LE MAÎTRE DU KABUKI
de Sang-il Lee ****
JAPON
avec Ryô Yoshizawa, Ryusei Yokohama, Soya Kurokawa, Ken Watanabe
L'histoire commence en 1964 à Nagazaki.
Kikuo n'a que 14 ans lorsque son père, chef d'un gang de yakusas se fait assassiner sous ses yeux. Il est recueilli par Hanai Hanjiro II, un célèbre acteur de kabuki et père de son ami Shunsuke. Les deux garçons se consacrent et se dévouent entièrement à cet art exigeant dans lequel ils excellent, jusqu'à ce que Hanai désigne Kikuo comme son successeur, à la place de son propre fils. L'amitié des garçons est mise à rude épreuve d'autant que Kikuo finit par connaître la gloire.
Adapté du roman éponyme (pas lu) de l’écrivain japonais Shuichi Yoshida, le film suit le parcours de Kikuo sur cinquante années. Les millions de spectateurs nippons qui se rendent en salle pour voir ce film le propulsent donc très haut dans la liste des plus gros succès au box-office et démontrent que l'art ancestral qu'il évoque attire toujours les foules. Le kabuki (歌舞伎) est une forme épique de théâtre japonais traditionnel très codifié. Le jeu des acteurs, leurs costumes et leur maquillage sont spectaculaires. A partir du XVIIème siècle pour éviter les troubles à l'ordre public (!!!), les rôles de femmes sont attribués à des hommes chargés d'exprimer à s'y méprendre des personnages féminins. Depuis quelques années les femmes peuvent de nouveau étudier l'art du kabuki sans pour autant réussir encore à détrôner les stars hommes.
Un onnagata, (personnage féminin interprété par un homme) tel que le deviendra le Kikuo du film peut devenir un trésor national c'est-à-dire un bien culturel d'une valeur exceptionnelle et de portée universelle. C'est dire s'il y a de quoi perdre la tête d'être ainsi considéré comme un être hors du commun, quasi divin et perdre aussi le sens des réalités. La réussite est souvent synonyme de sacrifices où le personnage en quête de gloire délaisse voire malmène son entourage. Le réalisateur a beau suivre le déroulé d'une intrigue assez classique faite d'ascension, de chute et de retour en grâce, il nous aimante à ses personnages, à leur amitié, leur rivalité et leurs déceptions.
Bien que nos yeux et nos oreilles occidentales ne soient pas accoutumés à un tel spectacle, les moments où les personnages sont sur scène d'une beauté et d'une sophistication extrêmes sont les plus beaux et les plus intenses du film. Le maquillage est une sorte de cérémonial immuable et les costumes sont des oeuvres d'art. Lors de certaines scènes l'acteur change littéralement de costume sans quitter la scène. Deux personnes s'affairent alors derrière lui pour qu'un costume d'un blanc immaculé devienne rouge vif. Rien que pour revoir ce prodige magnifique j'ai envie de retourner voir ce film.
Tout est beau et attire le regard mais le réalisateur dont c'est le premier film qui arrive chez nous alors qu'il en a réalisé douze, ne néglige jamais le fond au profit de la forme. Et les deux acteurs Ryo Yoshizawa et Ryusei Yokohma (inconnus) qui ont appris en un an l'art du kabuki pour ne pas être doublés (en général l'apprentissage commence dès l'enfance) en plus d'être d'une beauté troublante sont de merveilleux acteurs. Ils répètent sous nos yeux sans relâche les attitudes, les postures parfois étranges que leur art exige. C'est magnifique et il n'est pas besoin d'être japonais ou adepte de ce théâtre singulier pour qu'ils exercent sur nous leur pouvoir de fascination.
Ce film, fresque admirable et luxueuse qui prend son temps (je n'ai pas vu les 3 heures passer) sa reconstitution des époques successives, sa profusion de décors et de costumes, son thème et ses personnages attachants sont une récompense que je vous encourage à vous offrir.
P.S. : yubari sur le wagashi, bonheur de retrouver Ken Watanabe.

