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NANNERL, LA SOEUR DE MOZART de René Féret ****

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Le divin Mozart, Wolfie pour les intimes, avait une soeur de presque cinq ans son aînée. Avant lui elle fut une musicienne prodigieuse qui commença la musique dès l'âge de trois ans, formée par son père Léopold à la composition, au chant, à l'orgue et au violon. Et c'est sans doute sa virtuosité qui est à la base du talent de Wolfgang qui dès la naissance fut abreuvé de musique. Elle dit de lui "jamais il ne fallait le contraindre pour composer ou pour jouer, au contraire, il fallait toujours l'en distraire". Hélas pour Nannerl, Léopold lui aussi musicien et compositeur chevronnés, s'aperçoit rapidement du génie de l'enfant. Il délaissera sa fille pour se consacrer à la "carrière" de son fils. Ce père, avide de gloire, parcourera l'Europe dans des conditions parfois difficiles sur les routes pavées, dans le froid de l'hiver, craignant de manquer d'argent souvent, faisant passer sa famille de tristes auberges où ils dorment à 4 dans le même lit au luxe de Versailles, pour présenter le fils prodige à toutes les cours et reléguant la docile Nannerl au rang d'accompagnatrice. Léopold ira jusqu'à lui interdire de jouer du violon, instrument réservé aux garçons, et de composer une seule partition. Jamais son talent ne fut reconnu et elle passera sa vie à obéir à ce père qu'elle vénère tout en continuant d'essayer d'attirer son attention, puis se consacrera à rassembler puis à faire découvrir les oeuvres de son frère qu'elle a toujours adoré.
C'est donc du drame d'une vie gâchée dont il est question mais pas seulement. Ce film est d'une richesse tellement insensée que je m'y perds pour l'évoquer. Les plus blasés parleront peut-être d'un style vieillot, on est effectivement loin de la flamboyance de l'Amadeus de Forman (que j'adore) et les plus polis d'un film "classique". J'y ai vu moi une oeuvre audacieuse, d'une cohérence inouïe, moderne dans les sujets qu'il traite, d'une beauté indéniable, paré d'une musique "à la manière de" (pas une seule oeuvre de Mozart mais des compositions de Marie-Jeanne Serano qui a écrit "en musicienne d’aujourd’hui une musique d’hier, celle de la sœur de Mozart") et doté, je dirais presque "orné" d'une interprétation sensible qui m'a absolument enthousiasmée, transportée et bouleversée.
Suite à la rupture d'un essieu, la famille Mozart est obligée de faire halte à L'Abbaye de Fontrevaud où se trouvent "séquestrées" les trois dernières filles du Roi Louix XV ainsi mises à l'écart des frasques de leur père. La rencontre entre Nannerl et Louise la plus jeune qui va se transformer en un regard en une amitié ardente donne lieu à des scènes d'une douceur, d'une mélancolie et d'une intelligence insensées. Les deux jeunes filles (toutes deux interprétées de façon magistrale avec abandon par les propres filles du réalisateur (et j'espère que papa Féret est conscient de ce que ses filles lui ont offert là)) n'ignorent aucunement qu'elles sont sacrifiées au profit de leurs frères qu'elles continuent néanmoins à aimer. Elles acceptent leur sort avec lucidité, dignité et une résignation noble et bouleversante, toujours droites et fières. Il y a en elles infiniment de tristesse mais jamais d'aigreur ou de rancoeur à l'égard de quiconque. Et c'est beau de les voir, et douloureux aussi. Louise dira à Nannerl : "Si nous avions été des garçons, vous seriez votre frère et je serais le mien : nous règnerions toutes les deux : vous sur la création et moi sur les hommes...".
A partir de cette rencontre qui a réellement existé, le réalisateur en imagine une autre, encore plus romanesque, celle de Nannerl jeune adolescente de 14 ans, presque 15 et qui en paraît 16 (comme elle le fera remarquer à son père qui continue de la présenter comme une petite fille) qui s'ouvre aux premiers émois amoureux et du Dauphin de France, jeune veuf de 17 ans tout juste papa, inconsolable, honteux de la vie dissolue de son père, dévot et musicien mélomane. C'est la musique qui les rapprochera d'abord mais le destin du jeune homme n'est pas non plus entre ses mains.
Quant au clan Mozart composé des parents et des deux enfants, il est en tous points fascinant. A la fois monstrueux en ce que ce père exigeant, obsédé par la gloire et bourreau de travail fait de Nannerl et Wolfie deux petits monstres de foire, des singes savants, et attirant tant l'amour qui va des uns aux autres est indéniable et éclatant. Voir Wolfgang chahuter avec son père à coup de polochons est assez délectable. Marc Barbé, magistral, incarne à la perfection ce père terrible, injuste et complètement fou de ses enfants. La mère est interprétée toute en douceur, en adoration et en dévouement à son mari et ses enfants par la très jolie Delphine Chuillot. Et les dialogues précis, sensibles, raffinés sont prononcés, surtout par les jeunes acteurs, avec beaucoup de décalage entre le désenchantement qu'ils expriment, la fièvre qui les consume et le détachement qu'ils affichent.
C'est un film plein de grâce qui parle d'enfances confisquées, de vies ratées avec beaucoup de délicatesse et d'intelligence.  2

Commentaires

  • Bonjour,

    vous êtes ma référence absolue en matière de critiques de films, mais là, je tombe de haut tellement j'ai l'impression de ne pas avoir vu le même film.
    Certes, le sujet est original, et pour reprendre vos mots (qui sont plus beaux et plus justes que les miens): "J'y ai vu moi une oeuvre audacieuse, d'une cohérence inouïe, moderne dans les sujets qu'il traite, d'une beauté indéniable, paré d'une musique "à la manière de" ".
    Mais quel dommage que le film soit gâché par des acteurs pitoyables! aucune passion aucun "feu" dans les interprétations et cette impression d'assister à un mauvais spectacle de fin d'année de collège.
    Dommage, la réussite totale était presque atteinte.

  • Ah quel dommage ! J'ai été au début intriguée par le "non jeu" des acteurs... et puis je me suis laissé littérallement haper par cette façon d'être constamment en décalage avec le feu de la passion qui les anime. Un des plus beaux films que j'ai vu cette année.
    Merci pour la première phrase... je suis toute rouge !

  • ah c'est intéressant votre point de vue: moi je n'ai pas compris et ressenti le décalage justement. j'ai trouvé au contraire que cela faussait l'aspect passionnel et les sentiments amicaux et amoureux entre les personnages...
    Ne pensez vous pas que le film aurait été autrement plus puissant avec "la juste tonalité" du jeu d'acteurs ("juste" à mon sens)?

  • En fait, à plusieurs reprises, notamment au début, des extraits de lettres sont lues. Et c'est vrai qu'au XVIIIème ils avaient tendance à mettre beaucoup de fioritures dans leurs tournures. Pour dire qu'elle apprécie le Dauphin elle dit qu'il a "une jolie figure et de bonnes manières"... alors qu'en fait elle en est raide dingue et qu'elle a envie qu'il la renverse sur le sofa.
    Je trouve que leur attitude et leur façon de parler sont en accord... et en total "désaccord" avec ce qu'ils ressentent car la bienséance les empêche de se jeter les uns sur les autres et de donner libre court à leur(s) passion(s) parce que ce sont de braves gamins bien dévoués.
    Quand les deux jeunes filles sont ensemble, je trouvais ça encore plus troublant, leur façon de se dire leur amitié. J'avais envie de leur crier : mais merde prenez vous dans les bras, touchez-vous... et non, des silences, des mots, des douceurs ! J'ai trouvé ça très très fort.

  • Waow, 4 étoiles!
    Ca a l'air à la fois passionnant et très austère...
    Merci en tout cas pour cette belle critique (qui divise!).
    Il faut aussi rappeler que l'on doit à ce même René Feret l'émouvant "Comme une étoile dans la nuit" (on retrouve d'ailleurs Salomé Stévenin et Nicolas Giraud au générique de "Nannerl").

  • T'expliques bien, dis donc, Pascale!
    Ah et puis j'ai oublié, mais je voulais dire que j'ai adoré ton "Le divin Mozart, Wolfie pour les intime" en intro à ce billet! Très drôle!

  • Pas si austère que ça en fait, mais beaucoup moins flamboyant que "Amadeus".
    J'ai bien reconnu Salomé, mais je n'ai pas vu Nicolas Giraud.
    Je l'appelle Wolfie parce que je suis une fan de la première heure (enfin, un peu après 1791 quand même.

  • J'adore le cinéma de René Feret et je signale que l'intégrale "Tout Feret" (manque juste les 2 derniers films...) est toujours dispo à 40€ !
    un excellent investissement !!!
    J'ignorais qu'il sortait un nouveau film...
    ça sera donc une priorité, d'autant qu'il y a longtemps qu'il n'a pas tourné un film aussi ambitieux, costumes, etc...

  • Ah oui ziva et reviens me dire.
    J'espère que tu ne seras pas déçu.
    Moi j'en suis encore toute retournée.

  • Tout à fait d'acord avec votre critique. Surtout sur le jeu de la petite Louise de France: c'est un exploit cinématographique que ce personnage composé d'une petite fille ordinaire et d'une princesse toute habitée de sa condition. Même réussite exceptionnelle dans la famille Mozart, à la fois et indissociablement famille ordinaire de toujours (avec ses disputes, son train-train, ses complicités) et famille exceptionnelle par le talent et le destin; les deux dimensions sont mêlées en évitant toujours l'artificialité ou l'anachronisme.

  • ah tant mieux. Je me sens moins seule. J'ai l'impression que personne n'est sensible à ce film.

  • un film merveilleux, de sérénité cruelle, de douceur austère, de grandeur simple. Un cadre exceptionnel : que l'architecture était belle- Difficile de ne pas être un peu nostalgique-mais que le sort des femmes était rude. j'ai aimé le jeu très simple, artificiellement naturel de louise et de nannerl, et le refus de caricaturer le père de mozart, l'empathie pour la mère, les scènes de Versailles ( que c'est beau, on ne s'en lasse pas) , la musique, tout le film , en bref. Un oxymore de délicatesse et de feu sous la cendre.

  • Et bien, je suis de moins en moins seule. Oui, c'est exactement ça. Et il ne faisait vraiment pas bon être une femme à cette époque, sous les dorures ou pas.

  • Quel coup de coeur pour moi aussi ce film : un vrai petit bijou !

  • Ah tant mieux. Il aurait mérité plus de place lors de sa sortie.

  • Bonsoir
    Je signale que, malgré toutes ses qualités esthétiques et romanesques, ce film est très éloigné de la réalité historique. Tout est assez faux au niveau des personnages et des dates. En 1763-1764, Wolfgang avait six ans, Nanerl douze (14 dans le film), Louise de France "amie de Nanerl" avait non 13 mais 26 ans. Le dauphin a été veuf à 17 ans en 1747, 15 ans plus tôt ; lors du passage des Mozart, il a 34 ans et est père de 8 enfants. C'est un homme dévot, sérieux et hautain.

    Les Mozart ont donné des concerts privés à Versailles, assisté à un diner royal et ont été pris dans les querelles entre la Pompadour d'une part, le dauphin et Mesdames les filles de Louis XV âgées de 25 à 35 ans. Mesdames étaient d'une grande arrogance à la cour dès leur enfance. Louis XV a été stupéfait par le talent de Mozart, notamment à l'orgue. Les Mozart ont été un peu glacés par l'étiquette rigide de la cour de Versailles.
    C'est donc une toute autre histoire...
    Haïm

  • Oui c'est du cinéma. Je ne me suis pas replongée dans la bio historique.

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