Funny Games US de Mikael Haneke ***
Ann, George et Georgie, la famille idéale épanouie américaine se rend en vacances avec bateau et grosse voiture dans sa superbe résidence secondaire au bord d’un lac. A peine sont-ils arrivés que deux jeunes gens très polis, trop polis, Peter et Paul s’introduisent chez eux sous un fallacieux prétexte. Ann a juste le temps de se méfier qu’il est déjà trop tard. Les deux garçons vont proposer un jeu en forme de pari à la famille : « d’après vous serez-vous encore en vie dans douze heures ? ».
Je ne pourrai faire aucune comparaison car je n’avais pas vu la première version autrichienne du film d’Haneke, j’avais trop peur. Cette fois, je me suis dès le générique et à juste titre cramponnée à mon siège et j’ai avalé ces presque deux heures d’ultra violence, quasiment en apnée. Pourtant seuls les effets seront montrés à l’écran, les coups portés restant toujours hors champ. Le réalisateur a bien compris que faire travailler l’imagination est plus pertinent que d’imposer des scènes de torture explicites.
Depuis le jour où j’ai vu « Black Mamba » enterrée vivante dans « Kill Bill » je n’ai jamais connu expérience aussi traumatisante et flippante au cinéma. Sauf que dans « Kill Bill » il ne s’agissait que d’une scène… Autant vous le dire, ici tout le monde y passe : le chien, le petit garçon, le père, la mère. Face à eux deux tarés bien perturbés et visiblement désoeuvrés qui déciment des familles par simple goût du jeu et de la violence gratuite. Torturer moralement puis physiquement leurs victimes terrorisées EST le jeu mais évidemment ils sont les seuls à jouer bien qu’ils prétendent le contraire. L’autre principe de base du jeu est de ne jamais se départir d’une correction qui confine à l’obséquiosité. Pour interpréter ces deux dépravés, Haneke a fait appel à Michael Pitt, assez génial, horripilant à souhait, plus inquiétant que l’Alex d’Orange Mécanique avec ses gants blancs, son sourire perpétuel et sa coupe de cheveux débile et à Brady Corbet (vous vous souvenez ? le petit garçon traumatisé de « Mysterious Skin ») parfait en déséquilibré incontrôlable. Quant aux victimes, on ne peut que rendre grâce à Haneke d’avoir vu en Tim Roth (toujours extraordinaire) un acteur et non un emploi. Jusque là pratiquement toujours cantonné à quelques rares exceptions près (comme dans le magnifique et boudé « L’homme sans âge » de F.F. Coppola) aux rôles de vilains pervers, il est ici la pure victime, celui qui dès le début est rendu impuissant car immobilisé par une jambe cassée et donc obligé d’assister sans pouvoir réagir à ce qu’on inflige à sa famille. Naomi Watts, victime aussi mais comme souvent, met ici une belle énergie à résister, en vain mais jusqu’au bout, à ses tortionnaires. Le petit garçon, Tom Gearhart, dans un rôle quasi muet interprète la terreur et nous la communique avec effroi.
La mise en scène est exemplaire dans un décor qui se veut chic mais qui m’a plutôt évoqué un hôpital psychiatrique… tout ce blanc !!! Et puis, brusquement et alors que le pire est arrivé… une accalmie dans l’horreur nous fait entrevoir un espoir. Dans une scène à la fois éprouvante et pleine d’espérance, les survivants cherchent et trouvent les moyens de s’en sortir. Les bourreaux ne sont plus là et la tension n’a pourtant jamais été aussi extrême et insupportable. Je vous laisse découvrir la suite…
Que faut-il en penser ? Que la violence et le sadisme peuvent faire irruption dans votre vie avec une telle brutalité qu’on a du mal à imaginer comment on réagirait. Mais aussi comment des êtres humains peuvent faire subir « ça » à d’autres êtres humains restera toujours une question sans réponse pour moi. Haneke semble amorcer un semblant de réponse en évoquant les images dont nous sommes littéralement gavés et leur interprétation. A un moment le très dérangé Peter zappe frénétiquement hypnotisé devant la télé. Plus tard, alors que les évènements ont pris une tournure inattendue qu’il n’avait pas prévue et qui ne lui convient pas, Paul prend la télécommande et rembobine le film qu’on est en train de voir pour que l’issue soit celle qu’il a planifiée. Manifestement, pour certaines personnes déséquilibrées (ou pas) fiction et réalité se confondent et fusionnent… sauf que dans la réalité souvent quand on tire un coup de feu à balle réelle, elle fait des dégâts irréversibles.
Film indispensable ou inutile, je n’en sais rien… Grand film dérangeant, traumatisant et admirable : oui !