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BERNARD PIVOT

5 mai 1935 - 6 mai 2024

Bernard Pivot : “Je suis resté silencieux parce que le mal m'a frappé à la  tête” - La DH/Les Sports+

J'espère qu'il a pu écouter le sublime adagio du concerto pour piano N° 23 de Mozart.

 
Vieillir, c’est chiant ! par Bernard Pivot
 
«J’aurais pu dire :
Vieillir, c’est désolant, c’est insupportable,
C’est douloureux, c’est horrible,
C’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant »
Parce que c’est un adjectif vigoureux
Qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant. Invulnérable.
La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien….
Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
 
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes…..
Des hommes et des femmes dans la force de l’âge qui ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge.
J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard.
Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.
Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.
 
Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.
« Avec respect », « En hommage respectueux », « Avec mes sentiments très respectueux ».
Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ? Les cons !Et du ‘cher Monsieur Pivot’ long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !
 
Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place…
J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué. !!!… ?
– « Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que ».
– Moi aussitôt : « Vous pensiez que ? »
– « Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir. »
– « Parce que j’ai les cheveux blancs ? »
– « Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ça a été un réflexe, je me suis levée. »
– « Je parais beaucoup… beaucoup plus âgé que vous ? »
– « Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge. »
– « Une question de quoi, alors ? »
– « Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois. »
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.
 
Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir, tant qu’à faire, des heures exquises.
C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce.
 
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’Adagio du Concerto n° 23 en La majeur de Mozart, soit, du même, l’Andante de son Concerto n° 21 en Ut majeur,
musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps.
Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement.
Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années ? En mois ? En jours ?
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital.
Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge ?…
 
Non, Mozart. »

Commentaires

  • Je ne vais pas ressortir la vidéo avec Bukowski,
    mais je te propose cette archive que je viens de découvrir et qui vient de me donner quelques frissons teintés un peu de larmes de tristesse, sur maintenant deux grands départs de la littérature...

    https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i04255813/interview-de-paul-auster-par-bernard-pivot-a-propos-de-son-livre

  • Oh la la merci, je me suis régalée et j'ai frissonné aussi. Le regard et le sourire de Paul Auster ! Les lunettes demi lune de Bernard Pivot, sa façon de se tenir et toujours les lunettes dans une main puis qu'il porte aux lèvres, un livre dans l'autre.
    Je n'avais pas vu cette émission. Quelle frustration lorsque cela s'arrête. Paul Auster et Bernard Pivot... ça élève instantanément au réveil. L'envie irrésistible de décoller encore plus haut vers Moon Palace.
    Moi c'est l'émission avec Jean Edern Hallier et Jean d'Ormesson qui m'avait grandement impressionnée avec Jean Edern qui se jette aux pieds de son père.
    Il y avait des moments dingues dans cette émission. Une de celles aussi avec Le Clézio.
    Hier Jérôme Garcin a dit qu'il l'avait vu il y a trois semaines, il lisait Le silence et la colère je crois.
    C'était un vieux monsieur bien sûr (il aurait eu envie de me gifler que je dise cela) mais ça m'a rendue bien triste.

  • J'avais déjà lu ce passage sur la vieillesse (et je suis d'accord). Je vais m'empresser de regarder l'extrait avec Paul Auster. Demain la Grande Librairie fait une émission spéciale et ce soir sur la 2 je crois il y a un hommage. Pour rien au monde je n'aurais raté "Apostrophes" à l'époque.

  • Rater Apostrophes n'était pas une option (mais cela a dû arriver souvent en quinze ans).
    Son texte sur le fait de vieillir, j'approuve, j'applaudis. Mourir ok, mais vieillir (souffrir, être malade...), c'est intolérable, ça fout en colère.
    Je vais m'assurer des horaires pour les hommages.
    L'extrait avec Paul Auster est magnifique.

  • Voilà le programme :
    "Les vendredis d'Apostrophes", réalisé par Pierre Assouline, diffusé le mardi 7 mai à 22h40 sur France 2.
    "La grande librairie spéciale Bernard Pivot", présentée par Augustin Trapenard, sera diffusée le mercredi 8 mai à 21h05 sur France 5.

  • Bon tu as zappé Fred Mitterrand, mais pas question de faire l'impasse sur Pivot. Comment te donner tort, surtout à la lecture de ce très beau texte dont je connaissais quelques bribes. "l’apartheid de l’âge", quelle expression bien trouvée. C'est vrai que passé un certain "cap" on devient quantité négligeable, plus du tout dans l'époque, plus du tout calculable. C'est triste. Regarde Jean-Marie Le P... non, mauvais exemple.
    On sent qu'il avait été à l'école d'Ormesson qui parlait si bien de la fin promise. Ces écrivains de droites n'étaient donc pas si mauvais en tout, pas vrai Louis-Ferdinand ? (dont je te conseille au passage, à toi grande auditrice de la France Inter, l'excellent podcast réalisé par non moins brillant Philippe Colin).

  • Et oui j'ai zappé Fred, grand cinéphile (voire cinéaste à ses heures) et que j'aimais bien mais pas au point de...
    Le texte de Pivot, je le comprends à mille %, la première fois que quelqu'un m'a proposé sa place dans un bus, j'ai cru m'évanouir. C'est désagréable mais je préfère être assise que debout.
    Rater un podcast de mon Phiphi d'amour, tu plaisantes ? Léon B., Philippe P., Louis F.C., Simone, Jean-Baptiste P....

  • Phiphi d'amour, carrément ? Tu es une groupie, pire que hordes qui viennent chanter avec Taylor S. Il y aurait donc aussi des phiphies ?

  • OMG Taylor, cette énigme (pour moi), musique formatée, voix inidentifiable, visage de poupée figé (en vrai je trouve qu'elle n'a pas l'air très malin). Pourquoi pas Jul allumant le feu tant qu'on y est ? Au moins Taylor a t'elle le pouvoir de sauver le monde (un pourcentage impressionnant d'américains serait prêt à suivre sa consigne de vote) !
    Quant à Phiphi, j'aime beaucoup depuis son duo avec X. Mauduit (pas sûre de l'orthographe). C'est peut-être pas Decaux mais il raconte bien et il est historien et j'aime qu'on me raconte l'histoire.
    Et tout ça sur une note à propos de Bernard Pivot.
    Je te (re)recommande la dernière de Bouillon de culture. Un régal hier soir. J'espère qu'elle est en replay. Ils étaient tous là. Luchini fait son show (ce qui n'est pas pour me déplaire) et Nanard apprécie mais les invités étaient nombreux et variés et la diffusion des meilleurs moments, un vrai shoot d'intelligence, prises de bec et bonne humeur.

  • Le 1er libraire de France comme il le disait lui-même.
    J'ai vu hier la dernière émission de Bouillon de culture, j'ai adoré.

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