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JOYLAND

de Saim Sadiq ***(*)

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Avec Ali Junejo, Alina Khan, Rasti Farooq, Sania Saeed

Haider et Mumtaz sont mariés et vivent dans la même maison que le frère de Haider, marié également et père de quatre enfants.

Les neufs personnes cohabitent et sont sous la coupe du patriarche, père des deux garçons. Le vieil homme, cloué dans un fauteuil, dicte et impose sa loi à tout le monde. Personne ne le contredit jamais. Haider, garçon doux, tolérant et pas très viril est sommé de trouver du travail et faire un enfant à sa femme, un fils de préférence. La profonde déception, la honte presque de la belle-soeur d'Haider qui donne naissance à sa quatrième fille fait peine à voir.

Lorsqu'Haider trouve enfin du travail, grâce à un ami, sa femme est alors priée de rester à la maison. A son grand désespoir, car elle aime beaucoup son travail, ou peut-être simplement apprécie-t'elle le fait de travailler pour ne pas mourir étouffée dans cette famille, dans cette maison oppressante. Le réalisateur n'insiste pourtant jamais sur la pauvreté, ni ne sombre dans le misérabilisme. En creusant un peu, on découvre que le salaire mensuel d'Haider de 40 000 roupies équivaudra à 450 €. Quand on voit la petite quantité de nourriture dans les assiettes de chacun, quand on découvre qu'il faudrait un crédit pour s'offrir un ventilateur par cette chaleur accablante, on comprend comme il est difficile de subvenir aux besoins d'une famille de neuf personnes. Pourtant l'injonction d'accueillir un enfant supplémentaire est pressante.

Haider n'ose pas annoncer que son travail consiste à être danseur dans un cabaret érotique. Mais en l'apprenant, le père, hypocritement affirme que l'essentiel est que personne ne le sache. C'est dans ce cabaret qu'Haider fait la connaissance de Biba une magnifique danseuse transgenre dont il tombe amoureux. La jeune femme évacue les remarques et les moqueries par une autorité agressive mais fend le coeur quand on voit à quelle extrémité elle est réduite pour gagner quelques roupies. 

Bien que le Pakistan, pays fragile et instable politiquement et économiquement, soit encore basé sur un système patriarcal qui encadre durement les moeurs, il est étonnant de constater que les personnes transgenres sont parfaitement visibles et que depuis 2018 elles sont protégées par une loi qui leur permet de s'inscrire administrativement en tant que transgenres. Mais attention, dans le bus, on demande à Biba de s'asseoir avec les hommes.

Ce film est un premier film et il a obtenu le Prix du jury dans la sélection Un certain regard. Il est le premier film pakistanais sélectionné à Cannes. C'est assez fou et il est remarquable parce qu'il fait le tour de pas mal de situations révélatrices de la société de Lahore et au moins quatre personnages tiennent une place considérable dans l'histoire. Leur point commun est la frustration il me semble. Chacun, chaque génération subit le poids des traditions, des lois mais aussi le jugement et les critiques du voisinage, de la famille, des collègues. Personne n'est épargné. Pas même cette femme d'un certain âge, veuve qui vient régulièrement s'occuper du père mais qui sera injustement cataloguée et rejetée parce qu'un soir elle n'a pu rentrer chez elle.

Les femmes évidemment sont les plus persécutées puisqu'elles sont encore tenues d'être en cuisine, à la lessive et à l'éducation des enfants. De rester à la maison. Haider n'est pourtant pas malheureux d'être l'homme au foyer au début mais son père qui l'observe avec consternation, lui demande sans l'exprimer réellement de démontrer sa virilité en égorgeant une chèvre destinée à être mangée. Cette même virilité, il ne la prouve pas davantage avec Mumtaz puisque la jeune femme n'est toujours pas enceinte.

Étonnamment, alors que je m'attendais à suivre l'histoire d'amour entre Haider et Biba, c'est plutôt celle entre les deux époux que j'ai trouvé particulièrement belle, délicate et dramatique. Et, petit miracle rendu possible par le cinéma, le réalisateur nous fera revivre la première rencontre du couple. Un magnifique moment. L'histoire entre Haider et Biba sera à l'origine de pas mal de bouleversements dans la famille jusqu'à la toute dernière scène (que certains spectateurs ont trouvé ouverte).

Finalement, il n'y a pas tant d'écart entre les femmes et les hommes car ici ils sont soumis les un-e-s comme les autres aux navrantes conséquences de ce qui les étouffe, comme si chacun était de façon brutale prisonnier de sa condition, de sa situation, de son genre. Le réalisateur explore les frustrations, la belle-soeur d'Haider par exemple a dû renoncer à son métier pour fonder sa famille, mais il lui offre aussi une scène foudroyante d'énergie et d'intelligence où à force d'arguments imparables, de démonstration sans faille, elle parvient ENFIN à faire taire les hommes. Le texte de sa tirade est admirable. La scène est exceptionnelle, j'ai eu envie d'applaudir.

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