LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP
de Nader Saeivar **(*)
IRAN
avec Maryam Boubani, Nader Naderpour, Ghazal Shojaej, Abbas Imani
Tarlan, professeure de danse à la retraite a vu ce qu'elle n'aurait pas dû voir (le titre original est The witness, Le témoin ou Shahed en persan qui signifie témoin, martyre...) : un corps inanimé dans un lit.
Peu à peu on découvre qu'il s'agit de sa fille adoptive dont elle était sans nouvelles depuis quelques jours. La mort suspecte de la jeune femme n'ébranle que Tarlan qui va tout mettre en oeuvre pour faire éclater la vérité et qui sait, la justice. Mais nous sommes en Iran et le responsable de ce qui est sans l'ombre d'un doute un féminicide (la jeune femme était venue se réfugier chez Tarlan couverte d'ecchymoses) est une personnalité influente sans doute proche du gouvernement.
Pourquoi si peu d'étoiles me direz-vous ? Je dois admettre que malgré le sujet fort (féminicide, loi islamique, sort des femmes infantilisées, invisibilisées, placées sous le joug de lois rétrogrades et patriarcales qui leur interdisent à peu près tout...), le courage de ce film comme tous ceux qui viennent d'Iran (toujours passionnants) tourné dans la clandestinité et pourtant doté d'une image et d'une réalisation impressionnantes, co-écrit avec un compatriote récemment palmé Jafar Panahi et j'en passe et des meilleures raisons de ne pas bouder... il m'est arrivé de poliment m'ennuyer en suivant les tribulations de Tarlan contrainte de se bagarrer contre tout le monde : la police qui dans un premier temps semble prendre en compte sa déposition, le mari de sa fille adoptive mais aussi son fils incarcéré pour une raison obscure qui a une dette de 2 milliards de tomans (22 000 euros si mes calculs sont exacts)... J'en attribue la "responsabilité" à une intrigue qui prend trop de temps à se mettre en place, à une actrice au beau visage digne certes, vaguement parcheminé mais finalement assez inexpressif, au fait que les relations des uns avec les autres ne me sont pas apparues clairement, que le sort de l'ordure n'est pas explicitement révélée... je ne sais pas.
Il n'en reste pas moins une fois de plus que même si ce film et ses thèmes font presque office de redite, il n'est jamais inutile de rappeler le sort des femmes dans ce pays au pouvoir décrépit, gangrené par la corruption et les compromissions (masculines), de s'indigner, être troublé, dérangé, révolté par ce que l'on découvre encore et toujours de cette société épouvantable. Avez-vous jamais entendu parler du "Crime de lit conjugal" ? Je découvre ici ce concept. Ce "droit" est inscrit dans le Code pénal iranien. Les hommes (s'ils soupçonnent leurs femmes d'adultère la plupart du temps à tort) ont comme James Bond une Licence to kill, un permis de tuer.
A vomir.
La chevelure des femmes est une fois encore portée et revendiquée comme l'étendard de leur émancipation imprudente, dangereuse, mortelle et le générique bouleversant après la danse cheveux au vent d'une toute jeune fille, fait défiler le nom des victimes très jeunes et les vidéos amateures prises sur le vif de ces souvent très jeunes filles battues, lapidées voire exécutées en pleine rue par des hommes assassins.
Dommage donc que ce film soit peut-être trop sage, avec une fin trop énigmatique, à la fois trop long et inachevé...
Commentaires
Ah ! Te voilà sur ce film ! Je m'étonnais que tu n'en parles pas. Et j'aime beaucoup ta chronique, sensible, nuancée et très bien argumentée. Merci !
Pour moi, la fin n'a rien d'énigmatique, mais elle est un peu "onirique". À toi de décider de la suite. C'est en tous les cas à mes yeux un bel hommage au combat de la jeune génération, venue au relais de ceux des générations précédentes. La lignée de femmes du film m'a beaucoup ému. Une certaine idée de la transmission de flambeau et/ou de la convergence des luttes.
Par ailleurs, je trouve que le film en dit bien assez sur les hommes pour qu'on comprenne que beaucoup entendent encore conserver une position dominante. Pas besoin de savoir ce qu'il advient de chacun d'eux.
Merci :-)
Je parle de la fin juste avant la danse de la petite. On sait que les filles vont devoir continuer à se battre et à braver les interdits au péril de leur vie.
Je trouve toujours tellement révoltant qu'elles doivent se couvrir dès lors qu'un mec entre chez elle !!! Quand ces types vont-ils maîtriser leurs nerfs et le reste ?
Connaître le sort de la pourriture m'importe et le "coup" de la thermos n'est pas anodin et n'a rien d'onirique, c'est du concret.
*** ATTENTION POSSIBLES SPOILERS ***
La scène de la thermos est d'une très grande intelligence, je trouve, et formidablement mise en scène.
Pour moi, dans l'acte final, la petite-fille protège sa grand-mère. Tout en lui montrant par le geste qu'elle se place moralement de son côté. Ce qui est d'autant plus fort que leur premier lien affectif n'est pas celui d'une famille "ordinaire", mais consécutif à une adoption (celle de la mère).
Tu auras sans doute remarqué qu'alors, plus aucun mot n'est prononcé. Ce que j'ai trouvé onirique (ou disons "symbolique") arrive juste avant le générique et les images d'archive, avec ces rideaux que l'on écarte à nouveau, ce vent qui souffle de plus en plus fort et ces palissades qui tombent.