GOUTTE D'OR de Clément Cogitore ***(*)

et

TEMPS MORT d'Eve Duchemin ****

GOUTTE D'OR de Clément Cogitore ***(*)

Film en avant-première - France

Sortie 1er mars 2023

Vu en présence de Karim Leklou

avec : Karim Leklou, Malik Zidi, Yilin Yang

Synopsis : Ramsès, trente-cinq ans, tient un cabinet de voyance à la Goutte d’or à Paris. Habile manipulateur et un peu poète sur les bords, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. L’arrivée d’enfants venus des rues de Tanger, aussi dangereux qu’insaisissables, vient perturber l’équilibre de son commerce et de tout le quartier. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.

Le film est tout à la fois le portrait d'un quartier de Paris comme on le voit rarement entre misère urbaine, chantiers et travaux qui semblent ne jamais finir et celui d'un homme à la fois arnaqueur certes mais aussi sensible à la détresse des gens en deuil. La façon dont il mène son commerce et comment il perce les secrets les plus intimes de ses "clients" est assez drôle en fait. Nos i-phones et smartphones sont des mines de renseignements précieux.

Même s'il est clairement menacé par les autres gourous du quartier parce qu'il empiète sur leur territoire, Ramsès n'a peur de rien ni de personne. Jusqu'à ce que débarque une bande de petits marlous venus du Maroc qui ne parlent pas un mot de français et ont fait de la violence leur quotidien.

Ce moment de bascule du film est un peu confus. Les gamins semblent vraiment tomber de nulle part et on comprend mal leurs intentions. Et ces moments d'une énergie folle laissent peu à peu place à une véritable émotion. Ces jeunes sont des mineurs non accompagnés, des chiens fous perdus et sans collier, qui survivent de larcins, dorment dehors, sont à la fois harceleurs et victimes. De têtes à claques ils deviennent bouleversants, ce sont des enfants et rien ni personne ne les protège. Les petits acteurs sont des "premiers de la classe" dans la vraie vie paraît-il, ils sont tous étonnants.

Karim Leklou les accompagne. Escroc sympathique, grand frère compatissant, il a avec son propre père des relations fortes qui donnent lieu à deux scènes exceptionnelles entre mysticisme et tendresse.

Après le fantastique et surprenant Ni le ciel ni la terre, après l'éprouvant, hallucinant et magnifique Braguino un film en forme de paradis perdu, Clément Cogitore démontre à nouveau quel réalisateur intense et passionnant il est. Ce qu'a confirmé Karim Leklou présent à l'issue de la séance qui parle de son métier et de ce film avec un bonheur et une passion communicatifs. Cet acteur est absolument passionnant à écouter. Je suis ravie d'avoir pu le rencontrer.

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TEMPS MORT de Eve Duchemin ****

Film en avant-première - Belgique/France 

Sortie le 3 mai 2023

Vu en présence de Karim Leklou et Eve Duchemin

avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousyns

Du samedi au dimanche, trois détenus se sont vu accorder une permission. Pour un week-end il peuvent rejoindre leur famille, tester un emploi, renouer des liens distendus. Faire enfin ce que bon leur semble et rentrer à 18 heures précises le dimanche sous peine de voir leur réclusion augmenter de six mois.

Nous n'apprendrons rien de ce qui les a conduits derrière les barreaux mais nous suivrons à tour de rôle les 24 heures précieuses de ces trois hommes de trois générations différentes. 

Eve Duchemin dont c'est le premier film de fiction connait bien l'univers carcéral pour lui avoir consacré plusieurs documentaires. Elle suit ici le parcours de 3 hommes dont elle cherche à rendre l'humanité toujours ancrée au plus profond de l'homme détenu, privé de liberté. Il y a Julien (Issaka Sawadogo a le charisme et la présence de Mahershala Ali) incarcéré depuis 20 ans, Anthony (Karim Leklou d'une intensité folle) dont la place serait sans doute plus logique en hôpital psychiatrique et le jeune Colin (l'inconnu Jacob Cousyns).

La réalisatrice a parfaitement cerné la fragilité de tous les personnages et y compris celle des familles brisées par ces emprisonnements. L'incarcération est également une punition pour tout l'entourage privé de la présence de l'un des leurs. Le montage parallèle et efficace entre les trois situations bien différentes montrent toutes les difficultés, les bonheurs, les hésitations et les réactions de chacun parfois cruelles. C'est précis, nerveux et absolument vraisemblable. La prison intérieure dans laquelle chacun a pu s'enfermer, la honte, les remords, le désir de prouver qu'on est resté une personne "bien", toutes ces sensations confuses et profondes forment une détresse supplémentaire. C'est très beau, très fort, très émouvant.

Les acteurs illustrent ce fardeau émotionnel avec une déroutante et puissante incarnation.