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PROFESSEUR YAMAMOTO PART À LA RETRAITE

de Kasuhiro Sôda ***

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A 82 ans le professeur Yamamoto prend sa retraite. A cette idée, ses patients sont de plus en plus déboussolés et lui ne sait pas vraiment comment affronter ce moment.

Ce bouleversement de cesser ses activités professionnelles, le professeur Yamamoto qui n'en a manifestement que faire de la retraite à 60, 62, 64 ou 65 ans, ne l'a pas vu arriver et ne semble pas bien prêt à l'affronter. Je l'ai d'ailleurs trouvé bien diminué physiquement à la fin du film. Est-ce la conséquence d'avoir consacré sa vie aux autres et de cesser son activité ?

Ce monsieur, connu sous nos latitudes grâce aux deux documentaires que le réalisateur lui a consacré, l'un en 2008 (Mental) et celui-ci, est un pionnier de la psychiatrie au Japon. Il a une approche médicale basée sur la qualité de soins humains la chaleur et le lien affectif pour guérir les malades (là, je lève les yeux au ciel en me demandant quand cela arrivera en France), on croit rêver. Et l'on comprend bien pourquoi à l'annonce de cette retraite, les patients du doux docteur se trouvent complètement désemparés.

La première partie du film composé de deux parties bien distinctes qui n'empièteront jamais l'une sur l'autre, est consacrée aux consultations dans le cabinet très spartiate du Docteur Yamamoto, un tout petit bureau, deux chaises, une plante anémique. Le réalisateur ne cherche pas à cacher sa présence même si on ne le voit jamais, il lui arrive parfois d'intervenir et demande d'ailleurs l'autorisation aux patients d'être filmés. Il n'y a aucun commentaire en voix off, aucune musique (mais on se serait bien passé des deux scènes avec un chat très moche, presqu'effrayant et très amoché). L'un des patients allume un petit enregistreur pour conserver les dernières paroles du psychiatre. "Je suivrai vos conseils tout au long de ma vie" dit l'un d'entre eux. D'autres essaient de trouver une astuce, une solution pour que le docteur continue de les recevoir. C'est très touchant. Et le vieux monsieur prodigue ses conseils de sagesse. Eprouver de la reconnaissance, de la gratitude d'avoir à manger quand d'autres n'ont pas cette chance par exemple. Se réjouir d'être en vie, "si je te frappe sur la tête, tu n'aimes pas, mais si tu ressens quelque chose, c'est que tu es en vie". Cela peut paraître insuffisant voire simpliste ou même grossier face à la misère ou la détresse morale, mais la gratitude est sans doute le sentiment le plus puissant qui existe et le patient est attentif. Cette partie est infiniment touchante car on perçoit toute la vulnérabilité de ces êtres et toute l'empathie de l'humble et généreux docteur qui ne cesse de valoriser, d'encourager ses patients. "C'est toi qui as fourni le plus gros travail" ou encore "Tu m'as appris à quel point l'humain peut être exceptionnel". Et son discours face à ses collègues au moment de partir à la retraite résume en quelques mots absolument tout ce qu'il ne faut pas faire et dire face à une personne atteinte d'une maladie mentale ou dépressive. Bizarrement, c'est plutôt drôle.

Lorsque l'on quitte la clinique du docteur pour se rendre chez lui, on découvre un logement minuscule aux pièces qui semblent se chevaucher les unes les autres, encombrées du sol au plafond de divers sacs dont on se demande ce qu'ils contiennent, la vaisselle s'entassant dans l'évier. Et surtout, on fait la connaissance de Yoshiko, la femme du docteur atteinte de façon très grave par la maladie d'Alzheimer ce fléau. Elle lui vole littéralement la vedette car avec sa présence ratatinée, sa démarche hésitante, courbée en deux, elle est profondément bouleversante. Dépendante y compris pour se rendre aux toilettes, elle paraît perdue et semble faire de son mieux pour répondre aux questions qu'on lui pose ou agir comme on lui demande mais toujours avec une infinie douceur. Elle entend un chien aboyer et sort pour trouver la raison de ces aboiements, le réalisateur la suit, elle ne sait plus comment s'ouvre la porte. Dehors, il n'y a pas de chien.

Toutes les scènes sont des plans séquences sans interruption où le réalisateur suit le docteur ou sa femme. Il est invité à boire le thé mais le problème c'est... préparer le thé. Et l'on voit le docteur, chercher dans le fatras de la cuisine, trois tasses ou trois verres propres. Mission impossible. Finalement, le réalisateur sera invité à manger. On commandera donc des sushis. Impossible pour les deux "vieux" de préparer à manger. C'est terrible, c'est un crève coeur. Chaque geste ressemble à une épreuve, un challenge. Comme ouvrir une bouteille de saké. Là, c'est le professeur qui s'y colle et met au moins cinq minutes à trouver l'astuce pour l'ouvrir. On a envie de l'aider.

Et puis, il y a la visite chez une amie, la meilleure amie de Yoshiko, sa confidente, son âme soeur comme elle l'appelle. Elle ne cesse de secouer, d'embrasser, de caresser la pauvre Yoshiko de plus en plus recroquevillée sur elle-même. Avec ses bleus au visage, on imagine qu'elle doit souvent chuter ou se cogner. Elle est incapable de participer à la conversation... plutôt au monologue. La dame de 82 ans, très en forme ne cesse d'accabler le médecin de reproches, l'accusant d'avoir hébergé des patients parfois dangereux, de les avoir aidés financièrement au détriment de Yoshiko qui préparait les repas et devait protéger leurs enfants des patients. Le toujours calme et très patient docteur ne l'interrompt pas et admet qu'il a négligé son épouse et remercie cette femme d'avoir été son amie. Saint homme.

Quelques extraits en noir et blanc du documentaire Mental nous montre Yoshiko 15 ans plus tôt, belle femme encore, dynamique et dévouée à son mari et ses malades. Aujourd'hui, entourée de quelques photos qu'elle parvient encore faiblement à commenter, s'accrochant parfois à la main de son compagnon, elle semble prisonnière de sa sénescence avec déjà un pied ou peut-être la tête dans un autre monde.

La dernière longue scène nous emmène au cimetière où le professeur et sa femme vont rendre hommage aux parents décédés car il faut également montrer sa reconnaissance aux morts. Le périple pour y parvenir est une nouvelle aventure périlleuse. Lorsque le véhicule est garé, il faut emprunter un chemin de graviers qui grimpe puis enjamber des tombes et des pierres pour parvenir hors d'haleine à la tombe à nettoyer pour s'apercevoir que l'encens ne pourra être allumé faute d'allumettes. On craint déjà pour le trajet inverse et étrangement, sur le chemin du retour c'est Yoshiko qui ne cesse de dire à son mari : "fais attention de ne pas tomber".

Vous l'avez compris, ce film n'est pas une folle partie de rigolade. Et au lieu de voir l'histoire d'un homme qui a consacré sa vie à son métier et prend enfin une retraite méritée, on découvre deux personnes très âgées, au bout du rouleau qui nous forcent à nous interroger sur la pertinence de vivre aussi longtemps désormais si c'est dans ces conditions ! Même si vieillir avec le compagnon qu'on a tant aimé est un rêve, un luxe qu'on ne peut pas forcément s'offrir, alors que dire d'être seul(e).

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Commentaires

  • Première réaction "à chaud", juste après la lecture...
    J'ai envie de te demander si tu as vu le dernier film d'Akira Kurosawa, "Madadayo" ?

  • Tu as envie et tu n'oses pas ?

  • Non, je suppose juste un parallèle possible entre les deux films. Même si "Madadayo" est une fiction. Que je te recommande, si tu ne l'as pas vu... et, un jour, en a l'occasion. C'est un film rare.

  • Je plaisantais...
    Non je n'ai pas vu et n'en ai même jamais entendu parler.

  • Et moi, je pensais que tu me demandais si j'avais envie... de voir le film !

    Pour "Madadayo", au cas où :
    http://1001bobines.blogspot.com/2021/08/les-choses-de-la-vie.html :)

  • Non comme on en était au décorticage des expressions (une de mes marottes), et comme tu disais : j'ai envie de te demander... je te répondais, tu as... bon tu sais ce que je t'ai répondu.
    Mais mon humour lourdingue ne passe pas toujours la barre des commentaires.

  • Comment est-ce possible de n'avoir pas entendu parlé de Madadayo ? Comment est-ce possible même de ne l'avoir jamais vu ? Je reste perplexe, muet même... les bras 'en tombent et peut-être même plus...

  • Madada fait partie de mes NOMBREUSES lacunes.
    Pardon, j'ai honte.
    J'espère que l'essentiel n'est pas tombé.

  • Il pourrait pas en faire un bouquin ? Je suis sûr qu'il m'intéresserait de suite ! Parce que "ça", ça va pas passer dans mes salles...

  • Kazuhiro Soda a publié un livre avec le professeur Yamamoto. Il s’agit de la transcription d’une conversation de deux jours. Le cinéaste précise : "Il s’intitule hito-gusuri, ce qui peut se traduire par «médecine humaine ».

  • Si je lis bien ton article inspiré, ce sera le film de ce début d'année pour Philippe Martinez et Laurent Berger pour nous montrer ce qui nous attend bientôt si on veut une retraite à taux plein. ;-)
    Comme dirait Colm : "j'ai plus de place pour l'ennui".
    Pas vu "Madadayo" non plus si ça peut te rassurer.

  • Inspiré... pousse pas, n'essaie pas de me flatter parce que tu prends ton temps pour aller à Inisherin. Mais j'ai cru comprendre qu'il y avait du mieux. Le ferry part à 15 h 50.

    Berger et Martinez seraient sans doute lynchés au Japon de tant d'impertinence. "Comment ça vous ne voulez pas travailler jusqu'à 90 ans ???" 6 coups de taser (#Keenan :-(' )
    Mais ne plus laisser de place pour l'ennui, je suis d'accord même si je n'ai pas l'impression que je m'ennuierais avec Colin Farell.

    Merci pour Madadayo, je me sens moins seule.

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