TU NE MENTIRAS POINT
de Tim Mielants ***(*)
Avec Cillian Murphy, Eilen Walsh, Emily Watson, Michelle Fairlay
Pour faire vivre sa nombreuse et féminine famille (une épouse et cinq filles aimantes) Bill est le propriétaire d'une petite entreprise de vente de charbon.
Lors d'une livraison au couvent de la ville, un de ses clients habituels, Bill assiste à une scène terrible qui le bouleverse où il voit une jeune fille hurler, se débattre et implorer sa mère puis son père de ne pas l'abandonner dans cet établissement. Plus tard, elle suppliera Bill de l'aider à sortir, ce qu'il refusera de faire : "ce n'est pas de mon ressort". Au fil des jours, il entend les bruits, les cris et découvre le traitement infligé aux jeunes femmes de l'établissement, véritables esclaves insuffisamment vêtues en plein hiver qui se lèvent à l'aube et assurent les travaux les plus laborieux. Elles ont été placées là car considérées comme déviantes, certaines sont enceintes. Lorsque Bill fait une découverte encore plus horrible, il se décide à intervenir mais cette intervention est insuffisante. L'influence que ce couvent a sur la population en général et l'éducation des jeunes filles de la région en particulier est telle qu'il est difficile de s'opposer, voire même de critiquer l'établissement. Tout le monde conseille à Bill de se taire et continuer à fermer les yeux. Sa conscience pure et généreuse le travaille, sa vie devient un enfer.
Lors d'une scène suffocante entre Bill et la Mère supérieure (Emilie Watson délestée de toute douceur et humanité) cette dernière n'a pas à élever la voix pour proférer des menaces implicites qui mettraient l'avenir des filles de Bill en péril. Il cède, horrifié, devant cette autorité onctueuse et implacable. L'attitude réfrigérante, les lèvres pincées et le regard qui vous transperce suffisent à la religieuse pour se faire comprendre. La lutte intérieure cauchemardesque que mène Bill confronté à sa conscience, à son humanité d'homme bon, de juste, sa volonté d'aider voire de sauver son prochain rend la vie de Bill de plus en plus difficile. Doit-il parler, faire savoir ce qu'il sait au risque de mettre sa vie, son travail et l'avenir de ses filles en danger ?
Le comportement de Bill illustre magnifiquement cette citation du Talmud : celui qui sauve une vie, sauve l'humanité. Ordinaire, taiseux, presque mutique, introverti et très pieux il cherche à mettre en pratique les principes de la société dans laquelle il vit, engluée dans un christianisme qu'elle ne s'applique pas elle-même. Sauf que contrairement aux dogmatiques religieuses, Bill est naturellement bon, il offre quelques pièces à un gamin (sans doute maltraité) rencontré sur un chemin, propose son manteau pour réchauffeur, sa main pour rassurer.
Le titre original, encore une fois bêtement traduit (personne ne ment ici, tout le monde se tait), est : Small things like these (Des petites choses comme celles-ci). L'histoire fait penser à du Dickens, aux Misérables de Hugo. L'atmosphère grise et pluvieuse presque sinistre, la religiosité ambiante et les méthodes arriérées donnent l'impression d'être au XIXème siècle, pourtant l'action se situe en 1985 et il faudra attendra encore des années pour que ce genre d'établissement disparaisse. Ceux qui ont vu The Magdalene sisters ne pourront s'empêcher de faire le parallèle. Ici contrairement au film de Peter Mullan, les mauvais traitements et abus infligés aux pensionnaires restent hors champs (à une exception près). C'est dans l'atmosphère que tout prend son sens, intrigue et inquiète. Le film d'ailleurs baigne dans un climat étouffant où les symboles religieux semblent peser de tout leur poids hypocrite sur le quotidien.
"Ce film est dédié aux plus de 56 000 jeunes femmes envoyées dans les couvents de la Madeleine entre 1922 et 1998 pour 'pénitence et réhabilitation'. Ainsi qu'aux enfants qui leur ont été enlevés."
J'aime beaucoup cette phrase de Thomas Baurez de Première :
"Le problème de Tim Mielants et donc du film en son entier, tient paradoxalement à la force de son acteur principal qui refuse de s’allumer pour rien".
Je sens bien que cet avis n'est pas en faveur du film mais je suis d'accord avec le fait que Cillian Murphy qui vampirise le film (en dehors la scène tétanisante où sévit Emily Watson) n'est pas le genre d'acteur qui en fera trop, là où le minimum suffit. L'observer jouer ainsi, en retenue, avec une économie de mots et une puissance d'incarnation impressionnantes est une véritable leçon. Qu'il soit l'acteur oscarisé (à juste titre) pour son interprétation d'Oppenheimer, mondialement célèbre pour celle de Thomas Shelby (dans la série (géniale) et qui vaut presque le détour pour son interprétation démente, Peaky blinders), ne me font pas oublier que Cillian Murphy était déjà inoubliable dans Breakfast on Pluto, Le vent se lève (merveille palmedorée en 2006), ou Sunshine (des films que je vous encourage vivement à voir). Nous le retrouverons bientôt avec bonheur dans 28 ans plus tard de Danny Boyle qui fait suite au film d'horreur et de science-fiction qui avait fait connaître Cillian Murphy en 2002, 28 jours plus tard, mais surtout dans The immortal man de Tom Harper la suite de la série Peaky blinders (hélas, prévue pour cette merde de Netflix, j'enrage).
J'aime cet acteur mystérieux au visage étrange et au regard magnétique. J'aime qu'il ne se répande jamais dans les media (ou contraint et forcé), qu'il vive en Irlande, son pays adoré, avec femme (la même depuis 30 ans) et enfants. Et j'aime ce qu'il dit dans le dernier Télérama. Extraits :
"J'ai toujours mené une vie tranquille et ça n'a pas beaucoup changé. Je suis très fier que les gens aient apprécié Peaky blinders et Oppenheimer, mais je n'y pense pas trop...
Le travail devrait parler pour lui-même et l'acteur se taire...
Pour moi être acteur c'est simple : on arrive à l'heure, on sait son texte et on soutient l'équipe. Tout le reste c'est du bruit."
Chut.
Commentaires
Il a la classe, Cillian, et autant dans la vraie qu'à l'écran.
Tu as raison : sa scène avec Emily Watson est té-ta-ni-sante !
Il faudrait inventer un Oscar des scènes de duel... elle et lui le mériteraient.
Chut !
Oui, un peu/beaucoup hors système le garçon. Je l'adore.
Cette scène, c'est LA scène. Cillian muet !
Je l'avais touché de près dans une autre vie, il y a... quinze ans où mon VIB me donnait accès à des évènements qui réunissaient 50 personnes. Je ne cessais de me demander : mais qu'est-ce que je fiche là ?
http://www.surlarouteducinema.com/archive/2010/07/10/temp-51357ae6d9ff93531d9f8c68aef0c4e3.html
J'étais au 1er rang. Je ne savais pas encore écrire Cillian, Tom Hardy sourit à mon gloussement.
et
http://www.surlarouteducinema.com/archive/2010/07/11/inception-leonardo-tom-michael-ken-joseph-killian-christophe.html
Waouh, ça te fait de superbes souvenirs, j'imagine !
Euh... c'est quoi, un VIB ? Un Very Important Beau-Frère ?
B comme Blog.
Oui pour les souvenirs ♡
BSMCEBS = bon sang mais c'est bien sûr !
Je serais moins dithyrambique, c'est un beau et bon film mais presque hors sujet tant le passé et les failles de Bill prennent le pas sur les pensionnaires et le couvent. Finalement ce ne sont pas ces dernières le sujet, mais l'état psychologique d'un homme qui a refoulé son passé, nuance... Sur ce sujet mieux vaut donc revoir le chef d'oeuvre "The Magdelene Sisters" de Peter Mullan
En effet, c'est plus centré sur le dilemme de Bill que sur le calvaire des filles mais j'ai trouvé que c'était plutôt un angle intéressant. Et faire travailler l'imagination sur ce qu'il se passe vraiment fait encore plus flipper je trouve.
Le passé de Bill prouve qu'il aurait pu avoir un sort différent s'il n'y avait eu une bonne samaritaine.
L'histoire ne m'est pas étrangère et pour cause... C'est celle de ce roman https://lescoupsdecoeurdegeraldine.com/2024/04/ce-genre-de-petites-choses-de-claire-keegan.html
Le film est donc une adaptation
C'est tout à fait ça, une adaptation de ce roman.
Elle avait déjà écrit A quiet girl également adapté à l'écran (et que j'avais détesté :-) )
Ce fut pour moi une déception. Les personnages féminins (sauf celui de la Mère supérieure) sont à peine esquissés... mais c'est aussi le cas de tous les personnages masculins, à l'exception notable de celui du héros, interprété par C. Murphy. D'accord, il fait le job, mais je n'ai pas apprécié que tout tourne autour de lui. Le gars n'a aucun défaut visible. On nous en fait quasiment un saint (avec la gueule d'ange de Cillian).
Ceci dit, le noir et blanc est joli... parfois un peu trop d'ailleurs. Sur les visages et les mains de certains personnages, j'ai eu l'impression de voir ce que Coluche appellerait de la "crasse propre". (J'ai aussi remarqué que, quelle que soit la vigueur avec laquelle le héros se lave les mains, le résultat semble être à peu près toujours le même...)
J'ai rapidement accepté que tout tourne autour de cet homme qui se débat avec sa conscience.
J'aime bien ce genre de personnage, pur dans ce monde de m.... Et Cillian, c'est l'acteur anti performance.
Je ne sais ce qui s'est passé dans ton cinéma, mais le film est en couleur. Couleurs crasseuses mais couleurs quand même.
Peut-être faut-il que j'envisage un rendez-vous chez l'ophtalmo !
Cela me semble judicieux :-)