Un millier d’années de bonnes prières de Wayne Wang ****
Yilan vit aux Etats-Unis depuis 11 ans. Elle vient de divorcer et son père qui vit toujours à Pékin lui rend visite pour tenter de la comprendre et de l’aider.
Avoir des nouvelles de Wayne Wang de cette façon est un pur bonheur même si (ou peut-être, bien que) son film soit un véritable crève cœur et provoque des palpitations vertigineuses. Le mur qui sépare le père et la fille est infranchissable. Le père a vite fait de se rendre compte qu’Ylan devenue occidentale n’a besoin de personne, et surtout pas de lui, pour se consoler de ce divorce. Et pourtant, il lui parle, lui parle sans cesse alors qu’elle l’a connu si silencieux, cherchant constamment son regard qu'elle détourne inévitablement. Il lui prépare des petits plats en abondance pour qu’elle reprenne des forces, qu’elle ne semble pas avoir perdues. On a du mal à comprendre comment cette fille a l’impudence d’être si froide, imperturbable et insensible à toutes les attentions et à l’intérêt que son père lui prodigue avec patience et douceur. Et alors que cet homme si sociable, est abordé dans les trains, les avions, dans la rue par tout le monde prêt à écouter les histoires de sa vie qu’il raconte inlassablement : l’amour pour sa femme, pour sa fille, son métier passionnant « constructeur de fusées »… il est rejeté par sa fille qu’il agace au-delà de tout. Elle en vient même à s’inventer des réunions et des sorties factices pour éviter le tête à tête du repas du soir. Plus il s’inquiète pour elle, plus il l’entoure et souhaite la rassurer en lui parlant de son enfance à elle, plus elle s’éloigne. Lorsqu’elle a la chance qu’il lui révèle pourquoi elle porte le prénom qu’elle porte (magnifique histoire), là encore, elle tranche cinglante « je la connais déjà cette histoire ». Qu’a-t-il bien pu lui faire pour qu’elle ne pardonne rien ? On le saura ; ça pourrait être décevant… ça l’est d’ailleurs, un court instant mais le réalisateur balaie cette légère contrariété en prouvant qu’au-delà de ce qui sépare cette fille et ce père, l’éloignement, leurs cultures, leurs façons de vivre, leurs langages (Ylan dira qu’ « en chinois, il est impossible d’exprimer des émotions »), les générations, il y a surtout les non-dits, les malentendus et la malveillance de certains. On ne peut pas parler alors de réconciliation, mais d’une sorte d’apaisement qui soulage mais ne console pas. Car contrairement au proverbe qui assure qu’il n’est jamais trop tard. Si, un jour il est trop tard, et pour toujours. Alors il faudrait que les filles et leurs pères se parlent, car le père sait des choses que les mères ne savent pas. C’est aussi ce que nous dit ce beau film, simple, pur, douloureux, d’une profondeur rare et inouïe. Un film fait pour les filles qui ont un père, forcément, et les pères qui ont une fille. Pour qu’ils cessent enfin de croire que la mère est la confidente idéale alors qu’elle ne fait souvent que l’éloigner de cette relation, la plus étrange et improbable qui soit…
C’est aussi un film sur la difficulté et bizarrement la facilité de communiquer. Comme s’il était plus simple de se livrer à un parfait inconnu. A cet égard les rencontres dans un parc avec une vieille femme iranienne, elle aussi exilée mais qui affirme « j’adore l’Amérique », sont des moments d’une douceur et d’une force incroyables. Deux mondes à nouveau se heurtent et s’expliquent tranquillement et se comprennent.
Ce film est un peu le prolongement ou le négatif du « Premier jour du reste de ma vie », un film sur les traditions, la famille/je vous « haime », en plus intimiste, moins démonstratif, mais tout aussi essentiel, providentiel. Un film émouvant, délicat, humain, intense, déchirant, à fleur de peau… qui parle ou devrait parler ou parlera peut-être au plus profond du cœur de l’enfant que l’on est encore et du vieillard que l’on deviendra peut-être…