ENZO
de Laurent Cantet
réalisé par Robin Campillo ***(*)
avec Eloy Pohu, Maksim Slivinskiyi, Pierfrancesco Favino, Elodie Bouchez
Enzo a 16 ans et il ne dira personne dire que c'est le plus bel âge de la vie !
Il vit dans sa grande maison bourgeoise sur les hauteurs de La Ciotat avec baies vitrées et vue sur mer. Il se sent en parfait décalage avec ses parents (maman, ingénieure, papa directeur pour thésards) et son frère aîné brillant lycéen qui va intégrer une grande école. Lui est en apprentissage et passe son été sur un chantier en tant que maçon où il va sympathiser avec Vlad, un jeune homme de 25 ans venu d'Ukraine. Ses parents acceptent difficilement ce choix et aurait aimé un autre avenir, pourquoi pas une école d'art pour leur gentil garçon très doué en dessin.
Vous connaissez sans doute le sort singulier de ce film. Ecrit par Laurent Cantet, ce dernier n'a hélas pu le réaliser, la maladie puis la mort en avril 2024 mettant un terme définitif à sa carrière. La promesse faite par son ami Robin Campillo de le réaliser à sa place a été tenue. Parfois la prétendue grande famille du cinéma porte bien son nom et j'ai aussi pu découvrir les noms de Jean-Pierre, Luc Dardenne et Jacques Audiard au générique.
Même si la formule présente à l'écran est jolie et inédite : un film de Laurent Cantet, réalisé par Robin Campillo, et qu'elle atteste de l'humilité et de l'amitié du réalisateur, ce film est plus qu'un simple hommage posthume. C'est aussi un beau film sur un sujet peu courant : le comportement d'un garçon bourgeois qui ne se satisfait pas de sa condition. En général c'est plutôt l'inverse qui se produit. L'ascension d'un personnage de condition modeste est plus classique. A la marge de cette rupture avec cette famille qu'il méprise peut-être, Enzo a 16 ans et semble également se chercher une identité sexuelle encore un peu confuse.
Les parents plutôt bienveillants à la limite du laxisme sur certains points mais compréhensiblement inquiets, sont admirablement campés par Pierfrancesco Favino à l'autorité tendre et enveloppante et Elodie Bouchez plus que compréhensive et armée du 6ème sens des mères. Ils peinent néanmoins parfois à comprendre leur fils cadet et sont en plein désarroi face à ses choix. Enzo tient des discours qui leur échappent. Construire des murs est pour lui symbolique. Il veut créer des choses qui durent. Au contact de Vlad, le très charismatique ouvrier ukrainien qui l'aide à rétablir la rectitude de ses murs plutôt bancals au départ, Enzo découvre un autre monde. Et la guerre qui ravage le pays s'invite au cours des conversations et interroge aussi le jeune homme. Se battre pour son pays, quelle signification cela a-t-il ? Et puis, comment être de bons parents ? Rêver d'une vie folle et belle pour les enfants et suffoquer dès qu'ils s'éloignent de la voie qui semblait tracée pour eux ! Tout ceci est finement et intelligemment abordé dans ce film où Enzo s'écorche les mains, sculpte son corps dans la piscine familiale, cherche l'amour, l'attention et nous fait pousser un Ah d'angoisse lors d'une scène forte que l'on attendait pas.
Les ruines de la dernière image, la dernière scène très belle convoquent à la fois l'intime et l'universel, la crainte et l'apaisement.
Les deux jeunes inconnus en présence Eloy Pohu et Maksim Slivinskiyi sont magnifiques, convaincants et touchants.