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ANNIE COLÈRE

de Blandine Lenoir ****

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Avec Laure Calamy, India Hair, Zita Hanrot, Rosemarie Sandley, Louise Labèque, Damien Chapelle, Yannick Choirat, Eric Caravaca, Pascale Arbillot

Annie est ouvrière dans une usine de confection de matelas. Mariée à Philippe et mère de deux enfants de 9 et 16 ans, elle est enceinte et ne souhaite pas un troisième enfant.

Timidement, presque tremblante, elle pousse la porte d'une librairie. Dans une arrière salle se tiennent les réunions du MLAC, Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception. Cela se passe en 1974, un an avant que la loi Veil ne dépénalise et légalise l'interruption volontaire de grossesse. Les femmes qui accueillent Annie lui expliquent que cette organisation propose et exerce des IVG (avant huit semaines) encadrées par des médecins et des infirmières. L'acte est gratuit et utilise la méthode Karman qui consiste à aspirer le contenu de l’utérus à l’aide d’une canule. Les actions du MLAC sont illégales (l'avortement est interdit à cette époque) mais pas clandestines, le mouvement ne cache pas ses activités.

J'ai retardé de voir ce film car je n'en pouvais plus de voir et revoir encore la bande-annonce qui me donnait l'impression d'avoir déjà vu le film sans l'avoir vu. J'ai bien fait de me forcer car ce film est un choc, une somme indispensable sur ce combat qui a été mené, en aval de la loi Veil par des femmes qui n'en pouvaient plus de voir mourir leurs soeurs, leurs amies ou de souffrir abominablement au cours d'un acte relativement banal mais effectué à la hâte, sans antisepsie avec des instruments barbares. Le film ne remet évidemment pas en cause ni ne minimise l'importance du combat de Simone Veil mais le MLAC a été totalement rendu invisible dès lors que la ministre s'est emparée de la lutte. Ce mouvement basé sur l'entraide, l'écoute, le partage de connaissances et de gestes techniques est unique. Des femmes entourées de médecins (souvent des hommes) ont permis à d'autres femmes de mettre un terme à des grossesses non désirées parce qu'elles avaient déjà 2, 3, 4... enfants, avaient été violées, étaient trop jeunes et également parce qu'elles ne voulaient pas d'enfants. Cela arrive et ne devrait pas être condamnable. La contraception n'était pas pratiquée car les médecins ne la prescrivaient pas ou elle était refusée, empêchée par les maris "parce que ça rend frigide". Il ne restait que la fameuse méthode Ogino ou le retrait pas toujours bien contrôlé.

Toutes les âneries qui ont pu être proférées sur l'avortement, la grossesse non désirée, la contraception sont exposées dans le film avec une fluidité remarquable. Les femmes de l'époque étaient encore sous la coupe des hommes et surtout en matière de sexualité. Il faut voir l'extraordinaire intervention de Delphine Seyrig dans une émission de télé devant un aréopage d'hommes qui gloussent et rient sous cape (j'ai reconnu taisez-vous Elkabach) pendant qu'elle s'indigne que les femmes qui avortent soient accusées de pratiquer une "sexualité vagabonde". L'expression serait presque jolie s'il ne s'agissait de condamner les femmes incapables de maîtriser leur sexualité et la procréation, comme si les enfants se faisaient seules. La première IVG selon la méthode Karman aurait été effectuée chez l'actrice.

Ce qui rend le film passionnant et bouleversant à plusieurs reprises c'est avant tout la solidarité, la tendresse, la douceur, l'entraide et l'efficacité de ces femmes qui s'entourent, s'enveloppent les unes les autres et chaque histoire unique, singulière est particulièrement émouvante. On "assiste" à plusieurs avortements en temps réel. Lorsqu'Annie sera sur la table, Monique (merveilleuse Rosemarie Sandley, la chanteuse du groupe Moriarty) ne lui lâchera pas la main, ne la quittera pas des yeux, lui proposera de lui chanter une chanson. Je vous mets au défi de ne pas pleurer. Moi j'ai fini en larmes. La réaction d'Annie : "si j'avais su je n'aurais pas eu si peur" et des autres femmes est émouvante, presque drôle, toutes étonnées qu'elles sont que ça ne finisse pas dans un bain de sang. Et pourtant, le film n'est en rien un plaidoyer en faveur de l'avortement. Aucune femme, jamais, n'a avorté dans la joie, de gaité de coeur. Le film dit juste avec douceur et fermeté que les femmes peuvent et doivent choisir, disposer de leur corps, qu'il doit être beaucoup plus agréable pour un bébé de vivre en ayant été désiré. Il leur arrive même de dissuader des femmes d'accomplir l'acte car elles ne les sentent pas du tout décidées ou parce que la décision ne vient pas d'elle.

Au début Annie est une femme presqu'ordinaire qui se consacre à sa famille et à son travail. Son implication progressive dans le mouvement va la métamorphoser. Son mari (Yannick Choirat, très bien) n'est pas hostile, même s'il voit l'engagement de sa femme au début d'un oeil un peu condescendant, "c'est bien que tu fasses ça" et finit par s'agacer de ses absences, lui qui ne sait pas se faire cuire un oeuf... mais jettera quand même un oeil attentif et intéressé sur le livre qu'Annie a pris à la librairie, L'orgasme féminin. Et Annie tient bon, prend de l'assurance, se redresse peu à peu sur son vélo, lève le nez, devient plus belle, plus lumineuse et pour les autres une épaule rassurante, une écoute compatissante.

Je dois dire que j'ai eu peur pour ses enfants, qu'elle délaisse un peu. Et surtout pour son irréprochable grande fille de 16 ans, absolument impeccable en toute circonstance.

Notons que la réalisatrice se démarque de la plupart de tous les autres films féministes par  son absence totale de condamnation et de stigmatisation des hommes. Et aussi parce que contrairement aux détestables L'évènement ou 4 mois, 3 semaines et 2 jours elle ne sombre jamais dans le pathos et le sordide. Il n'est pas utile de filmer un foetus dans une cuvette de toilettes pour prouver que l'avortement n'est pas un acte anodin. Et le film n'entend jamais considérer l'avortement comme un moyen de contraception. D'ailleurs le MLAC a aussi une démarche pédagogique. Il parle aux femmes de contraception et leur permet de mieux connaître voire de découvrir leur corps. Les scènes où Annie découvre son col de l'utérus, sa prostate sont d'une émotion et d'une drôlerie incroyables. Il faut dire qu'Annie c'est Laure Calamy, actrice prodigieuse, tellement proche, tellement vraie. Et qu'elle est entourée de quelques femmes/actrices particulièrement convaincantes et engagées. India Hair, Zita Hanrot, Rosemarie Sandley et Laure Calamy sont merveilleuses.

Ce bel hymne à l'émancipation féminine est un hommage aux militantes courageuses qui ont lutté contre ces avortements clandestins qui provoquaient des dizaines de morts par an. Et bien qu'il y ait le mot colère dans le titre, le film est toujours digne, sobre, doux.

A voir toutes affaires cessantes avec vos femmes, vos maris, vos filles et vos garçons.

Commentaires

  • Tu en parles de manière particulièrement convaincante. Merci. Je prône un féminisme qui n'exclut pas les hommes. Et puisque tu dis que ce film s'inscrit dans cette veine, je vais essayer de trouver le temps d'aller le voir.

    1974, c'est aussi "mon" année...

  • Une bonne année donc !
    Je prône aussi ce féminisme et le film me paraît indispensable à tout point de vue.

  • Laure Calamy, une actrice formidable qui se trompe rarement de film, à voir donc !

  • A voir absolument. Et Laure Calamy est L'ACTRICE de ces dernières années avec Viriginie Efira.

  • Beaucoup aimé le film également, intelligent sur le fond, ludique et émouvant, un film à voir !

  • Absolument, ce film est à voir.
    Tu as déjà trouvé She said ludique, je ne comprends absolument pas ce que tu veux dire.
    Soit la définition de "ludique" t'échappe*.
    Soit tu trouves très amusant le parcours des femmes.

    *Quelle est la définition du mot ludique ?
    Adjectif. Qui permet de s'amuser. Qui est de l'ordre du jeu.

  • Moi j'ai été bouleversée par l'évènement.
    Et j'espère aller voir celui-ci ce weekend, ton avis conforte ma très grande envie de le voir !

  • Ah pas moi. J'avais trouvé qu'il jouait contre son camp ce film. Tout ce pathos et ce gore, pouah.

    Mais celui-ci est formidable.

  • "Ludique"... oui dans le sens où cela permet d'apprendre des choses sans être trop scolaire, un film reste un divertissement si en plus on apprend c'est que du bonus... Exemple, l'école Montessori privilégie l'apprentissage ludique... Simplement dans ce sens, ce qui ne veut pas dire que ŀe fond n'est pas sérieux

  • Cela convient peut-être à Montessori mais absolument pas ici.
    Et je persiste, ludique reste de l'ordre du jeu et n'a rien à faire ici.

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