Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

SIRAT

d'Oliver Laxe ****(*)

sirat_affiche.jpg

FRANCE ESPAGNE

Avec Sergi Lopez, Bruno Nunez Arbona, Richard Bellamy, Stefania Gadda, Joshua Liam Henderson, Tonin Janvier, Jade Oukid

Voyage au bout de l'enfer...

Luis part sur les routes, en compagnie de son fils de douze ans Esteban, à la recherche de Mar, sa fille disparue depuis des mois.

Pas n'importe quelles routes, parlons plutôt d'une piste puisque la jeune femme n'a plus donné signe de vie depuis sa participation à une rave party dans le désert marocain.

Allez je me lance. Comment aborder un tel film, cette expérience de transe mystique et douloureuse dont il faut quelque temps pour se sortir avant de reprendre pied avec la réalité et sortir dans les rues d'une ville encore en paix ? En rappelant peut-être d'abord aux béotiens qu'une rave party est un événement dansant organisé dans un lieu inhabituel, en pleine nature ou dans des lieux déserts. Les participants, les ravers peuvent danser parfois sans interruption pendant vingt-quatre heures, si l'on peut parler véritablement de danse lorsqu'il s'agit de cette façon de bouger son corps sans logique, sans technique, juste en se laissant progressivement gagner par le son, par le haut, par le bas ("elle a envie d'chanter c'est physique"... mais je m'égare déjà). Sachant que l'étymologie du mot rave rassemble des termes tels que délirer, divaguer, s'extasier et que ces manifestations festives sont associées à la prise de drogues en tout genre, elles sont la plupart du temps illégales. Quant au titre As-Sirât (en arabe : الصِّراط) cela désigne à la fois le chemin, la voie mais aussi le pont sur l'Enfer que tout le monde doit traverser le jour du Jugement dernier.

Luis et Esteban s'immergent dans une première rave party emplis d'espoir et de détermination. Ils font circuler la photo de Mar. Personne ne l'a vue mais ils apprennent qu'une autre rave party est organisée plus au sud, au-delà du Mont Atlas. Bien que la fête ne puisse déranger les voisins en plein désert, l'armée intervient et fait évacuer la foule. Luis et son fils réussissent à s'échapper du convoi de véhicules et suivent un groupe de ravers.
Bigui, Stéf, Josh, Tonin et Jade aux volants de leurs deux camions dignes de la Fury road hésitent à les accepter car le véhicule de Luis (de la marque aux chevrons déjà très en vedette dans Connemara) semble peu adapté au périple envisagé, mais peu importe...

Accrochez-vous ! Oliver Laxe a décidé de secouer votre fauteuil. J'ai sursauté cinq fois, pris ma tête plusieurs fois entre mes mains m'empêchant de m'exclamer : "nooooooooon !". Mais avant d'en arriver là, le réalisateur y va progressivement et nous invite d'abord à la danse, à la transe. La musique hypnotique de Kanding Ray, techno chargée en basses, jouée à un volume assourdissant tantôt planante tantôt oppressante donne envie de remuer, de lâcher-prise mais aussi de chercher à comprendre ce que ces clodos affligés (dents, bras ou jambe absents) recherchent ou fuient. Jamais la musique (techno) ne m'a procuré de telles sensations. Les sons finissent par être enveloppants comme si l'on participait à l'expérience électrisante où personne ne regarde, ne juge, ne cherche la performance. Laisser aller son corps à tous les balancements et secousses que la musique provoque. Dans la tête et dans le corps, même assis dans votre fauteuil, je vous garantis que vous vivez l'expérience. Et comme jamais cela ne m'arrive, j'avais envie de me retourner et voir si les spectateurs étaient dans le même état étrange que moi. Etant donné que personne n'est sorti, que seules deux personnes se sont levées dès la fin du film, j'estime qu'écouter les sons jusqu'au bout du bout du générique n'était pas nécessaire que pour moi.

Un peu de Gerry de Gus Van Sant pour le désert imprévisible, insaisissable, de Salaire de la peur de Clouzot pour le danger de rouler sur des pistes caillouteuses au bord de falaises, de traverser des plans d'eau avec un véhicule pas adapté et en point de mire toujours la détresse et l'inquiétude de Luis. Mais au fil du voyage, Luis et son fils découvrent l'humanité cabossée de leurs compagnons de route, leur sens du partage, de l'hospitalité, de l'écoute sous l'effet de diverses substances certes, mais on ressent quelque chose de pur, de doux et d'authentique dans ces relations qui se créent. La troupe devient familière et le voyage vécu en leur compagnie un moment unique. Le road trip relativement conventionnel au départ avec pour but ultime de retrouver l'enfant disparue s'avère d'une beauté époustouflante. Le désert, entre roches, sable et cailloux réserve toujours quelques surprises parfois climatiques que l'on avait pas anticipées. Mais aussi à la radio, les flash infos donnent des nouvelles du monde. Il ne va pas bien, il ne va pas mieux, il va très mal, la Russie ne se contente pas d'être aux portes de l'Europe, un conflit généralisé semble être imminent. On cloue le bec instantanément à cette radio et ses oracles de malheur et l'on comprend alors ce que la petite troupe pacifiste fuit sans aucun doute. Se mettre la tête dans le sable, poussé l'ampli à 20 et se trémousser sans plus se préoccuper de rien d'autre en attendant la suite...

La cohabitation entre Luis, son fils et la joyeuse bande d'éclopés est douce et chaleureuse, elle fait un bien fou. Sergi Lopez la seule tête connue du film, empli d'angoisse, de chagrin et d'espoir, hyper protecteur avec son fils s'intègre parfaitement à la troupe. Les autres portent sur leurs visages et leurs corps les stigmates d'une vie pas facile et d'abus en tout genre. Ils sont non professionnels, réellement unijambiste pour l'un, avec un bras en moins pour l'autre, couverts de tatouages, semblent jouer leur propre rôle et sont de vraies "gueules" de cinéma. Le réalisateur les a "piochés" dans de véritables raves. Tendresse particulière pour Jade Oukid et Tonin Janvier en ce qui me concerne.

Brusquement, le film bifurque vers autre chose, vers autre part. Je n'en dirai rien mais préparez-vous aux scènes choc. Du relatif confort qui était la règle jusque là, on passe à une tension et une peur vraiment inconfortables. Le réalisateur ne va dès lors plus cesser de nous secouer dans tous les sens, faire décoller notre empathie, notre tristesse, notre incompréhension. Certains pense(ro)nt sans doute qu'il en fait trop. Moi je dis qu'on en fait jamais assez dès lors qu'il s'agit de provoquer des émotions surtout au cinéma. Les films tièdes et mous, on en ingurgite à profusion. Ici le son, les éléments, la nature et la nature humaine ne cessent plus de se heurter. Jamais de longues tirades, juste des émotions, des sensations et la peur chevillée au corps où le spectateur semble être aussi acteur de l'histoire. Est-ce que c'est cela la fin du monde ? Empiler des amplis bricolés et abandonner son corps aux sons pour évacuer la peur et le chagrin ? "ça va nous faire du bien" dit l'un de la bande. Alors dansons.

Excusez-moi, c'est un peu long, beaucoup décousu, mais ce film exceptionnel, hallucinant, radical, spectaculaire et magnifique que j'ai ADORé (l'avez-vous compris ?) m'a mis la tête à l'envers. Un choc d'une rare puissance avant le grand chaos final ? A vous de voir, d'accompagner ces marginaux cosmiques ou pas dans ce film épuisant et admirable. Hors normes, hors système.

Prix du Jury du Festival de Cannes, bravo Juju.

 

 

Commentaires

  • Non ce n'est pas pour toi ;-)
    Moi je vais attendre d'encaisser avant de retourner au ciné.

  • La photographie et le son sont extraordinaires. Les acteurs tellement criant de vérité (le réalisateur adore la vérité), et j'ai un faible pour Jade. Et moi aussi j'ai crié noooon, j'ai sursauté, j'ai digéré comme les personnages. Franchement ce road trip pré-apocalyptique dans le désert Marocain sur fond de techno, c'est qq chose à voir.

  • Tellement exceptionnel, je ne m'en remets pas.
    Rien vu depuis... Je n'y arrive pas. Tout semble fade.

  • Globalement d'accord, le trip métaphysique fonctionne à merveille, jusque dans sa part la plus sombre. Laxe a du talent à revendre, entre Herzog et Jodorowsky, un petit côté poète mystique qui colle avec son look de chamane galicien.
    Dommage qu'il finisse par stopper les machines plutôt de foncer droit dans un tunnel nihiliste à la Friedkin. Du coup il s'enlise dans le dernier acte.
    Ton texte est décousu mais il permet de ressentir le film et l'expérience qu'il procure.

  • Aucun enlisement en ce qui me concerne.
    Je n'irais pas jusqu'à dire élévation mais une réussite totale en ce qui me concerne !

  • Mais ce film !!!
    Aucun enlisement pour moi non plus, mais des émotions FORTES !
    Le désert est si beau quand il est filmé de cette façon. Si terrible, aussi.

    Tu as vu les autres Laxe ?
    Je vais sans doute regarder "Mimosas" d'ici la fin de l'année.

  • Oui je cherche l'enlisement. En fait, non je ne cherche pas ;-)
    Des émotions, être cramponnée au fauteuil c'est exactement ce que je cherche donc j'ai bien trouvé.
    Je ne connaissais pas du tout Oliver Laxe et je me demande comment c'est possible. A chaque film il a un prix à Cannes...
    Apparemment le Maroc et l'Atlas l'inspirent fort.

  • Hypnotique, éprouvant, hors du temps... Quel trip!
    J'adore quand le cinéma nous bouscule et nous hante, j'ai été servi! Et j'y pense encore. Toi aussi?
    Je ne savais quasiment rien du film en allant le voir, je me suis fait cueillir par l'expérience.
    Et puis la musique est envoûtante, la photo de ces paysages de fin du monde est sublime, et le casting de gueules cassées nous embarque à ses côtés sans qu'on puisse détourner le regard un instant.
    Je partage ton enthousiasme!

  • Quand on va peu au cinéma, autant y aller pour être secoué.
    Donc, tu ne t'es pas endormi ! :-)
    Il est épuisant ce film mais tellement revigorant.
    Merci d'avoir pris le temps de partager ton enthousiasme.
    Pour une autre petite secousse (quoique TRES différente) : PTA Leo Benicio Sean et Infinity valent le déplacement.

  • Quelle expérience. J'ai vu ce film en festoch et avec une salle pleine à craquer. Et quel trip ! Longtemps que j'avais pas connu ça : quand tout le monde fait des "hah !" de peur et des "oh la la" de stupéfaction. Ma voisine ne pouvait pas s'empêcher de commenter à voix à demi étouffée, "il exagère, il exagère... non !". Et franchement, je ne lui en veux pas, enfin je veux dire qu'elle ne m'a pas dérangé pour autant, elle était dedans. Le cinéma de Laxe a quelque chose à dire et vu, dans ses entretiens, la pensée claire du bonhomme, hâte de découvrir la suite.

  • Ce film fait réagir en direct en effet. Difficile de ne pas sursauter et pousser des oh et des ah.
    Aaaaaah si davantage de films pouvaient nous emmener aussi loin.
    Hâte de découvrir la suite et aussi ce qu'il a fait avant parce que bizarrement, incompréhensiblement je ne connaissais pas du tout Oliver.

  • Whaou... Je ne serais pas aussi dithyrambique... J'ai adoré le climax, le visuel, mais au final ça ne raconte pas grand chose je trouve, sans compter quelques détails qui parasitent, par exemple quelle idée d'emmener son gamin aussi jeune dans un tel périple ?! Mais je peux comprendre qu'on soit envoûter par ce drame sensioriel...

  • Je trouve au contraire que ça en dit beaucoup avec peu et surtout sans avoir besoin de plein d'explications.
    Que faire quand la fin du monde est proche ? Danser.
    Quant au petit, je trouve que lui faire vivre cette aventure/expérience est une belle marque de confiance, de complicité plutôt que le laisser ou le confier. Il ne pouvait pas prévoir... Moi qui suis très sensible au sort des enfants je n'ai jamais été choquée par la présence d'Esteban dès le début du film.
    J'ai imaginé... Vu L'état du monde... je pense que la mère (dont il n'est jamais question) est absente de leur vie voire morte. Luis n'a pas d'autre choix qu'emmener Esteban qui a aussi envie de retrouver sa grande sœur.
    Un des meilleurs films que j'ai vus cette année (avec The brutalist et One battle after another).

  • Oh, je crois qu'on va se retrouver avec le même palmarès. J'ajoute "Caught Stealing" et "Weapons" dont je garde encore un excellent souvenir.

    Et bientôt, le boss...

  • Caught stealing je suis d'accord.
    Weapons ? Qu'est-ce ?
    Le boss ? Bruce ?
    Trop d'énigmes tuent l'énigme.

  • Tu n'ignores pas qu'un biopic sur Springsteen signé Scott Cooper débarque en salles prochainement ? dans le cas contraire, jette un oeil à ce Deliver me from nowhere :
    https://www.youtube.com/watch?v=nM1zEHp0OIE
    Weapons/ Evanouis (titre français que je n'aime pas).

  • Je n'ignore pas et même ne suis pas sans savoir... mais je pensais que c'était seulement en tournage.
    Pourquoi a t'il fait ça Scott ?
    La BA fait plus peur que celle de Conjuring.

  • T'es dure. J'attends de voir. Pourtant je ne suis pas inconditionnel de Cooper (je l'ai plusieurs fois égratigné dans mes articles). Mais "Nebraska" est mon album préféré.

  • Je verrai sûrement aussi.
    J'ai tant aimé Hostiles !
    Pourquoi un biopic sur le Boss ? La BA donne l'impression d'un machin très convenu.

Écrire un commentaire

Optionnel