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BLUE JASMINE de Woody Allen ****

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Ce n'est rien de dire que Jasmine a le blues...

Elle aurait même été vue errant et parlant seule dans la rue. Il faut dire que la vie de Jasmine a basculé. De grande bourgeoise à New-York, elle est contrainte de demander l'hospitalité à sa soeur Ginger à San Francisco. Soeurs elles le sont, mais par hasard puisque ce qui finalement les unit n'est "que" leur adoption par la même femme. Mais Ginger l'assure : "c'est Jeannette qui a hérité des bons gènes". Oui Jasmine s'appelle en fait Jeannette. Mais le prénom de Jasmine est à l'image de sa vie. Un leurre, un mensonge, un écran. Et les deux soeurs sont aussi différentes qu'il est possible de l'être. L'une blonde, bourgeoise, insouciante l'autre brune, caissière, les deux pieds dans le monde réel. Qu'est-il arrivé à Jasmine pour qu'elle en vienne à demander l'aumône à sa soeur tellement moins bien lottie qu'elle ? Le mari de Jasmine était un puissant homme d'affaires fortuné et leur vie n'était que luxe, réceptions et mondanités. Jusqu'à ce que Hal soit arrêté et déclaré escroc. Tout absolument tout est retiré à Jasmine, sa maison, sa fortune, ses amis. Elle ne possède donc strictement plus rien que ses quelques bagages Vuitton. Son arrivée dans le monde réel est un choc pour elle. Ce qu'elle découvre, l'appartement de sa soeur, ses deux enfants (un grassouillet, un hyperactif), le nouveau fiancé de Ginger (une brute vaguement sexy, Bobby Canavale au brushing le plus surprenant jamais vu), ses copains (pas bien haut de plafond et franchement relous)... est un univers, celui des prolétaires pour faire vite, dont elle ne pouvait même pas imaginer qu'il existe.

Alors Jasmine dégringole et s'illusionne encore en mélangeant les vodkas et les xanax à longueur de journées. Je n'irai pas jusqu'à dire que Woody parle de lutte des classes mais le naufrage de son héroïne, son déclassement, sa déchéance sont nouveaux chez le réalisateur il me semble. Il place le bon sens et la lucidité du côté des pauvres et ne pardonne rien à sa bourgeoise méprisante aussi exaspérante qu'il est possible de l'être. Et pourtant, dépressive, alcoolique, totalement désemparée, trahie même, cette Jasmine hautaine, tout infatuée d'elle-même, nous devient sympathique et on ne peut s'empêcher de la plaindre, de souhaiter qu'elle s'en sorte. Il faut sans doute pour réussir l'exploit de nous faire aimer cette femme d'un égoïsme phénoménal tout le talent d'une actrice combiné à celui d'un scénariste génial. Car même si elle s'y prend bizarrement et continue de penser et d'affirmer qu'elle vaut mieux que sa soeur, Jasmine fait des tentatives pour s'en sortir et se prendre en charge. Mais elle se déclare décoratrice d'intérieur avant même d'avoir commencé la formation en ligne qu'elle envisage et alors qu'elle ne sait pas se servir d'un ordinateur. Elle tente de travailler chez un dentiste mais il se montre trop entreprenant et on ne peut que l'approuver de quitter l'endroit. Puis, une embellie se profile. Elle croise la route d'un séduisant diplomate veuf qui tombe aussi sous le charme encore évident de Jasmine.

Et Woody s'acharne sur la déchéance de son personnage féminin. Il alterne moments de comédie et la vanité de Jasmine est parfois très risible, et glisse peu à peu vers le drame humain très angoissant de cette femme qui chavire et sombre. On se faufile avec maestria du passé new-yorkais prétentieux et superficiel au présent san-franciscain réaliste et sombre. Le suspens parvient à être total alors qu'on est absolument pas dans un thriller. Jasmine va t'elle se relever ? Et puis ce qu'on croyait être de la lâcheté et de l'inconscience chez Jasmine se révèle plutôt être de la naïveté et un excès de confiance. Car oui Jasmine aimait son richissime mari (Alec Baldwyn encore et toujours parfait) si attentionné avec elle mais volage, infidèle et surtout fripouille magouilleur. Et quand une amie parfois attentionnée lui faisait remarquer qu'elle devrait jeter un oeil sur les affaires de son mari, elle répondait qu'elle lui faisait une entière confiance et qu'elle n'y entendait rien aux chiffres. Jasmine est finalement une femme trompée, trahie, abandonnée !

Ce film d'un pessimisme suffocant est pour moi le plus triste, le plus désespéré, le plus désenchanté de Woody Allen pourtant toujours bercé par des airs jazzy du meilleur goût. Et la pierre précieuse, le diamant brut de cette histoire inquiète est évidemment Cate Blanchett victime consentante de son réalisateur. Jamais on a vu une femme tituber, chanceler avec autant de classe. Jamais (enfin si ici) il nous a été donné de ressentir les tourments, les supplices d'une dépression avec autant de réalisme. Le visage parfois ravagé de l'actrice est un livre ouvert.

Le dernier plan est un des plus sombres, des plus déchirants de l'histoire du cinéma et je pèse mes mots ! Mortel.

On sort de la salle anéanti.

Commentaires

  • Wouhaaa!!! Je suis sous le charme de ta plume. Si je ne t'avais pas marié en dignes épousailles, je te demanderais ta main. Celle avec laquelle tu écris et qui me ravit tant.

  • Tu peux me redemander ma main stu veux, je dirai oui :()

  • Oui, mais parfois, tu écris aussi bien qu'elle Hervé ! Votre prose rivalise d'humour et d'émotion et vient à moi au galop.

  • Oui il écrit drôlement rigolotement je trouve !

  • Aaaaaah j'attendais ton rapport ! Hâte de le voir ! Et heureuse que Woody se rappelle à nous par ce coup d'éclat

    Hey RV : joli commentaire !

  • GRAND FILM ! GRAND WOODY !

  • Bon ben, après les compliments de Mouche... Que dire de plus ?
    Euh.... Respects ! Merci aussi.

  • Et le film est bien beau, mais bien triste !

  • Je lis en diagonale, je vais vite aller le voir ..

  • Je suis presque totalement d'accord avec toi.
    Quel casting ! Et Cate ! Elle est vraiment impeccable !

    Une bonne claque à la sortie, mais j'aime ça.
    C'est quand même franchement cruel...

  • Pourquoi presque ???

  • Je vais éviter. C'est pas le moment.
    Et puis je vois double.
    Alors l'absence de moral dédoublé non merci. Et j'aime pas entendre causer de déchirements.

  • Les films qui me mettent KO j'adore !

  • Pascale,

    Sur la qualité du film, je crois que nous sommes d'accord à 100%.

    Sur le fond de la personnalité de Jasmine, en revanche, je dirais qu'elle n'est pas forcément "que" victime de la trahison de Hal. Elle ne mérite pas tout ce qui lui arrive, mais elle en est en (petite) partie responsable, je crois. Je n'ai pas très envie de détailler: j'ai peur d'en dire trop et de gâcher le plaisir de tes lecteurs qui n'ont pas encore vu le film.

    Le meilleur conseil à donner, et tu l'as fait, c'est d'aller le voir !

  • Ah oui je suis d'accord, elle n'est pas complètement "innocente". Elle fait très bien l'autruche et la pimbèche :-)

  • Je ne suis pas sortie anéantie, mais drôlement secouée tout de même. Il n'est pas tendre avec ses personnages Woody. Le contraste entre les deux sœurs et leur monde joue à plein, Cate Blanchett est formidable, la grande classe, et passé un premier moment d'exaspération, elle attendrit. Et la fin sur le banc ... on la plaint un max.

  • ah oui, il ne lui laisse pas beaucoup de chance à sa Jeannette.

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