LE ROYAUME
de Julien Colonna **
Avec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti
Corse 1995. Lesia a 15 ans et s'apprête à vivre un été d'insouciance où devraient se succéder les soirées entre amis et les sorties avec son amoureux.
Alors qu'elle se rend à la plage pour le retrouver, sa tante chez qui elle vit, la confie à un homme à moto chargé de la conduire dans une villa isolée où se trouve son père et "ses hommes". Lesia n'a pas son mot à dire et même si elle sait que la bande fait partie "du milieu", elle est toujours en retrait des discussions et des décisions. Si au début elle n'apprécie guère ces vacances et souhaiterait rentrer au village chez tata, peu à peu elle se rapproche de ce père tendre et charismatique (le très impressionnant Saveriu Santucci). Lorsque la police découvre la planque, Lesia et son père entament une cavale qui va les mener de planques en mobil-home. Le père et la fille de plus en plus complices vivent cette période dans la peur et une connivence évidente.
J'avais soigneusement évité ce film lors du dernier Festival Effervescence de Mâcon. Mes dernières escapades en Corse (A son image et pire encore Une vie violente) s'étant révélées tellement pénibles, alors que la critique unanime criait aux chefs-d'oeuvre, je m'étais dit que j'avais un problème avec la Corse et que je n'étais pas obligée de m'infliger cela. Devant la critique une nouvelle fois dithyrambique, je ne voulais pas passer à côté d'un bijou et me suis retrouvée une nouvelle fois à supporter les corses et leur incompréhensible mode de fonctionnement. Je le confirme donc aujourd'hui, je pense que j'ai un problème avec la Corse. Ou en tout cas avec ses habitants et encore plus précisément avec cette partie des insulaires qui ne pensent qu'à s'entretuer.
Une fois encore je ne comprends rien à ce qui motive ces hommes. Leurs motivations, leur engagement, leurs souhaits... tout cela m'échappe totalement et ce n'est pas ce film qui aura pu m'éclairer. Ces types ne cessent de comploter, faire des plans, préparer des opérations. Quand ils ne sont pas occupés à se taper dans le dos, se faire des accolades, s'embrasser, aller à la chasse au sanglier, boire des coups, partager des repas et bavasser moitié en corse moitié en français avec des airs inspirés voire pénétrés, ils enfourchent une moto, prennent une voiture et vont flinguer la victime suivante (qui n'est pas un ange non plus je l'ai bien compris). Je vois surtout des types dont les seules ambitions se limitent à tuer et se venger. De génération en génération, ils ont tous quelqu'un à venger d'avoir été assassiné lors de la génération précédente. Et baste ! Cela n'empêche pas que la loyauté soit mise à rude épreuve et que des félons changent de camp sans qu'on en ait l'amorce d'une explication. Les femmes attendent en pleurant à la maison et une des originalités tient ici au fait qu'au milieu de tous ces bonshommes se trouve une toute jeune fille qui sera nos yeux dans toute cette entreprise de démolition. La touche féminine dans ces milieux est souvent mise de côté voire ignorée. Même si j'ai également trouvé très agaçant qu'elle leur serve souvent de bonniche, elle est aussi entourée de beaucoup d'affection et de bienveillance de la part de tous ces musclés.
Et oui, tout n'est pas à jeter dans ce film. Même si je l'ai trouvé TRES long (j'ai beaucoup soupiré) et souvent ennuyeux (quand ils attendent à ne rien faire, le spectateur attend avec eux), il bénéficie d'une réalisation remarquable (c'est pourtant un premier film), de quelques rares scènes qui installent un suspense et d'une direction d'acteurs impressionnante. La plupart des personnages étant interprétés par des non professionnels, on peut saluer le talent (là où tout est laborieux chez les amateurs chez Thierry de Peretti). J'ai également apprécié le fait que pour chaque assassinat, les hommes rentrent (quand ils rentrent...) et ne se comportent jamais comme des décérébrés triomphants. Manifestement tuer des gens leur coûte, moralement parlant, mais ils ont ça dans le sang.
Le plus intéressant dans ce film est la relation père-fille très touchante lorsqu'ils partagent une baignade, une partie de pêche, un repas ou lorsqu'elle s'acharne à poser des questions à ce père qui a été beaucoup absent et qu'il s'obstine à ne pas lui répondre. Cette relation qui devient peu à peu fusionnelle est au centre mais souvent noyée dans l'observation de ce milieu qui ne m'intéresse absolument pas, sans doute parce que le film s'apparente parfois plus à un documentaire qu'à une fiction. Le récit d'apprentissage de Lesia passe par un rite initiatique de découpage de sanglier mais aussi par une initiation à la peur et à la violence qui fait froid dans le dos.
Devant la beauté de la réalisation, je pense que Julien Colonna m'intéressera beaucoup plus lorsqu'il sortira de ce milieu (son père était un "baron" de la pègre) et se consacrera à ce qui semble le préoccuper : les relations filiales.
P.S. : pour les amateurs de play-lists, nous avons droit ici à : Cœur de Rocker - Julien Clerc, Complainte Corse - Tino Rossi et Votre Fille a 20 Ans - Georges Moustaki (à ce jour, on reste sans nouvelles d'Hervé Vilard).
Commentaires
Bon, je ne lis pas non plus parce que celui-ci, par contre, j'avais bien dans l'idée d'aller le voir vu le ramdam d'éloges que j'ai entendu ou aperçu dans les médias. Mais vu la note, encore une substance frelatée ?
Cette substance a plutôt un effet repoussoir sur moi en effet donc tu devrais passer un merveilleux moment.
Aucune polyphonie corse dans le crincrin mais lis au moins le PS final (qui ne spoile rien)...
Depuis Borgo, j'ai pu constater que le Corse est très amateur de Julien Clerc. C'est folklorique, ça passe. Tino et Georges aussi. Quant aux polyphonies, je me boucherai les oreilles.
Il n'y a pas de polyphonies. Non seulement tu ne lis pas tout mais tu lis en diagonale. Pffff.
Et c'est vrai que Borgo fait office d'exception dans mon rejet corse. Il est vrai que bien qu'il s'agisse d'une histoire vraie, c'était autrement plus romanesque.
Scuse, c'est toujours ma hantise ces chants corses (tu ajoutes Patrick Fiori et je fais un avc).
C'était tellement bien "Borgo".
Pardonné. Un chant polyphonique corse, ça passe... mais pas plus.
Pauvre Patrick.
Bon je suis un peu à chaud, je sors tout juste de la séance et j'écris ce soir pour demain... Mais moi j'ai adoré justement parce qu'il évite les écueils habituels sur le grand banditisme corse. Pas de criminels sacralisés, avare en dialogue donc jamais surexplicatif, pas de pathos inutile, maîtrise totale entre le fond et la forme. Simplement un des meilleurs sur le sujet pour ma part...
Tu as raison mais sacralisés ou pas ces types ne m'intéressent pas.
Je ne suis pas une fan des films sur la Corse, j'ai évité à son image notamment. Mais là j'y suis allée et j'ai énormément aimé. Je l'ai trouvé super juste, j'ai adoré les personnages, surtout la gamine et son père. C'est surement car la relation père-fille est mise en avant que j'ai vraiment aimé. Mais la réal est belle, l'image aussi, je touve que les comédiens sonnent juste, une fois qu'on s'est accoutumé à leur accent !
Bon, j'avoue que j'avais aussi beaucoup aimé Borgo, pour son côté thriller et sa réalisation.
J'avais beaucoup aimé Borgo, plus romanesque que cette fuite. La relation et la réalisation sont belles mais vraiment j'en peux plus de ces mecs. Et la petite, j'avais par contre juste envie qu'elle se taise et qu'elle ne demande plus de cofé :-)
Bon, j'ai bien fait de ne pas lire l'article avant d'aller le voir. Ce fut mon film de clôture du festival Reims Polar, le film ayant reçu le prix Chabrol cette année. Et j'ai tout simplement ADORE. Comment te dire que je n'entends aucune de tes réserves. Certes c'est un film de gangsters corses, avec ses codes et rituels virils, mais pas différent de tant des autres films de mafia, notamment américains ou asiatiques que personnellement j'adore. Ce "Royaume" m'a par exemple beaucoup fait penser au "Parrain". Pas seulement pour le côté mafia, mais surtout pour l'aspect famille, et bien sûr ce lien qui moi m'a bouleversé entre Pierre-Paul et sa Lesia (je me projette sans doute), un peu comme Coppola l'avait esquissé dans "le Parrain III" en faisant jouer sa fille.
J'avais beaucoup aimé "Borgo", mais je crois que "le Royaume" lui est supérieur.
Et bien je pense que tu as mal lu car il y a tout un paragraphe où je loue les qualités du film et même les "qualités" de ces gros virils qui ne se félicitent pas de tuer et en semblent au contraire affectés (ou presque). Et je précise bien que j'ai un a priori négatif sur les films mafieux corses.
Sûr que si j'avais été à Reims je ne serais pas retournée le voir.
Je ne comprends rien aux codes de la mafia mais je n'ai pas l'impression que les américains et les coréens (films que j'adore mais peut-être m'apparaissent moins réalistes) paralysent et terrifient tout un pays. La Corse n'est pas un pays mais j'ai le sentiment que tous les corses sont impactés par les actions et intimidations de ces mecs (dont je ne comprends toujours pas les motivations). C'est ce qui me déplaît chez eux.
Je ne pense pas que Ghjuvanna Benedetti soit la fille du réalisateur et je n'ai à aucun moment fait le rapprochement avec Francis Ford et Sofia qu'il tente plutôt de protéger dans le film et qui ne partagent pas cette cavale insensée. Bref, je n'ai jamais pensé au Parrain (y'a-t-il une scène de mariage au moins ? lol).
La scène dans la fête où le père parle à sa fille... INTERMINABLE, j'en pouvais plus, ne m'a absolument pas touchée. Mais je n'ai pas de coeur.
Dans Borgo y'a de la mafia mais ce n'est pas le coeur véritable du film (dans mon souvenir).
On ne peut pas dire que les "qualités" du film soient particulièrement mises en avant dans ton article me semble-t-il. Y compris dans le nombre d'étoiles figurant près du titre. Mais comme tu n'as pas aimé, je comprends.
Ton souvenir est un peu lointain sans doute, mais Pierre-Paul, en bon Corleone, cherche à protéger sa fille en l'éloignant du clan. C'est elle qui revient et s'incruste. Evidemment, et heureusement, "le Royaume" n'est pas un décalque du "Parrain". Et je n'ai pas prétendu que Ghjuvanna Benedetti était la fille du réalisateur, même si son rôle se substitue clairement au réalisateur qui évoque à travers cette histoire sa relation avec son propre père.
J'ai déjà très envie de le revoir.
Les points négatifs sont forcément plus visibles puisque je n'ai pas aimé ce film. Mais il y a certains films dont il n'y a rien à sauver. Ce n'est pas le cas ici.
J'ai mal fagoté ma phrase. Je ne prétendais pas que tu prétendais que la fille était la fille du réalisateur... mais que je n'ai jamais fait le rapprochement entre les filles des mafieux (Corleone et Pierpoljak).
Je te rassure, ça ne me donne pas forcément envie de poursuivre la randonnée du côté de "une vie violente".
Ouf.
Quelle cata ce film atroce.