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DRIVE MY CAR

de Ryusuke Hamaguchi ****

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Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada

Yûsuke et Oto forment un couple qui s'aime. On fait leur connaissance au lit. Après l'amour, Oto a coutume de raconter une histoire à son mari, comme une Shéhérazade qui aurait consommé. On connaîtra la fin de cette histoire, pas très limpide, il y est même question de lamproies ce dont on se passerait bien... de la bouche d'un autre personnage qui a connu Otto.

Le couple s'aime, c'est indiscutable. Leur tendresse et leur complicité sont évidentes. Pourtant, derrière la délicatesse et l'harmonie on sent infiniment de tristesse dans leurs regards et leurs tristes sourires. On découvrira plus tard, le drame qui les a touchés et dont on ne peut que rester inconsolables. Pourtant encore, dans la scène suivante, Yûsuke qui ne peut prendre l'avion à cause de conditions météorologiques défavorables, rentre sans prévenir chez lui. Il surprend Oto dans les bras d'un autre. Il est pétrifié mais choisit de ne rien dire. Plus tard, Oto dit à son mari : "ce soir, il faudra qu'on ait une conversation". Ce n'est pas bon signe quand un partenaire prononce cette formule, mais cette conversation n'aura pas lieu.

Yûsuke est acteur et metteur en scène de théâtre. Il est sollicité pour monter la pièce de Tchékov, Oncle Vania, dans un festival à Hiroshima. Pour s'y rendre, il prend sa voiture qu'il affectionne particulièrement, une Saab 900 rouge de collection mais le règlement du festival impose qu'il ait un chauffeur. Il n'apprécie pas de "prêter" sa voiture mais finit par accepter. C'est Misaki, une jeune femme mystérieuse, au visage fermé qui se chargera de le conduire.

Voilà pour une tentative de mise en place. Mais de quoi parle le film ? Difficile. Il est bavard et empli de silence, mystérieux, parfois complexe car si le réalisateur prend longtemps pour faire évoluer les personnages et nous faire entrevoir ce qui a noirci et bouleversé leur âme, il leur garde toujours une part de mystère. Cela finit par les rendre attachants à mesure qu'ils se livrent car évidemment une fille "chauffeure" et un metteur en scène de théâtre classique n'ont pas grand chose en commun et par rendre aussi ce film envoûtant. Il est assez rare de pouvoir apprécier une telle qualité de silence dans une salle de cinéma assez chargée. On peut parler de grâce et de beauté. Et c'est plutôt bien pour supporter la douleur.

Mais attention, si le film et surtout les deux personnages principaux traînent un mal être existentiel, une culpabilité tenaces, il n'est en rien déprimant. Ils ont gardé leur dignité, ils avancent, continuent de vivre et travailler sans jamais faire peser sur les autres le poids de leur chagrin. C'est à force de se trouver des heures et des heures durant dans l'habitacle de la voiture que Yûsuke et Misaki vont se parler, s'écouter et finalement se confier leurs secrets les plus intimes, les plus profonds, les plus douloureux. Et c'est peut-être parce qu'on est souvent dans cette voiture que le film bifurque régulièrement pour nous emmener ailleurs. Un repas à quatre dans une maison parmi les arbres, un meurtre hors champs, un voyage vers un village détruit par un séisme...

Mais qu'y a-t-il aussi au centre de ce film admirable ? La parole, les mots. Et là où le personnage d'Yûsuke surprend c'est dans sa façon de monter la pièce Oncle Vania. Il déroute les comédiens en les faisant participer à de longues, interminables séances de lecture sans la moindre intonation. Il déconcerte encore plus en choisissant une distribution internationale. Les personnages ne parleront pas la même langue. Ils seront coréen, japonais, chinois, anglais et parmi eux encore une comédienne muette qui s'exprimera en langue des signes. La beauté de ces moments où la jeune femme "parle" par ce langage tellement gracieux est indescriptible.

Le film évoque l'étrange pouvoir consolatoire de la parole, de la voix, de l'amitié, d'une étreinte et de Tchekov... le long et lent "travail du deuil" qui autorise à fumer dans une Saab 900 rouge de collection avec les mains qui sortent du toit ouvrant... et s'ancre dans le présent en faisant porter des masques chirurgicaux à ses personnages lors d'un épilogue apaisant.

A couper le souffle.

Drive My Car » : Hamaguchi mène le cinéma sur une route longue et sinueuse

Commentaires

  • Je viens de lire l'avis de Dasola et comme je le dis dans les commentaires, la durée c'est au-dessus de mes forces. En plus, comme je vais dans des salles provisoires, pas conçues pour le cinéma, les conditions ne sont vraiment pas confortables. (fin des travaux du "vrai" cinéma au printemps 2022, j'ai hâte).

  • Je comprends que tu aies hâte. Elles vont être formidables ces salles enfin rénovées.

  • Bonjour Pascale, il faut quand même dire que trois heures, c'est un peu long. Sinon le film est bien. Ce que j'ai préféré c'est les séquences se rapportant à la pièce de théâtre avec les répétitions. Merci pour ce superbe billet. Bonne journée.

  • Moi j'étais bien triste de quitter ces personnages.
    Mais comme toi, j'ai adoré les scènes de répétition.
    Bonne journée.

  • Tu te sens l'âme nipponne on dirait. Après deux heures quarante-sept sur une île, tu nous proposes trois heures dans une Saab, tout ça après des mois de confinement ! T'es dure.
    " il y est même question de lamproies", c'est "l'anguille" ce truc ?
    Encore un que j'aurais dû choisir, plutôt que d'aller voir Claire Chazal sur i-télé.

  • Ah ça l'orient extrême m'attire fort depuis des décennies... J'avais même un correspondant japonais quand j'étais jeune. Et le cinéma coréen, chinois, japonais... je le trouve exceptionnel.
    Ces voyages déconfinent non ?
    Ah oui, tu aurais dû.

  • Du côté japonais, je pense que je vais plutôt essayer de rattraper "True mothers" tant qu'il est encore temps. De Hamaguchi, je n'ai vu que "Asako I & II", qui ne m'avait qu'à moitié convaincu...

  • True mothers est à ne pas rater non plus.

  • J'attendais ton billet avec impatience... et je l'ai loupé.
    J'ai lu justement la nouvelle de Haruki Murakami (auteur que j'adore).
    Le genre de film qui ne passe pas dans mon complexe, mais je le verrai un jour, comme j'ai vu et aimé Asako...
    Sinon, 30 pages d'une nouvelle pour rendre 3heures de pellicule, le ratio est impressionnant. (et pour info, étonnement ou pas, du recueil des hommes sans femmes de Murakami, ce n'est pas la nouvelle drive my car qui m'a le plus emballé)

  • En tout cas, tu me donnes très envie de lire le recueil.
    Impressionnant ces 3 heures de film pour 30. Murakami est plus concis que Hamaguchi.

  • Je suis allée le voir à la séance de 21h après 2h de route pour rentrer de la campagne. J'avais soif pendant tout le film. Je ne l'ai pas apprécié à sa juste valeur hélas, mais je me souviens d'une grande beauté, d'une magnifique réalisation, et de personnages très dignes. Il a une excellente critique d'ailleurs, presse comme spectateur, c'est un signe :) Tu en parle très bien.

  • Merci.
    Ce n'est pas un film que j'irais voir à 21 heures ! Aucun film d'ailleurs.

  • Comme tout le monde, quand j'ai entendu parler du film, ma première réaction a été "TROIS HEURES? hum… est-ce que ça me fait vraiment envie?"…
    ... et puis, une fois dans la salle, je n'ai - littéralement - pas vu le temps passer!
    Ah et aussi: j'ai trouvé par son découpage et son rythme, le film rendait à merveille le ton, l'atmosphère des écrits de Murakami.

  • En effet la durée peut être un frein mais il est vrai aussi qu'on ne voit pas le temps passer.
    Il est vraiment temps que je me penche sur cet auteur.

  • Un film un peu long, mais très beau en effet, un film hivernal sur les non-dits et les doubles, où l'on part de Murakami mais où l'on aboutit à Tchekhov. Je ne regrette pas de l'avoir vu.

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