Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2 **** INDISPENSABLE - Page 57

  • The visitor de Thomas Mac Carthy ****

    The Visitor - Richard JenkinsThe Visitor - Richard Jenkins et Haaz Sleiman

    Walter, veuf inconsolable vit seul dans sa grande maison du Connecticut. Il continue de donner sans passion des cours d’économie à l’Université en attendant la retraite prochaine. Il boit des verres de vin en déambulant chez lui et prend sans talent des cours de piano qui évoquent la chère disparue, pianiste virtuose. Lorsqu’il se rend à New-york, l’appartement qu’il possède est occupé par un jeune couple de clandestins : Tarek syrien et Zainab sénégalaise. De bonne foi car victimes d’une arnaque les deux jeunes gens décident de quitter l’appartement et après une courte hésitation, Walter leur propose de continuer à les héberger.

    Tarek est un musicien talentueux et touché par la gentillesse de Walter, commence à lui donner des cours de djembé. Et voilà que l’amitié s’invite au moment où on l’attend le moins. Les deux hommes, de plus en plus liés entre autre par leur passion commune deviennent proches et intimes, jusqu’au jour ou Tarek est arrêté lors d’un contrôle d’identité et placé en centre de détention pour immigrés clandestins…

    Plusieurs chapitres composent ce merveilleux film et une nouvelle fois les superlatifs vont me manquer pour l’évoquer tant il s’imprime en soi bien après que la séance soit finie. Dans la première partie, on suit pas à pas Walter (admirable Richard Jenkins) plus solitaire qu’un ermite, qui semble à la fois épuisé, revenu de tout et contraint de faire sans aucun goût tout ce qu’il a à faire. La démarche lourde et le regard fuyant, sa détresse est quasiment palpable.

    Sa rencontre avec Tarek, jeune homme lumineux et enthousiaste (Haaz Sleiman, irrésistible) va peu à peu lui redonner goût à la vie jusqu’à lui donner un sens. Lorsque Tarek va se retrouver incarcéré, l’attachement des deux hommes va encore évoluer. Il devient inconcevable pour Walter d’abandonner Tarek qui va tout mettre en œuvre pour tenter de lui venir en aide. Voir cet homme bon, généreux se redresser peu à peu, découvrir une réalité qui lui était inconnue, se heurter à l’intransigeance des autorités est absolument bouleversant. Il ira jusqu’à laisser exploser sa colère et sa révolte dans une scène sublime où il ne pourra que déplorer son impuissance. Mais son indignation furieuse aura peu d’effet face au problème social et humain qui se joue. Au même titre il est déchirant de voir progressivement l’enthousiaste Tarek sombrer dans la dépression. Walter le rencontrera plusieurs fois au parloir de la prison et ces moments où Tarek révèle ses conditions de détention (aucune intimité, lumière allumée 24 heures sur 24…) sont d’une grande intensité dramatique quoique très sobres. L’humanisme de l’un, l’incompréhension de l’autre sont confrontés à ce monstre incontournable : l’injustice !

    A aucun moment Thomas Mac Carthy ne cède à l’angélisme même si on crève d’envie d’aimer et de protéger ses personnages. On ne lui reprochera pas non plus ce qui aurait pu paraître comme une facilité en ébauchant une idylle bienvenue entre Walter et la mère de Tarek (la toujours juste et éclatante Hiam Abbass) car là encore il ne capitule pas devant un mièvre happy end. Ce film grave, profond, joyeux et douloureux ne juge pas, il pointe une réalité derrière laquelle se cachent des drames humains insoutenables. Il est porté par un acteur exceptionnel et charismatique et un personnage altruiste admirable qu’on aimerait rencontrer un jour ou mieux encore à qui l’on rêve de ressembler. Les toutes dernières images magnifiques évoquent tout à la fois ce que le film entier exprime, la rage, la colère, l'impuissance, la solitude...

    Ne ratez sous aucun prétexte ce film brillant, poignant, jamais spectaculaire mais bouleversant.

  • Le silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne ****

    Le Silence de Lorna - Jérémie Renier et Arta DobroshiLe Silence de Lorna - Arta Dobroshi

    Lorna, jeune femme albanaise, a obtenu la nationalité belge grâce à un mariage blanc avec Claudy, camé profond qui alterne désyntox et rechutes. Pour plus de réalisme les deux jeunes gens partagent le même appartement. Lorna travaille dans une blanchisserie mais a aussi un rêve secret : ouvrir un snack avec son véritable amoureux, Sokol. Pour obtenir l’argent nécessaire, elle accepte que Fabio, un petit truand lui organise un nouveau mariage blanc avec un russe prêt à dépenser beaucoup d’argent pour obtenir lui aussi la nationalité belge. Pour cela il faut se débarasser de Claudy…

    J’expédie tout de suite la toute petite déception finale à cause de cette fin très (trop ?) ouverte qui laisse la porte (l’imagination) ouverte à beaucoup de suppositions. Laisser Lorna là on la laisse dans l’état où on la laisse, m’a un peu perturbée…

    Sinon, comme toujours, un film des frères Dardenne est plus que hautement fréquentable voire franchement incontournable ; même si hélas, les critiques en ont déjà trop dit sur ce film (il faudrait leur faire comprendre que lorsque dans le titre d’un film il y a le mot « silence » on essaie de se taire, un minimum…) et le choc qui intervient au bout d’une heure ne sera peut-être plus une surprise pour certains. Dommage car elle est de taille

    Ce film pourrait s’intituler « Le(s) choix de Lorna » tant cette fille est confrontée à des dilemmes, des alternatives voire de véritables cas de conscience. La détermination de Lorna est portée par une actrice, Arta Dobroshi, véritable joyau, qui impose d’emblée sa présence, sa force et sa volonté. Au cœur de ce monde d’hommes perdus, impitoyables, intéressés, parfois les trois à la fois, elle est seule. Qu’elle doute ou qu’elle décide, elle est seule. Sa volonté, sa solitude et sa maturité sont impressionnantes. Comme « Rosetta » en son temps, Lorna avance, volontaire et obstinée. Contre toute attente, c’est Claudy, squelettique, émacié, livide (Jérémy Rénier, magnifique, remarquable, bouleversant (il m’a fait pleurer)) qui sera, involontairement, inconsciemment celui qui va faire s’enrayer la belle machine qui semblait programmée et sans faille. L’attitude de Lorna vis-à-vis de Claudy va évoluer. L’indifférence agacée va faire place à la pitié charitable et évoluer en amour complètement inattendu rendant les choses beaucoup plus compliquées, confuses et inextricables.

    Même si la réalité brutale des situations (obtenir des papiers contre des trafics d’argent) est toujours la constante d’un film « dardennien », ici l’absence de misérabilisme (Lorna a un logement, du travail) est vraiment le bienvenu.

    On comprend que ce film ait obtenu le Prix du Scénario au dernier Festival de Cannes (même si la fin m’a déroutée…) mais ce qui est aussi la marque de fabrique indéniable des frères Dardenne c’est leur éblouissante direction d’acteurs ainsi que leur aptitude à s’entourer d’un casting irréprochable. Jérémie Rénier magnifiquement désespéré, avec ses appels au secours déchirants, sa fragile obstination à tenter de s’en sortir et Arta Dobroshi, belle, mystérieuse, audacieuse, sont inoubliables.

  • Un millier d’années de bonnes prières de Wayne Wang ****

    Un millier d'années de bonnes prières - Henry OUn millier d'années de bonnes prières - Henry O

    Yilan vit aux Etats-Unis depuis 11 ans. Elle vient de divorcer et son père qui vit toujours à Pékin lui rend visite pour tenter de la comprendre et de l’aider.

    Avoir des nouvelles de Wayne Wang de cette façon est un pur bonheur même si (ou peut-être, bien que) son film soit un véritable crève cœur et provoque des palpitations vertigineuses. Le mur qui sépare le père et la fille est infranchissable. Le père a vite fait de se rendre compte qu’Ylan devenue occidentale n’a besoin de personne, et surtout pas de lui, pour se consoler de ce divorce. Et pourtant, il lui parle, lui parle sans cesse alors qu’elle l’a connu si silencieux, cherchant constamment son regard qu'elle détourne inévitablement. Il lui prépare des petits plats en abondance pour qu’elle reprenne des forces, qu’elle ne semble pas avoir perdues. On a du mal à comprendre comment cette fille a l’impudence d’être si froide, imperturbable et insensible à toutes les attentions et à l’intérêt que son père lui prodigue avec patience et douceur. Et alors que cet homme si sociable, est abordé dans les trains, les avions, dans la rue par tout le monde prêt à écouter les histoires de sa vie qu’il raconte inlassablement : l’amour pour sa femme, pour sa fille, son métier passionnant « constructeur de fusées »… il est rejeté par sa fille qu’il agace au-delà de tout. Elle en vient même à s’inventer des réunions et des sorties factices pour éviter le tête à tête du repas du soir. Plus il s’inquiète pour elle, plus il l’entoure et souhaite la rassurer en lui parlant de son enfance à elle, plus elle s’éloigne. Lorsqu’elle a la chance qu’il lui révèle pourquoi elle porte le prénom qu’elle porte (magnifique histoire), là encore, elle tranche cinglante « je la connais déjà cette histoire ». Qu’a-t-il bien pu lui faire pour qu’elle ne pardonne rien ? On le saura ; ça pourrait être décevant… ça l’est d’ailleurs, un court instant mais le réalisateur balaie cette légère contrariété en prouvant qu’au-delà de ce qui sépare cette fille et ce père, l’éloignement, leurs cultures, leurs façons de vivre, leurs langages (Ylan dira qu’  « en chinois, il est impossible d’exprimer des émotions »), les générations, il y a surtout les non-dits, les malentendus et la malveillance de certains. On ne peut pas parler alors de réconciliation, mais d’une sorte d’apaisement qui soulage mais ne console pas. Car contrairement au proverbe qui assure qu’il n’est jamais trop tard. Si, un jour il est trop tard, et pour toujours. Alors il faudrait que les filles et leurs pères se parlent, car le père sait des choses que les mères ne savent pas. C’est aussi ce que nous dit ce beau film, simple, pur, douloureux, d’une profondeur rare et inouïe. Un film fait pour les filles qui ont un père, forcément, et les pères qui ont une fille. Pour qu’ils cessent enfin de croire que la mère est la confidente idéale alors qu’elle ne fait souvent que l’éloigner de cette relation, la plus étrange et improbable qui soit…

    C’est aussi un film sur la difficulté et bizarrement la facilité de communiquer. Comme s’il était plus simple de se livrer à un parfait inconnu. A cet égard les rencontres dans un parc avec une vieille femme iranienne, elle aussi exilée mais qui affirme « j’adore l’Amérique », sont des moments d’une douceur et d’une force incroyables. Deux mondes à nouveau se heurtent et s’expliquent tranquillement et se comprennent.

    Ce film est un peu le prolongement ou le négatif du « Premier jour du reste de ma vie », un film sur les traditions, la famille/je vous « haime », en plus intimiste, moins démonstratif, mais tout aussi essentiel, providentiel. Un film émouvant, délicat, humain, intense, déchirant, à fleur de peau… qui parle ou devrait parler ou parlera peut-être au plus profond du cœur de l’enfant que l’on est encore et du vieillard que l’on deviendra peut-être…

  • THE DARK KNIGHT de Christopher Nolan ****

    The Dark Knight, Le Chevalier Noir - Heath Ledger

    The Dark Knight, Le Chevalier Noir - Heath Ledger

    The Dark Knight, Le Chevalier Noir - Christian BaleThe Dark Knight, Le Chevalier Noir - Christian Bale

    Heath Ledger est mort, pour toujours. Mais il est éternel. A jamais. Et la prestation qu’il nous offre en forme de testament nous laisse encore plus inconsolables alors que sa carrière et ses interprétations devenaient de plus en plus admirables et personnelles. Chacune de ses apparitions ici, dans le rôle du Joker, personnage qu’il n’habite pas mais qui semble le posséder tout entier réjouit, subjugue, impressionne  et fascine. Heath Ledger/Joker est l’âme noire oppressante et fascinante de ce film sombre et torturé. Tête engoncée dans les épaules, sourire perpétuel et humeur à fleur de lame de rasoir, il renvoie les pitreries du grand Jack Nicholson dans la galerie des grimaces clownesques amusantes alors que ce Joker ci est terrifiant.

    Dès la première scène, sidérante, une réussite totale, on est happé par l’ampleur et l’ambition qui jamais ne faibliront. Le Joker est de dos, on ne le sait pas, mais on sait, on pressent que c’est lui ce malade, massif, lourdaud, dément. La vision de son visage, masque, maquillage marmelade imprécise qui épaissit et dissimule ses traits le rendent à la fois pathétique, ridicule et troublant. Son visage de cinglé semble ravagé de larmes alors que fréquemment il éclate d’un rire sardonique. Cruel, hagard et totalement halluciné, il veut offrir à la ville grandiose de Gotham une criminalité à sa mesure. Mais sa résistance à la douleur, ses tendances suicidaires et son incontestable envie de mourir même si elles n’expliquent ni ne justifient son sadisme le rendent troublant. S’il révèle les traumatismes qui le rongent et le dévorent c’est pour mieux les utiliser sur et contre ses victimes innocentes.

    Et alors que Batman et le chef de la police sont occupés à défendre Gotham de plus en plus gangrenée par la pègre et la corruption, ils se trouvent rapidement confrontés à ce mal incarné et incontrôlable qui renouvelle et multiplie les trouvailles pour pousser l’horreur chaque fois un peu plus loin. Parallèlement, l’arrivée d’un nouveau procureur intègre, vertueux et désintéressé offre un nouveau héros à la ville et donne à Batman l’envie de raccrocher la cape, persuadé que les citoyens ont besoin d’un justicier à visage découvert.

    La suite des évènements ne pourra être aussi claire et limpide d’autant que le beau procureur a pris pour fiancée l’amie de toujours de Bruce Wayne, la délicieuse Rachel !!! Le bien et le mal rivalisent sans relâche, les hommes sont des anges ou des âmes damnées, les citoyens ont besoin de modèles braves et irréprochables, de surhomme au-dessus de tout soupçon. L’ensemble est rondement mené et si une une toute petite longueur semble peser vers la fin, la dernière scène, de toute beauté, déchirante pour les amoureux des super héros, laisse lessivé, stupéfait, totalement incrédule !!!

    L’interprétation dans son ensemble et quoique solide, irréprochable, en tout point admirable et inattaquable n’empêche cependant pas de regretter douloureusement Heath Ledger dès qu’il disparaît de l’écran.

    Pour Batman, pour le bien, le mal… tout ça, allez-voir ce grand film tourmenté, empli de mort(s), et pour Heath Ledger et sa démence douloureuse qu'il nous envoie d'outre-tombe !

    Comment un acteur peut-il faire "ça" ???

    Heath Ledger - Le Purificateur

  • Le premier jour du reste de ta vie de Rémi Bezançon ****

    Le Premier jour du reste de ta vie - Jacques Gamblin et Zabou Breitman Le Premier jour du reste de ta vie - Déborah François et Jacques Gamblin
    Le Premier jour du reste de ta vie - Pio Marmai et Jacques Gamblin
    Le Premier jour du reste de ta vie - Marc-André Grondin et Jacques Gamblin

    Dans la famille Duval, dont le père s’appelle Robert… oui comme Robert Duvall avec deux « l », il y a cinq personnes, les parents et 3 enfants, deux garçons et une fille. Ce film, c’est leur histoire. Enfin pas tout à fait mais un peu quand même. Ce film c’est 12 ans de leur vie à eux, mais pas vraiment. C’est surtout 5 journées comme 5 personnages, essentielles, confidentielles. 5 journées pas tout à fait comme les autres mais pas vraiment différentes. C’est la vie qui va, qui fait et qui défait.

    Rarement, jamais ( ?) un film n’aura autant et aussi bien parlé de nous, de moi, de toi. C’est d’autant plus surprenant que le réalisateur Rémi Bezançon (retenez bien ce nom !) semble être un homme bien jeune encore mais qu’il doit déjà avoir vécu mille vies pour en parler aussi bien, avec autant de force, de précision, d’éloquence et de cœur. Ce film est un hommage à la famille mais aussi et surtout à la vie, si merveilleuse, si douloureuse, si imprévisible. On lui pardonnera donc d'avoir recours à quelques stéréotypes (la fille semble dès son plus jeune âge n'avoir pour seuls rêve et ambition que de former un couple pour finalement se reproduire, laissant aux garçons le "loisir" de la réussite ou de la "glande"...) puisque c'est pour toucher le plus grand nombre !

    Rarement un film n’aura fait autant de bien et autant de peine et pourtant, jamais le réalisateur ne s’appesantit. Ni sur les moments de pure comédie qui arrachent de grands éclats de rire en cascade, ni sur ceux plus difficiles, voire franchement éprouvants qui font que l’émotion surgit et vous oppresse. Cela reste léger sans être futile, jamais pesant, jamais insistant. Rémi Bezançon fait confiance à son spectateur. Il sait qu’il est inutile de s’obstiner à décrire une agonie ou d’insister sur un gag pour que l’émotion ou le rire s’échappe.

    Comment peut-on appeler ça ? Pudeur, pureté, réserve, retenue, ou tact tout simplement. Oui, voilà, le premier film du reste de ma vie a du tact. Et du cœur, en abondance. Impossible de s’identifier vraiment à l’un ou l’autre des personnages car on se retrouve un peu dans chacun d’entre eux tant ce qu’ils vivent, on l’a vécu, on le vivra. Et c’est aussi assez stupéfiant de se dire en voyant un film sur un écran que oui, c’est ainsi, c’est exactement comme ça que ça se passe, ça je l’ai vécu, les bonnes surprises, les mauvaises nouvelles qui font qu’on ne sera jamais plus vraiment comme avant, le départ des enfants, la dispersion de cendres, la sécheresse du coeur du père, le moment où les yeux des parents brillent de bonheur et de fierté, le coup de foudre, les objets aussi, la complicité, les agacements, les jamais, les toujours, les grandes promesses, les petites trahisons, les faux départs, les arrangements, les hasards, les coïncidences, l’influence…

    Ce film, c’est la vie qui va. Avec les petites joies, les grands bonheurs, les disputes, les erreurs, les renoncements, les rencontres et celles qu’on a ratées, les départs, les retours, les mauvais choix, les bonnes intentions, la difficulté à dire aux gens qu’on aime qu’on les aime, les regrets, les remords, et aussi les inconsolables chagrins qui font que chaque matin, il faut, on peut, on doit « rester debout mais à quel prix »…

    Ce film c’est aussi le film d’un réalisateur qui aime le cinéma et il le prouve à deux reprises (je laisse la surprise, les plus cinéphiles vont se régaler) et avec des acteurs dedans. Et quels acteurs ! Du premier au dernier et plus petit rôle, on assiste à un véritable tourbillon haut de gamme, efficace, impeccable même si on ne peut nier que Jacques Gamblin atteint ici un Everest d’interprétation en explorant une palette infinie d’émotions. Il faudrait donc les citer tous sans exception, tant le souvenir de chacun d’entre eux s’impose et s’insinue en nous avec sa singularité et son originalité. Je citerai donc mes coups de cœur à moi, Marc André Grondin, déjà inoubliable dans le délicieux et très québécois « Crazy », le tout nouveau, très touchant et surprenant Pio Marmaï. Je citerai enfin Aymeric Cormerais dans le (petit) rôle drôle et pathétique de Sacha qui se prend pour la réincarnation de Jim Morrisson… Rôle de composition donc, puisque dans la vraie il est loin d’être ce jeune homme arrogant et satisfait, mais bien tout l’inverse, modeste, drôle et très charmant.

    Dernier cadeau à savourer, la bande son qui recèle quelques pépites bien envoyées… jusqu’au bouquet final, la chanson étourdissante d’Etienne Daho qui donne son titre au film et qui ne vous lâche plus, longtemps, longtemps après que l’écran se soit rallumé.

    La beauté et le prestige du cinéma se reproduisent régulièrement surtout quand on sort d’une projection qui a tant parlé au cœur.

    Alors, chaque jour il faudrait « rechercher un peu de magie, jouer le rôle de sa vie ». Ne pas oublier, jamais, que tout peut s’effondrer en quelques secondes et que chaque matin « comme tous les autres… c’est le premier jour du reste de ta vie ».

    C’est providentiel !

    Le Premier jour du reste de ta vie - Jacques Gamblin, Zabou Breitman, Marc-André Grondin, Déborah François et Pio Marmai

  • The Darjeeling limited de Wes Anderson ****

     

    A bord du Darjeeling Limited - Jason Schwartzman, Adrien Brody et Owen WilsonA bord du Darjeeling Limited - Jason Schwartzman, Adrien Brody et Owen Wilson
    A bord du Darjeeling Limited - Jason Schwartzman, Adrien Brody et Owen Wilson

    Francis, Peter et Jack sont frères, pourtant ils ne sont plus parlés depuis un an, depuis la mort du père. Francis l’aîné décide de réunir la fratrie pour un improbable voyage à travers l’Inde, à bord d’un train étrange, biscornu et néanmoins magnifique « Le Darjeeling limited ». Cette tentative de recréer les liens fraternels va se teinter d’une quête spirituelle quelque peu farfelue car menée par trois personnages tantôt lunaires tantôt loufoques. L’aventure, les imprévus et l’émotion seront également au rendez-vous.

    Cet extravagant voyage commence par un court-métrage. Il se passe à Paris où l’un des frères, Jack (Jason Schwartzman) tente difficilement de se remettre d’une séparation. Las, la traîtresse (Natalie Portman délicieuse, capture l’écran en quelques minutes de présence) resurgit pour mieux encore perturber notre dépressif… Ensuite, nous sommes directement propulsés à bord du train où les trois frères se retrouvent. La façon dont Peter (Adrien Brody) manque de rater le train mais finit par l’avoir est savoureuse.

    Wes Anderson ne s’embarrasse pas de nous faire savoir comment l’aîné a réussi à convaincre ses deux cadets qui paraissent plutôt perplexes, de participer au voyage mais on constate d’emblée que l’ambiance n’est pas à la fête. Ces trois là ne se comprennent plus, ne se font plus confiance et ne semblent pas tout à fait sûrs de savoir ce qu’ils font là. Ils finissent par se laisser porter par la mollesse et la lenteur du voyage, par les arrêts soudains et hasardeux… peut-être aussi par la beauté, les couleurs (tout est jaune et rouge vif) et les odeurs de ce pays. Difficile de raconter tous les détours burlesques qu’empruntent les trois frères devant la caméra. C’est à la fois énorme et discret, fantasque et original. On ne hurle pas de rire mais on sourit beaucoup, à la folie, emporté par ces trois ahuris si désarmants parfois. Chaque détail compte et l’on sait que Wes Anderson a le sens et le goût du détail qu’on ne comprend pas toujours mais qui fait partie de l’ensemble inévitablement voire de façon indispensable. Pourquoi Francis (Owen Wilson) a-t-il la tête bousillée ? Bien sûr, il a eu un accident de moto (un suicide ?) mais en quoi est-ce utile au scénario ? A rien, juste à le rendre plus fragile et plus ridicule peut-être. Car ridicules, ils le sont, c’est indicible, mais touchants aussi, attachants, pathétiques et émouvants.

    Les trois acteurs forment indissociablement et de façon égalitaire les membres de cette fratrie. Leur point commun d’acteurs semble être une aisance désarmante à jouer les ahuris et aussi une humilité impressionnante qui fait qu’aucun ne tire la couverture à lui. Owen Wilson en grand frère plein de tendresse et de faiblesses tente de jouer les autoritaires et de mener le périple comme un voyage organisé en distribuant chaque jour un emploi du temps qui ne sera jamais suivi. Jason Schwartzman et sa tête d’innocent fatigué qui semble figée dans une expression unique et inerte est monumental en dépressif chronique. Et Adrien Brody, est un grand ado qui ne veut pas grandir, terrifié à l’idée de devenir prochainement papa, encore tout attaché à tous les objets qui ont appartenu à son père. Et oui, comment devenir père quand on se sent encore un enfant ? Il est lui aussi assez impressionnant en funambule caché derrière ses grandes lunettes. Tous les trois ont en commun un côté Buster Keaton et font de l’inexpressivité des sommets de leur interprétation. Et oui, c’est contradictoire mais c’est ainsi. Au final, ce beau, drôle, doux et parfois poignant film raconte l’histoire de trois grands gamins qui s’aiment, qui aiment leur papa et leur maman et qui nous offrent le beau spectacle de leur réconciliation.

    Dire à quel point ce film fou fait un bien fou serait folie !

    Et puis, il y a la visite expresse de ce monsieur... toujours champion du monde toute catégorie du comique métaphysique... essoufflé...

     

    A bord du Darjeeling Limited - Bill Murray