et curieuse. Et encore des animaux très expressifs, une petite ânesse et un chien. J'insiste à nouveau sur la beauté renversante des paysages, les falaises, les chemins bordés de petits murets en pierre sèche qui servent à délimiter les propriétés (tellement plus beaux que des clôtures), la statue de la Vierge... tout cela magnifié par le sens du cadre et de la lumière du réalisateur qui rend chaque scène époustouflante de beauté, également grâce aux éclairages en clair-obscur des intérieurs.

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A Venise, le film a obtenu le Prix du meilleur scenario et Colin Farrell la Coupe Volti (grandement méritée, il est époustouflant) de la meilleure interprétation masculine. Brendan Gleeson impressionne et impose comme toujours son impériale présence et il émeut beaucoup lors d'une scène où il est le seul à secourir son ami et par le simple geste d'une main posée en silence sur l'épaule.... Mais Colin Farrell est ici d'une rare subtilité. Lors d'une scène de pub où il tente une fois encore de s'adresser à Colm et évoque l'importance de la gentillesse, il est bouleversant.

On arrive au terme de 2022, Les banshees d'Inisherin est un grand film pas comme les autres, désespéré, dépressif (mais pas déprimant) où la Guinness coule à flot, la musique celte emplit les oreilles et il se place sans difficulté parmi les meilleurs films de l'année.

J'aime beaucoup la remarque de Judith Langendorff de Culturopoing : "le cinéaste élabore une tragi-comédie dans laquelle le spectateur est pris dans un soubresaut d’émotions contradictoires, du rire à la tristesse, de l’empathie à l’horreur, de la confusion à la sympathie, de la pitié à l’admiration". C'est ça.

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Commentaires

  • Tu en causes bien mais je dois admettre que j'ai du mal avec les films dans lesquels les personnages ont des noms que je n'arrive pas à prononcer. ;-)
    Je tâcherai d'y aller quand même va.

  • Mais comment résister à un tel film ? Ce serait pure folie !
    Prononcer le nom de famille de Padraic est un petit défi.

  • Tu peux y aller en toussant si tu te sens suffisamment en forme. L'autre jour, le cinéma ressemblait à un sanatorium. Mais mets ton masque ! :-)

  • Bonjour Pascale, un film qui vaut la peine pour tout ce que tu dis et c'est vrai que les paysages sont sublimes. Colin Farrell que je n'ai jamais vu mauvais est impressionnant. Bonne journée.

  • Bonjour Dasola, Quel film ! le lendemain, j'y suis encore.
    J'avais trouvé Colin particulièrement mauvais et ridicule dans Miami Vice alors que je l'avais trouvé très bien dans Minority report et j'étais restée coincée quelque temps sur cette interprétation. Mais dès Un nouveau monde, j'avais changé d'avis. Il est très fort. Bonne journée.

  • Magnifique film, je trouve juste dommage que la guerre civile soit si "éloignée", et que la banshee soit finalement si peu exploitée... Mais l'Irlande reste sublime et le duo de "Bruges" est un régal

  • La guerre fratricide est finement représentée par la guerre que se livre Colm et Padraic. Une sorte d'allegorie.
    Et je trouve la banshee très présente.

  • Quelle merveille, ce film enfin arrivé à Beaune la semaine dernière ça valait le coup de l'attendre. Tout des paysages aux acteurs bien sûr et cette histoire, ce compte presque philosophique. J'en suis encore toute imprégnée apres trois jours. l'Oscar pour Colin!

  • Ravie que l'attente ait donné ce résultat. Et je comprends qu'il reste en tête bien des jours après l'avoir vu. Ce fut mon cas.

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