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LES FILLES D'OLFA

de Kaouther Ben Hania ****

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Avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Eva Chikahoui, Majd Mastoura

Olfa a quatre filles. Deux seulement sont encore avec elle car ses deux aînées, radicalisées sont allées rejoindre les rangs de Daech.

L'histoire qui nous est contée est vraie et est aussi terrifiante que tristement banale tant de nombreuses mères, de nombreux parents doivent en Tunisie (et ailleurs) vivre le même calvaire de voir leurs enfants, leurs filles tomber aux mains des recruteurs passés maîtres en communication et art de la manipulation des plus fragiles. Les filles d'Olfa étaient des proies faciles. Elles avaient tellement à se battre quotidiennement contre tous les hommes de leur entourage que la promesse d'une éternité de bonheur devait être séduisante ; après avoir été évidemment la femme d'un héros et un ventre utile pour porter la descendance... Je vais vite et j'extrapole.

Le dispositif de la réalisatrice est simple et formidable. Olfa et ses deux filles cadettes "jouent" leur propre rôle, des actrices tiennent celui des absentes et par moments, lorsque cela sera trop difficile pour Olfa, elle sera également remplacée par une actrice, star dans son pays, Hend Sabri. Pour interpréter les rares hommes de l'entourage, un seul (courageux) acteur, Majd Mastoura (vu dans le formidable Un divan à Tunis).

Dans son film de fiction dur et éprouvant La belle et la meute, la réalisatrice évoquait déjà la condition et le calvaire des femmes face aux hommes et à l'administration. Ici, elle va encore plus loin et au-delà de ce que la radicalisation des deux aînées provoque dans la famille détruite, désemparée mais toujours en lutte pour avoir des nouvelles des absentes, elle détaille le portrait d'une femme incroyable, charismatique, pas forcément sympathique et à la parole totalement libérée. Elle permet aussi aux deux filles cadettes de se confronter à cette mère monstre qui reproduit sur ses filles les mauvais traitements qu'elle a elle-même subis enfant puis femme. Elle ne peut parfois plus s'exprimer que par des hurlements, des insultes et des coups. Allant jusqu'à dire lorsque l'aînée a eu, adolescente, sa période "gothique", "je me suis arrêtée de la battre quand elle n'a plus bougé".

Olfa, la mère n'est pas une inconnue. Depuis 2016, elle apparaît sur les plateaux télé pour parler de la radicalisation de ses filles Rahma et Ghofrane et de ses tentatives pour les sortir de l'enfer. Son tempérament volcanique, ses critiques envers les autorités qui ont laissé ses filles partir en Lybie ne l'ont pas forcément rendue sympathique. Elle a évidemment été traitée de folle et d'hystérique. C'est touchant et fort de l'entendre dire que le fait qu'une star telle que Hend Sabri "joue" son rôle lui apportera enfin une crédibilité aux yeux de ses interlocuteurs. La caution de l'actrice, saisissante quand elle essaie de pointer les comportements excessifs voire abusifs d'Olfa, est une véritable opportunité.

Olfa a des formules qui frappent fort. Ses filles ont été "prises par le loup" et le sort des femmes tunisiennes est une "malédiction". Dès sa première apparition, on voit quelle femme puissante elle est. Manipulatrice peut-être aussi avec un discours bien rodé. Comment elle s'est débarrassée de tous les hommes (minables) autour d'elle et de ses filles. La reconstitution de sa nuit de noces où elle tient tête à son mari, à sa soeur qui intervient et dit à l'homme de la jeter par terre dans un coin et de lui "faire son affaire" est à la fois drôle et effarante. Le film contient quelques reconstitutions et nous serons constamment tour à tour et simultanément surpris par des réactions qui oscillent entre le rire et les émotions très fortes.

C'est une des grandes réussites du film, suggérer l'émotion sans pathos. Lorsqu'Olfa découvre pour la première fois les actrices qui interprèteront ses filles aînées, elle est immédiatement submergée par une émotion réelle. Contrairement à certaines de ses interventions où on la voit sourire en coin, elle est ici incapable de supporter la vue d'une des actrices qui ressemble énormément à Ghofrane. Lorsqu'elle se ressaisit elle nous donne sa perception de la place des femmes et surtout des raisons de sa violence permanente vis-à-vis de ses filles à qui elle veut inculquer le poids des traditions tout en les protégeant. Elle est à la fois une victime et une femme forte, féministe parfois (le sang sur les draps le soir de la nuit de noces est un grand moment) dans son combat de protéger ses filles et terrifiante quand elle affirme que le corps des femmes appartient à leur mari. Olfa est une contradiction vivante, donc passionnante, agaçante, bouleversante.

Et près d'Olfa, il y a deux jeunes femmes exceptionnelles de 18 et 21 ans, Tayssir et Eya, un festival de dents éclatantes, de beauté et de cheveux soyeux qu'elles touchent sans cesse, remettent en place comme pour montrer que ces "accessoires" font partie de ce qui les constituent et leur appartiennent mais aussi qu'ils sont sans danger. Leur apparence glamour ne les rend pas superficielles pour autant. Je dirais presque au contraire. Leur beauté solaire est la preuve que derrière cette apparence se cache des combattantes inoffensives mais résolues. Elles sont les cadettes qui ont échappé miraculeusement à l'emprise. Leurs échanges, leurs révélations, leurs confidences aimantent le spectateur à l'écran. Comment font-elles pour avoir cette finesse, cette intelligence d'analyse, ce recul après ce qu'elles ont vécu et endurent encore, cette faculté de sourire, de rire et d'espérer ? Le terme du phénomène de résilience est souvent employé à tort et à travers. Elles en sont d'authentiques représentantes. Elles sont merveilleuses lorsqu'elles miment comment elles s'y prenaient quand l'argent venait à manquer et que les assiettes étaient vides. Et fascinantes lorsqu'elles expliquent, mieux que n'importe quel docte reportage, comment le port du voile et du niqab a d'abord été un acte de contestation adolescente conséquence des effets délétères de la révolution arabe. Et encore étonnantes face à leur mère qu'elles continuent d'aimer, de respecter tout en lui révélant aussi l'ampleur de son emprise et de ses mauvais traitements injustifiés. Olfa qui est à la fois leur tortionnaire et leur refuge. Elles sont tellement sages ! Leur relation est admirable.

Chaque scène de ce film qui a été récompensé de L’œil d’Or du meilleur documentaire au Festival de Cannes mériterait qu'on s'y attarde. Je vous encourage vivement à le voir.

Commentaires

  • Je vais y aller c'est sûr ; et "les algues vertes" qui sortent maintenant aussi. L'été est bon pour le cinéma cette année.

  • Entre les algues vertes et les herbes sèches on a du boulot.

  • quel concept, je n'avais jamais vu cela auparavant
    pauvre en décor mais captivant
    j'ai aimé les différentes facettes des personnages capables de tout et son contraire

  • Oui c'est un documentaire hors du commun à plus d'un titre.

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