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OPPENHEIMER

de Christopher Nolan ****(*)

Oppenheimer

avec Cillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon, Florence Pugh, Robert Downey Jr, Josh Hartnett, Casey Affleck, Rami Malek, Kenneth Branagh, Jason Clarke, Alden Ehrenreich, Tom Conti, Dane DeHaan, Matthew Modine, Gary Oldman

"Prométhée a dérobé le feu sacré de l'Olympe pour en faire don aux humains. Courroucé par cet acte déloyal, Zeus le condamne à une torture éternelle."

Puisque je tourne autour de mon clavier depuis que j'ai vu ce film, perdue entre fission et fusion, j'ai préféré reprendre la citation qui évoque le calvaire de Prométhée que Chris Nolan met en exergue de son film pour tenter une approche.

Si Oppenheimer (Oppie pour les intimes) n'a pas subi de torture, il a été glorifié puis discrédité et enfin réhabilité. Sa découverte et ce qui en a été fait lui ont valu le surnom de "père de la bombe atomique", mais lui, rongé par la culpabilité trouvait plutôt qu'il avait du sang sur les mains, qu'il avait modifié à tout jamais le monde dès lors qu'il avait à sa disposition une arme de destruction massive. Et il prononce ces mots terribles :

"je suis devenu la mort, je suis le destructeur des mondes".

Libération déteste le film qu'il trouve relaté comme : "une histoire simpliste, ennuyeuse, idiote". C'est plutôt une bonne nouvelle pour Nolan et moi je trouve l'histoire complexe, passionnante et intelligente. Bien sûr, je ne peux nier que la complexité de la narration et l'abondance de personnages (tous ne sont pas indispensables) exigent d'être dans une forme olympique internationale pour suivre sans se perdre ces 3 heures et 1 minute de considérations humaines et scientifiques. Et comptons sur Christopher Nolan pour ne pas nous laisser nous endormir avec aussi une musique ronflante (dommage que Hans Zimmer ne fasse pas partie du projet) qui parfois accompagne les moments forts, ce qui évidemment gêne beaucoup les détracteurs du film. Pas moi.  Et au-delà du récit du Projet Manhattan, le film est aussi le portrait d'un homme ténébreux, énigmatique et pourtant terriblement charismatique. Qui fut un temps aussi très perturbé psychologiquement sans doute par le mal du pays lorsqu'il était en Europe, et ses visions nocturnes au point d'avoir voulu assassiner un de ses professeurs qui n'était pas tendre avec lui. 

Le film n'est pas à proprement parler un biopic puisqu'il se concentre en priorité sur le Projet Manhattan chargé de mettre au point la bombe atomique mais de nombreux éléments de la vie privée d'Oppenheimer nous sont révélés. Notamment sa relation passionnée avec Jean Tatloc (magnifique Florence Pugh), brillante jeune femme psychiatre, insolente et libre "mais" militante communiste, ce qui vaudra des ennuis plus tard à Oppenheimer. Face aux atermoiements de la jeune femme pourtant très amoureuse, Oppie épousera Kitty (Emily Blunt, très bien, froide et sèche) avec qui il aura deux enfants (très gênants pour le couple incapable de s'en occuper, "nous sommes des monstres d'égoïsme" dit Robert), très portée sur la bouteille mais finalement un solide pilier, un soutien indéfectible dans la vie de son infidèle époux qu'elle trouvait insuffisamment combatif, notamment lors de la fameuse Audition de sécurité au cours de laquelle le scientifique est suspecté d'espionnage au service de l'URSS, mis en cause par Lewis Strauss (interprété avec gourmandise par Robert Downey Jr.) homme d'affaires influent, scientifique raté, mais ambitieux et jaloux. Ombrageux aussi à cause de la relation qui liait Oppenheimer à Albert Einstein (deux savoureuses apparitions dans le film) et dont la théorie de la relativité apparaît datée à Oppie (c'est drôle de l'entendre dire : "Einstein est un scientifique de SON temps") mais également vexé par un petit affront.

Jamais je n'aurais pensé qu'un film qui regroupe autant des plus éminents scientifiques du XXème siècle puisse me passionner. Entendre que la gravité des étoiles avale la lumière, qu'elles s'effondrent et meurent en silence, qu'il faut diviser le noyau d'uranium, trouver qu'une formule mathématique inscrite au tableau puisse avoir autant de gueule. Et pourtant, si je suis loin d'avoir saisi toutes les subtilités, c'est passionnant. Et comme Oppenheimer est un expert en mécanique quantique, en astrophysique, il est nommé par le (bientôt) général Leslie Richard Groves Directeur scientifique du Projet Manhattan (Matt Damon, imposant). Le général aurait préféré aller faire la guerre aux nazis en Europe mais puisqu'il avait été l'un des instigateurs de la construction du Pentagone, le gouvernement l'estimait compétent à mener le projet. Au départ il s'agissait de prendre de vitesse l'Allemagne nazie qui compte dans ses rangs l'éminent physicien nobelisé et qu'Oppenheimer admire, Werner (Walter White) Heisenberg. Qu'Hitler soit doté de l'arme nucléaire est impensable mais sa détestation des juifs est un frein aux recherches et aussi le fait qu'Heisenberg admirateur d'Einstein est accusé de pratiquer une "physique juive". Le projet américain consiste à mettre au point l'arme fatale dans un laboratoire ultra-secret et Oppie, cow-boy à ses heures perdues choisit de l'implanter au Nouveau-Mexique à Los Alamos en plein coeur des terres indiennes. Une ville est construite en plein désert (et reconstituée pour les besoins du film puisqu'elle compte désormais un Starbucks difficile à mettre hors champ...) et les familles y sont regroupées et tenues au plus grand secret avec interdiction de quitter les lieux.

Je me disperse... Le film est passionnant donc en totalité et atteint des sommets lorsqu'il évoque les craintes et le dilemme moral d'Oppenheimer. Lorsqu'Hitler se fait sauter le caisson, il estime que cette course à l'armement nucléaire n'est plus une urgence, mais les japonais (pourtant au bord de la reddition) s'obstinent et Pearl Harbour reste une sale pilule difficile à digérer pour les américains. C'est donc avec le projet de lâcher une bombe atomique sur une ville (puis deux) japonaise(s) les 6 et 9 août 1945 que l'essai Trinity est programmé au 15 juillet. Oppenheimer craint une réaction en chaîne lors de l'explosion. Une réaction qui enflammerait l'atmosphère et détruirait la planète, moment magnifiquement mis en scène dans l'image finale. Le risque est proche de zéro mais pas nul. La scène de l'essai que la météo vient contrarier est palpitante. Oppie lâche un : "c'est rude pour le coeur ce moment". Il en va de même pour le coeur du spectateur. Jusque là, le scientifique était encore convaincu que l'arme nucléaire ne pouvait être que dissuasive, qu'elle rendrait toute guerre future inconcevable et pourtant il participe au choix des cibles pour larguer les deux premières. Cette vision des choses de "militer" pour la non prolifération des armes nucléaires finira par le rendre suspect aux yeux des autorités en plus de ses amitiés avec des encartés communistes en plein maccarthysme (ça ne se fait pas).

Une fois encore Christopher Nolan réussit la synthèse entre film d'auteur et film grand public. Malgré sa complexité, je le trouve moins alambiqué que tous ses précédents. Son Oppenheimer est passionnant de la première à la dernière image. Flamboyant et désespérant comme son sujet. Oppenheimer finit par subir une prise de conscience, halluciné  par sa "création" dont il perd le contrôle, conscient et visionnaire des catastrophes à venir et finalement la réaction en chaîne redoutée est intervenue aussitôt avec la guerre froide. Le film évoque parfaitement le triomphe et la tragédie de Robert Oppenheimer (le film s'inspire d'American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer de Kai Bird et Martin J. Sherwin et récompensé d’un prix Pulitzer). 

Quelques traits d'humour allègent très brièvement l'aspect totalement anxiogène et désespéré de l'histoire. Nolan s'entoure d'un casting scintillant dont quelques habitués, Matt Damon, Kenneth Branagh, mais son choix de placer en première ligne Cillian Murphy (beauté inquiétante et maigreur impressionnante) investi comme un dingue dans ce rôle écrasant est tout simplement génial.

Attention : ce film reste bien en tête des heures, des jours après l'avoir vu.

Commentaires

  • Vous nous confortez dans l'idée d'aller le voir !

  • J'ai trouvé ce film absolument passionnant.

  • Je n'avais pas vu qu'il faisait 3 heures bien sonnées. Je ne suis pas sûre de me passionner autant que toi .. je vais réfléchir. Sur France Inter ce matin, une fille le défendait, tout en regrettant la musique trop tonitruante et deux trois autres trucs encore.

  • Je connais peu de gens dans la vraie vie qui se passionne autant que moi :-) Je fais peu dans la demi mesure comme tu as déjà pu t'en rendre compte :-)))
    La musique tonitrue par moments mais ne m'a pas dérangée du tout, au contraire, ça ajoute au "stress" parfois. Mais j'ai regretté que ce ne soit pas le génial Hans Zimmer qui soit à la partoche.

  • Et bien merci Nolan, même pas un petit truc qui cloche !!
    Il se disputera la première place avec The Fabelmans, La famille Osada, Love life...

  • J'ai adoré ce moment où, quand on lui demande ce qu'on pourrait faire de cette zone sur laquelle on a construit en urgence toute une base de recherche, il répond : "on va la rendre aux Indiens". Magnifique.
    Grand, immense film en effet. Libé et leurs copains des Inrocks me feront toujours rire.
    "Qu'Hitler soit doté de l'arme nucléaire est impensable mais sa détestation des juifs est sans doute un frein puisqu'évidemment Heisenberg est juif." Je ne sais pas d'où tu tiens qu'Heisenberg était juif ? (il y a pourtant une belle croix chrétienne sur sa tombe à Munich). Je crois surtout, comme il est dit dans le film, que ce grand savant germanique a souffert de l'antisémitisme d'Etat qui a fait fuir tous les cerveaux qui auraient pu l'aider dans ses recherches.

  • Ah , j'oubliais : ce morceau d'archive de Oppie que tu nous as dégotté me crucifie.

  • Oui c'est merveilleux cette réponse. J'avais envie de le serrer dans mes bras.

    Bon pour Heisenberg, j'ai mal compris. J'ai compris que l'antijuiverie de Hitler avait été un frein et j'ai cru que c'était contre Heisenberg et qu'il était donc juif. C'est grave ? Tu m'en veux ? T'es fâché ?

    Libé et les Inrocks me font pitié. Ça doit être dur à vivre cette aigreur.

    Quel film !

  • Ce moment m'a crucifiée aussi.
    Je l'ai regardé plusieurs fois...

  • Comment t'en vouloir ?

    Cet air grave devant la caméra (que Murphy parvient à restituer partiellement)... et je ne rêve pas, c'est bien une larme qu'il écrase dans un geste bref ?
    Le film joue bien sûr cette ambivalence du personnage qui, malgré le poids de cette responsabilité dans le changement paradigme de l'équilibre mondial, profite des lauriers de ce succès scientifique pour retrouver une position éminente. Manque peut-être une heure de film sur cette traversée du désert avant la présidence Kennedy.

  • Ouf :-) je vais essayer de tourner ma phrase différemment.

    J'hésite à savoir si c'est une larme mais il semble tellement accablé... Et cette voix d'outre-tombe !!!
    Cillian EST Oppie.
    Oui, une petite heure pour la traversée du desert en plus je serais pas contre.

  • Et tiens, cette archive va te mettre KO.
    Oppie en français dans le texte qui rêve que l'on retrouve le sens commun et que soit créée une communauté humaine... Il doit faire des cauchemars dans l'au-delà.
    https://youtu.be/q4jziDNb5dg

  • Passionnant, de bout en bout. Beaucoup de monde, effectivement, ça cause beaucoup, fusion, fission, ça joue aux billes, mais ça a un rythme fou et prenant. Mais malgré tout, c'est moins compliqué que les autres Nolan, parce qu'ancré dans la pure et triste réalité...

    (et puis, y'a Casey...)

  • Mais c'est vrai qu'ils prennent le temps de jouer aux billes ces fainéants !
    Beaucoup moins tarabiscoté que le Nolan ordinaire mais bien chiadé quand même.

    Oui Casey coeur coeur coeur et sa voix de canard, et tant d'autres.
    Josh Hartnett que j'avais toujours trouvé très fadasse m'a bien impressionnée. Belle présence.

  • J'ai vraiment hâte d'aller découvrir ce film ! J'espère pouvoir trouver le temps bientôt.
    Belle fin de journée !

  • Je vous souhaite de trouver le temps.

  • Un très bon film de divertissement ET une œuvre engagée. De la part de Nolan, c'est un peu surprenant. J'ai beau préférer quand il se fait des nœuds dans la tête, c'est sans doute le meilleur film de l'été (même si, du point de vue de l'action, le "Mission impossible" est pour moi sans rival).

  • C'est spectaculaire et instructif. J'ai lu une remarque de spectateurs : on dirait un documentaire... C'est tout sauf un documentaire.
    Comme chaque été, il y a d'excellentes choses.

  • J'attends que la folie Barbenheimer se calme pour aller le voir, il est sur ma to do !

  • Quel bonheur le cinéma en province. Les séances sont accessibles dès le 1er jour.

  • Film dense, génial. Tellement de subtilités (monde scientifique qui m’échappe) que je le reverrais bien une seconde fois .

  • Je comprends l'envie de le revoir pour découvrir certaines subtilités.
    Je l'ai fait :-)

  • Vu 3 fois. C’est de l’art ce film. Il conjugue tant d’aspects, que l’on est captiver de À à Z. Jamais je me suis ennuyée. Pour le 2ème visionnage j’ai lâché une larme pour la musique… je suis obsédée par ce film. C’est mon 1er Nolan vécu au ciné et je ne suis pas prête d’oublier ça. La performance des acteurs, la musique, la photographie.. tout est parfait. Ce film je le met derrière Interstellar.
    Une remarque sur le fait qu’il y ait quand même des gens qui trouvent le film vide, ennuyeux et que la musique est envahissante. Je pense que ce public n’a absolument rien compris à l’art du cinéma. C’est probablement des gens qui sont aller voir Barbie et qui ont aimé ce film.

  • Je comprends parfaitement qu'on puisse voir ce film plusieurs fois. J'ai aussi été "hantée" pendant plusieurs jours. Je l'ai revu en VF pour ne plus passer mon temps à lire et j'ai pu profiter du "spectacle".
    Le plus impressionnant pour moi reste le décalage entre l'explosion et l'arrivée du son...

    Je pense qu'aucun film ne fait jamais l'unanimité.
    J'ai aussi apprécié Barbie, que j'ai quand même trouvé trop long contrairement à Oppie. Leurs dates de sortie font qu'ils sont mis en parallèle (ce qui choque compréhensiblement les japonais). Je trouve que cela ne sert aucun des deux films. Et tant pis pour ceux qui trouvent cela ennuyeux.
    Interstellar et Inception je les ai vus et revus... ça marche toujours.

  • On ressent bien l'intérêt que tu portes au film dans ton texte. Il est en effet parfois passionnant, mais comme tu l'as lu chez moi, je regrette qu'il ne laisse pas une impression plus durable.

  • Te souviens tu du film Dead Again ?
    Qu'a dit Oppie à Einstein ? Est ce que c'était vraiment important ?
    Strauss aurait quand même élaboré et mis en pratique son plan machiavélique
    Mais surtout Cylian sera t il en mesure de soulever son oscar l'année prochaine ?
    Demandera t il de l'aide à Florence qui est légèrement plus costaud ?
    L' IA imposera t elle comme dans ce film de transformer des acteurs de premiers plans en simples figurants ?
    Ce film provoque une explosion de question

  • Je me souviens parfaitement de Dead again que j'adore. Mais peut-être pas tant que cela car je ne vois pas le rapport.
    Cillian va reprendre du gras d'ici février mars prochains j'imagine.

  • Bonsoir Pascale, ça y est, j'ai enfin vu ce film passionnant de bout en bout. J'ai été bluffée par le montage. Bonne soirée

  • Bonjour dasola,
    Il n'est jamais trop tard pour voir un tel film.
    L'acteur est parfait aussi non ?

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