PALOMBELLA ROSSA
de Nanni Moretti ****
ITALIE
Avec Nanni Moretti, Silvo Orlando, Asia Argento, Mariella Valentini
Comme dans la plupart des films de Moretti, le personnage principal de celui-ci, Michele (merci de prononcer Mikélé) (Nanni lui-même) chante à tue-tête (très faux) dans sa voiture.
Les enfants du véhicule qui le précède lui font des grimaces auxquelles il répond et boum, inattention, c'est l'accident. Chez le kiné, il se demande ce qui lui est arrivé. Manifestement il est devenu amnésique. Lors d'un match de water-polo, la mémoire de Michele lui revient peu à peu. Il est un jeune député communiste. L'immersion dans l'eau et la confrontation avec des personnages parfois étranges vont l'amener à réfléchir sur la condition du parti communiste italien en pleine déroute mais aussi à s'énerver sur l'emploi des mots souvent inadaptés aussi bien en sport, en politique que dans les media.
"Qui parle mal, pense mal, vit mal" se désole-t-il !
Lassée des séances à répétition où le film finit par me tomber des yeux, je me suis reportée sur ce que je pensais être une valeur sûre : un film d'un de mes réalisateurs préférés au monde que je n'avais jamais vu. J'en aurai vu dix sur les quatorze qu'il a réalisés, il m'en reste donc quatre ! J'ai bien fait. La ressortie en salle de Palombella rossa (surnom italien d'un coup spécifique au water-polo : un lob effectué sur le gardien) fut un pur moment cinéphile jouissif.
Le film, totalement déconstruit (le personnage est amnésique et reconstruit son parcours comme il peut) a pour point d'ancrage la piscine et ce match de water-polo qui permettent peu à peu à Michele de remettre ses idées en place. C'est bavard, farfelu, profond, intelligent et parfaitement hilarant. Le premier souvenir qui surgit dans sa tête est "Je suis communiste". Alors il s'interroge : c'est quoi être communiste en 1989, année de la chute du mur ?
Régulièrement pendant le film nous verrons en arrière plan des scènes entières du film Le docteur Jivago. Sans doute une référence à la Russie et à la révolution mais aussi à la part très très sentimentale de Nanni/Michele. A un moment, tous les acteurs et figurants du film se rassemblent pour vivre en direct à la télé la scène finale du tramway lorsque Jivago reconnaît Lara. C'est à la fois très drôle, jubilatoire et bouleversant. Qui n'a pas souhaité que Lara se retourne ? Moretti filme cette scène avec toute l'énergie qu'on lui connaît et hurle à Jivago "cours ! cours !" et finit en larmes. Comme lui, qui n'a pas rêvé de modifier la fin de certains films ? Nanni, avec pertinence ou incongruité balance son hommage au pouvoir incroyable de certains films, du cinéma en général (sur les âmes sensibles). Et cela parle(ra) aux plus éperdus de cinéma.
Le film est constellé de saynètes aussi jubilatoires que réflexives, drôles que profondes. Dans ce puzzle qui semble confus mais ne l'est en aucun cas, surgissent des moments aussi bizarres que beaux comme cette scène où la piscine est soudain emplie de panneaux publicitaires flottants.
Nanni Moretti, acteur exceptionnel ici, se donne corps (en maillot de bain dans la grâce et la beauté de ses 36 ans mais avec un bonnet de bain de water polo ridicule) et âme à ce rôle où il plonge, court, saute, coule, hurle de sa voix identifiable entre mille et déjà nostalgique à son âge :
"Le merendine di quant'era bambino no tornera mai piu, i pomeriggi di maggio... mammaaaaa !" (j'ai eu ma larmichette).
"les goûters de mon enfance ne reviendront plus, les après-midi de mai... mamaaaaaan !"
Le burlesque au service de la profondeur et de l'émotion. Du pur Nanni. Du cinéma. MERCI !