The wrestler de Darren Aronofski ****
Il y a une vingtaine d’années Randy Robinson dit “le Bélier” était une star du catch. Aujourd’hui, sans un sou, il vit seul dans un mobil home crasseux, abandonné par sa femme et sa fille qui ne veut plus le voir mais avec qui il tentera de renouer une relation. Pour survivre il se produit dans des salles des fêtes minables, signe des autographes, vend des cassettes vidéo de ses combats et trouve des petits boulots mal payés.
Pour ceux qui comme moi n’y connaissent rien (mais vraiment rien de rien) au monde du catch, ils auront la surprise très inattendue de découvrir, et c’est l’aspect documentaire et manifestement documenté du film, que dans les coulisses ces gros bourrins aux muscles hypertrophiés, dopés aux anabolisants et autres substances chimiques qui se distribuent comme des chewing-gums dans les vestiaires, sont des amis mais aussi de gros nounours adorables qui vivent leur passion au-delà des limites, qui chorégraphient et élaborent leurs matches avant d’entrer en scène. Le but est d’en donner toujours plus à un public survolté qui n’en a jamais assez. Le paroxysme est atteint lorsqu’un adversaire propose un combat où les cordes sont remplacées par des barbelés et où l’on peut faire usage d’une agrafeuse !!!
Entre les coups feints, ceux qui portent vraiment, les chairs martyrisées, les doses phénoménales quotidiennes de médicaments… le corps et le cœur en prennent un sacré coup. Ici c’est Mickey Rourke I.M.M.E.N.S.E. qui abandonne son corps au cinéma et l’immole au pied de ce film qui lui doit tout ou presque. Evidemment, le talent, le savoir-faire de Darren Aronoski sont à l’œuvre également. Car il n’a pas son pareil pour nous embarquer dans une histoire et ici nous surprendre par son côté hautement réaliste. Il nous plonge littéralement dans ce monde sinistre, sordide malgré les paillettes de certains costumes sans jamais céder au misérabilisme car ces hommes aiment ce qu’ils font et ne savent d’ailleurs rien faire d’autre.
Le réalisateur n’élude pas l’aspect sentimental de la vie de son héros sans tomber dans un romantisme niais, bien au contraire. Randy essaiera maladroitement, naïvement mais avec une sincérité désarmante de se réconcilier avec sa fille. La scène à Coney Island est à ce titre sublime. Il poursuivra de ses assiduités toutes aussi pures une strip-teaseuse elle aussi fracassée par la vie (Marisa Tomeï dans son énième rôle de brave fille paumée au grand cœur ne m’a pas convaincue mais « énerve » beaucoup les garçons…). Mais c’est le ring, les cordes et les combats qui restent sa raison de vivre.
Revenons-en à Mickey Rourke ! Je m’étais promis de ne pas faire de parallèle entre le personnage qu’il interprète et ce que tout le monde connaît de sa vraie vie de bad boy, mais il est vrai que la frontière semble tellement mince entre les deux que je suis bien obligée de me résoudre à reconnaître que les deux semblent se confondre parfois. Cela n’empêche nullement Mickey Rourke, ex star sexy glamour des années 80 devenue has-been et indésirable par son acharnement à se détruire, de réussir ici le tour de force de nous émouvoir pendant 1 h 45 sans jamais nous appitoyer. Sa performance d’acteur digne, sensible, chaleureuse, humaine, douce, intelligente, d’une retenue exemplaire où on aurait pu craindre excès et cabotinage est ce qu’il m’a été donné de plus beau et admirable à voir au cinéma depuis longtemps. Sous la longue tignasse filasse jaunâtre dont il soigne particulièrement les racines, le visage presque méconnaissable où l’on retrouve néanmoins encore le doux regard d’ex séducteur sous les traits boursouflés et dans ce corps massif, puissant qui perd peu à peu de sa vigueur, le rare sourire, les larmes de Mickey Rourke sont bouleversants.
Darren Aronofski conclut son film et nous laisse comme son héros, en apesanteur.
Mais K.O.