Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LA PASSION TAVERNIER

25 avril 1941 - 25 mars 2021

Bertrand-Tavernier-25-2021-79_0_1399_933.jpg

Quelle tristesse jeudi après-midi d'apprendre la mort de cet homme, monument du cinéma français, réalisateur majeur mais aussi cinéphile passionné et infatigable !

J'ai eu le bonheur et la chance de le croiser à de multiples reprises au  Feu le Festival de Beaune, au Festival Lumière (du cinéma) dont il était le Président fondateur mais aussi au Festival du Film International du Premier Film d'Annonay avec joie suprême cette année-là le bonheur de partager sa table au restaurant. (Merci Gaël). Autant vous dire qu'être au restaurant en compagnie de Bertrand Tavernier est le meilleur régime possible : on l'écoute parler puis chanter et on oublie de manger.

J'ai vu pratiquement tous les films de Bertrand Tavernier je n'oserais jamais vous révéler lequel je n'ai jamais vu (mais je vais me rattraper). Je les aime tous mais s'il me fallait citer mon préféré je dirais sans doute Coup de torchon.

Les chaînes bouleversent leurs programmes :

Dimanche 28 mars :

à 21h05, L'horloger de Saint-Paul sur C8

à 21 h 05 Quai d'Orsay sur France 2

à 23 h L.627 sur France 2

Lundi 29 mars, à 21h05 Coup de torchon sur France 5

Sur ce blog vous pouvez retrouver mes chroniques à propos des films suivants : Dans la brume électrique (un film sublime), Quai d'Orsay, La Princesse de Montpensier (je regrette d'avoir raté la diffusion de ce BEAU film hier soir sur Arte) et son époustouflant et vertigineux Voyage à travers le cinéma français. Jeudi soir j'ai pu revoir Le juge et l'assassin, un film fascinant qui oppose Galabru et Noiret au sommet et qui s'achève sur les insurrection de la Commune réprimées dans le sang.

Il aimait le cinéma qu'il connaissait sur le bout des doigts, il adorait les acteurs qu'il sublimait dans ses films. C'était aussi un homme engagé qui "exprime, au gré de ses films, son aversion contre les injustices, son engagement contre la guerre, le racisme, les côtés sombres du colonialisme, la peine de mort et son combat contre les travers de nos sociétés contemporaines : délinquance, violence, chômage, misères physique et affective, drogue, sida."

Il apparaît sur la Fresque des Lyonnais que l'on peut admirer lorsque l'on visite la magnifique ville de Lyon.

42090550400_eac9db659a_n.jpg

7f0f47e95eaff7e121e907cc9456ce11.jpg

Voici le compte-rendu de la rencontre du1er février 2012 à Annonay. Les jours heureux...

en-decembre-2014-lors-du-6e-festival-europeen-aux-arcs-(savoie)-bertrand-tavernier-dans-la-tribune-etait-president-du-jury-du-festival-1616691419.jpg

2012-RPA-094_theatre25_tavernier-300x200.jpg

En préambule à cette «leçon de cinéma», un film d’une quarantaine de minutes est proposé au public en présence de Bertrand Tavernier. En sortant du Théâtre, une fois encore comble, on a davantage le sentiment délicieux d’avoir participé à un voyage à travers la filmographie mais aussi la cinéphilie du plus boulimique cinéphile de nos réalisateurs français. Retrouver ou découvrir pour certains les extraits d’une quinzaine de films du réalisateur nous met face à une « œuvre » considérable qui permet de re-goûter à des répliques telles que « …le crétinisme galonné » ou encore «le rêve n’a pas de mappemonde», de re-découvrir le génie d’un acteur tel que Philippe Noiret… Mais il ne s’agit pas de brûler les étapes d’une après-midi qui s’est révélée passionnante car Bertrand Tavernier n’a pas son pareil pour transmettre sa fougue contagieuse à un public conquis et attentif.

L’ironie du sort le fit naître à Lyon en 1941 dans la ville où naquit le cinéma. Dès 7 ou 8 ans le petit Bertrand adore qu’on lui raconte des histoires sur un écran puis rêver aux films qu’il y a vus. Vers 13 ans, c’est sans appel, en voyant La Charge Héroïque de John Ford, il décide qu’il fera du cinéma. Il vend des critiques à des journaux, crée lui-même un journal à la Sorbonne et rencontre rapidement Jean-Pierre Melville avec qui il sera très lié et notamment en tant que premier assistant sur Léon Morin prêtre. L’expérience lui semble déplorable car Melville est tyrannique et impitoyable sur un plateau, humiliant ses collaborateurs en public. Paralysé devant Melville comme le petit garçon qui haïssait les cours de maths et de gym qu’on lui imposait, Bertrand Tavernier se promet de ne jamais se comporter ainsi avec qui que ce soit. Si Melville s’enfermait dans son monde, vivait dans un appartement sans fenêtre, était insomniaque, Tavernier entend offrir un «cinéma de partage», des choses qu’il a découvertes, qui l’ont fait rire ou ému.

Il accomplit son premier vrai travail de cinéma en réalisant la bande-annonce de La 317ème section de Pierre Schoendoerffer. Mais il est convaincu qu’il n’a pu réellement commencer à exercer son métier qu’après avoir découvert la vie : se marier, avoir des enfants. Et c’est par l’adaptation d’un roman de Simenon L’horloger de Saint Paul qu’il a transposé à Lyon (l’intrigue se déroulait aux Etats-Unis) pour l’enraciner dans du concret, retrouver les décors de son enfance qu’il démarre sa carrière. Aidé en cela par Philippe Noiret qui n’a jamais abandonné le projet contre l’avis même de son agent et les refus des producteurs et distributeurs.

Evoquer la mémoire de Philippe Noiret : «Je lui dois tout» dit Tavernier, son ami de toute une vie, est une douleur qui le mène jusqu’aux larmes et fait passer un courant d’une tristesse insondable dans toute la salle. Avoir côtoyé cet homme, il l’affirme, a éclairé sa vie et fut un honneur.

Engager Galabru « je ne voulais pas d’autre acteur que lui », qu’il a sublimé dans Le juge et l’assassin fut une autre rencontre géniale. Malgré quelques craintes face à la carrière chaotique et les films «débiles» de Galabru à qui certains réalisateurs donnaient pour seule consigne «tâche d’être très con». Galabru aurait d’ailleurs demandé à Noiret : «Comment fait-on pour jouer dans un bon film ?» qui aurait répondu «Tu verras Michel, c’est très facile !»

Tavernier a la passion de découvrir des acteurs ; certains qui n’ont jamais joué tels Louis Ducreux, Dexter Gordon, ou des plus jeunes comme ceux de la troupe du Splendid, Nicole Garcia qui étaient tous dans Que la fête commence ou encore Marie Gillain. Il repère Philippe Torreton dans Le malade imaginaire, admire l’improvisation et la grâce d’Isabelle Carré et Jacques Gamblin, est impressionné par ce que Mélanie Thierry propose dans son interprétation de La Princesse de Montpensier. Ses acteurs sont ses héros et sa façon de les diriger c’est aussi s’adapter à ce qu’isl proposent et pas seulement leur imposer sa vision.

Sa prédilection pour les plans séquences vient du fait qu’il entend privilégier des scènes sans artifices, sans donner l’impression de manipuler l’émotion. La découverte du bébé qu’Isabelle Carré et Jacques Gamblin adoptent dans Holly Lola par exemple, s’est faite en un seul plan. La durée d’une scène n’est pas une «religion», elle fait partie de la dramaturgie et s’impose parfois pendant le tournage. La lenteur peut être belle. Il faut savoir affronter l’impatience du spectateur au lieu de l’anticiper en multipliant les plans fragmentés comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Evidemment le rythme est rapide mais cela rend le film impersonnel. Cela dit ne faire que des plans séquences serait aussi abstrait que d’écrire un roman sans ponctuation ! Le cinéma nous affirme encore Tavernier est comme la musique. Il y a des andante, puis on diminue le tempo.

Lorsqu’on lui demande qu’elle est l’influence du cinéma américain sur son travail à lui qui a écrit «50 ans de cinéma américain», il dit que ce cinéma a atteint l’over dose d’individualisme, qu’il est souvent le chantre du «chacun pour soi». Un homme est souvent seul contre tous et peut changer le cours des choses voire les institutions. Il prend le contre-pied de ce fonctionnement et privilégie les combats collectifs, propose une fin ouverte dans ses films où peu de choses sont résolues. Les flics de L-627, l’instit’ de ça commence aujourd’hui continuent leur chemin au-delà du film. On n’est pas obligés d’être en accord avec les personnages des films. En cela aussi Bertrand Tavernier veut se différencier de ce principe d’identification cher au cinéma américain qu’il admire tout en s’en démarquant.

Cet amoureux du cinéma rêve de tourner sa Lettre d’amour au cinéma français comme Scorsese l’a fait pour le cinéma américain. Il l’affirme «ce sera partial, partiel et me permettrait de continuer à m’interroger sur le fait que celui que je considère comme un génie a pu écrire des lettres infâmantes concernant les juifs pendant la guerre». Jean Gabin aurait dit de Jean Renoir «il m’a tout appris. Mais comme metteur c’était un génie, comme homme, une pute» ajoutant encore «quand on est le fils d’Auguste Renoir, on ne se fait pas naturaliser américain».

On reste bouche bée à écouter Bertrand Tavernier parler de cinéma. Intarissable, multipliant les anecdotes à propos des uns et des autres, son enthousiasme communicatif, son humour, son amour démesuré pour le cinéma ont fait de ses heures à l’écouter un des moments forts du festival. Evoquer Gabin qu’il aurait aimé «affronter» dans un film, mais aussi les «dialogues miraculeux» de Michel Audiard qu’il cite avec gourmandise : «sans l’invention des sulfamites elle aurait vérolé toute la Charente», «on faisait chambre commune et rêves à part ». Il donnerait tout pour que celui qu’il aurait envie «de serrer dans ses bras» pour avoir écrit de telles répliques  : «Quand on a épousé une banque on ferme sa gueule», « Je suis pour l’Europe des travailleurs contre l’Europe des actionnaires»…

Bertrand Tavernier dit qu’il fait chaque film comme s’il s’agissait du premier. Que son bonheur est de continuer à rencontrer des gens. Que son enthousiasme est intact. Que chaque rencontre lui donne le sentiment d’être plus intelligent, qu’il en est chaque fois un peu plus ouvert. Qu’il apprend.

Pour nous, chanceux qui avons rencontré Bertrand Tavernier, avons eu le bonheur de chanter du Bobby Lapointe au restaurant le midi, et partager quelques heures à l’écouter parler de notre passion commune, nous avons la certitude grâce à lui d’aimer encore un peu plus le cinéma aujourd’hui et de savoir pourquoi.

On a pas fini de lui rendre hommage. On pense à Nils et à Tiffany.

Commentaires

  • Il aura marqué le cinéma français. Ces films sont impressionnants par la diversité des sujets. C’est vrai, son coup de torchon reste un de ses meilleurs ! Il manquera

  • J'ai revu Le juge et l'assassin et hier Quai d'Orsay. C'est incroyable la diversité. Et hier j'ai explosé de rire devant la prestation de Thierry Lhermitte.

  • Très triste aussi jeudi soir et j'ai tout de suite pensé à toi. J'adorais l'écouter et je passe d'une radio à l'autre, on rediffuse beaucoup depuis jeudi. J'ai vu beaucoup de ses films, tous aimés dans leur diversité. J'en ai peut-être raté, je n'ai pas vérifié. Allez, n'aie pas honte, dis-nous celui que tu n'as pas vu ;-)

  • Oh merci. Quand j'ai entendu la nouvelle j'ai lâché tout haut : oh non !
    J'ai trop honte, je n'oserais pas... Tu peux deviner si ça t'amuse :-)

  • Merci. Je suis surprise que tu ne l'aies pas rencontré. C'était assez simple.

  • Tu as eu l'immense privilège de l'approcher. Je suis un peu jaloux, j'avais tellement envie d'échanger avec lui. A force de le voir parler de mes cinéastes préférés, de commenter les westerns dans les bonus DVD, j'avais l'impression de le connaître un peu, de l'inviter dans mon salon, partageant un bout de canapé avec lui. J'avais l'impression de revivre la belle époque des ciné clubs.
    J'ai revu hier soir le formidable "coup de torchon" que tu affectionnes tant (je publierai mon article d'ici peu), et le l'écoutais parler du film avec Noiret dans les bonus, passionnant comme toujours, multipliant les anecdotes sur Aurenche, Trauner, etc...
    Tavernier, on a peu insisté dessus, était aussi un formidable documentariste. Je pense à "la guerre sans nom" qui m'avait marqué, "voyage à travers le cinéma français" bien sûr aussi. On lui doit des documentaires qui ont fait bouger les lignes, ont influé sur la législation comme il le rappelle dans le très beau documentaire qu'à fait sur lui NT Bihn, que je viens de visionner.
    Et pour finir (on pourrait encore disserter longuement sur Tavernier), je dirais que pour un type qui avait un problème de rétine (ce qui le rapprochait sans doute de Ford, Walsh ou Lang) , c'était quand même un sacré œil de cinéma !
    Il nous manquera.

  • Tu peux être jaloux, c'étaient toujours de grands moments. Quand il présentait les films à Lyon, c'était passionnant. Il s'enflammait et on avait toujours l'impression qu'on allait voir un chef d'œuvre. Et ses anecdotes étaient toujours savoureuses. Pas une seconde d'ennui avec lui.
    Je ne connais pas les docus dont tu parles mais moi j'ai déjeuné avec lui.

  • Bonjour Pascale, j'ai revu Coup de torchon hier, c'est vraiment bien. Il faudrait que la télé rediffusion La vie et rien d'autre, son chef d'œuvre. Bonne journée et merci pour cet hommage.

  • Bonjour Dasola, Je l'ai revu aussi. Quel film !
    J'ai commandé la Vie et rien d'autre en DVD.

Écrire un commentaire

Optionnel