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BOLÉRO

d'Anne Fontaine ***

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Avec Raphaël Personnaz, Jeanne Balibar, Doria Tillier, Vincent Pérez, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin

En 1928 Maurice Ravel est sollicité par Ida Rubinstein danseuse chorégraphe du début du XXème siècle pour lui écrire la musique de son prochain ballet dans un style espagnolisant.

Lorsqu'enfin l'inspiration reviendra au musicien, il composera son oeuvre la plus connue dont il disait : "Je n'ai écrit qu'un seul chef-d'œuvre, le Boléro, malheureusement il est vide de musique". Je ne suis pas d'accord avec lui, sur deux points. Non seulement Ravel est l'auteur de plusieurs chefs-d'oeuvre mais le Boléro, en deux thèmes et une ritournelle explose de musique.

Je fais partie des mélomanes qui aiment ce morceau incroyable de 17 minutes (parfois un peu moins, parfois un peu plus suivant le chef d'orchestre) alors que d'autres y sont épidermiquement allergiques. A chaque écoute (et il paraît qu'il ne se passe pas un quart d'heure dans le monde sans que quelqu'un ne l'écoute) je trouve cette oeuvre fascinante, originale et parfaitement unique, quasiment expérimentale et virtuose. Rien que ce tempo fixe scandé ostinato 169 fois pendant toute la durée de l'oeuvre est incroyable. Le percussionniste réalise à mes yeux (à mes oreilles plutôt) un exploit en conservant ce mouvement obsédant, obstiné pendant plus d'un quart d'heure. Lors de l'entrée successive des instruments de l'orchestre, ils reprennent le même thème, la flûte, la clarinette, le hautbois. Puis le cor, le célesta, le piccolo changent d'octave. Ensuite entrent les cordes et toujours ce thème entêtant jusqu'à l'apothéose finale offerte par les glissandos caractéristiques des trombones avant l'effondrement final. Un chef d'oeuvre d'audace sublimé parfois par les chorégraphes dont l'interprétation la plus puissante et belle est pour moi celle de Maurice Béjart transcendé par Jorge Donn.

Ida Rubinstein avait déjà compris toute la force sensuelle, érotique voire sexuelle de l'oeuvre. Ce qui déplut fortement à Ravel qui était un être, délicat, raffiné et asexué. Ce que démontre le film qui n'est pas la catastrophe que la bande-annonce laissait supposer. Et j'ai été ravie de faire la connaissance de Maurice Ravel dont je connais quelques oeuvres merveilleuses (Pavane pour une infante défunte, La valse, Le tombereau de Couperin, Le concerto en sol...) mais ignorais tout de son attachante et complexe personnalité.

Cet homme gracile presque chétif, élégant dans ses tenues vestimentaires de dandy, qui ne peut se produire sur scène qu'avec ses souliers vernis noirs reste une énigme. Qu'est-ce qui l'empêche de répondre à l'amour et à l'étreinte que Misia Sert lui réclame (peut-être parce que c'est le seul homme qui lui résiste) ? Il prétend vouloir lui offrir mieux et plus que les autres, pas un baiser mais de la musique. Son asexualité ne l'empêche cependant pas de se rendre régulièrement dans un bordel où il fait des demandes très chastes aux demoiselles de petite vertu. Quant à la musique, elle est dans sa tête, elle s'y installe pendant un long temps avant d'exploser sur le papier quand l'exigence du maestro cède enfin.

Le film échoue un peu à décortiquer l'origine de l'oeuvre objet du titre et peine à démontrer que certains bruits (les machines d'une usine, un réveil matin) sont des sources d'inspiration. Et l'interprétation de Doria Tillier (elle a dû se faire une tendinite des mâchoires avec ce sourire permanent) dans le rôle de Misia (beaucoup moins vilaine fille que dans Bonnard Pierre et Marthe) gâche un peu la relation platonique et subtile avec le maestro. Mais l'interprétation, l'incarnation de Raphaël Personnaz tout en finesse et mélancolie permet de garder intact le mystère de cet homme. L'acteur a perdu dix kilos pour interpréter le rôle. Il a l'élégance du musicien et pianiste lui-même interprète les oeuvres au piano.

Le fait que Ravel peine à écrire le ballet réclamé par Misia et constitue le grand suspense du film pourrait être pesant mais il permet à Jeanne Balibar dans le rôle d'Ida Rubinstein de multiplier ses interventions. Elle se montre de plus en plus insistante voire menaçante (confier l'écriture de l'oeuvre à quelqu'un d'autre). L'actrice nous offre un festival de répliques, de mimiques et de minauderies tourbillonnantes absolument délicieuses et drôles.

Contrairement à ce que j'ai lu, le film ne se limite pas à faire l'anatomie d'un tube mondial mais nous permet d'entendre plusieurs oeuvres de Ravel. Quant à l'"utilisation" de l'oeuvre à travers le temps et le monde, elle fait l'objet d'un montage astucieux et pertinent mais se situe étrangement en début de film et non à la fin. Choix bizarre.

Alexandre Tharaud se voit offrir le rôle du critique musical impitoyable de l'époque. Vincent Pérez affirme encore sa présence dans celui de l'ami fidèle. Et j'insiste sur la belle performance de Raphaël Personnaz tout en mystère et intériorité.

Olivier Delaunay dans Sud-Ouest dit tout cela mieux que moi : "On pense à cette scène où Raphaël Personnaz joue la Pavane pour une infante défunte devant le public de Boston, reproduisant une tournée mythique que le musicien a faite quelques mois avant de composer son Boléro. Faire entendre sa musique, et conserver sa part de mystère, c'est peut-être le plus bel hommage que l'on pouvait lui faire".

PS. : une partie du film a été tournée dans la belle maison de Ravel devenue Musée, le Belvédère à Montfort-Lamaury. Cela donne envie d'aller y faire un tour.

The closure of the Ravel museum would be an act of cultural sabotage |  Classical music | The Guardian

Commentaires

  • Bonjour Pascale, j'ai eu la chance de voir Jorge Donn dans le Boléro au théâtre des Champs Elysées il y a très très longtemps. J'étais en transe. Sinon, j'irai peut-être voir le film. Je te conseille aussi Ravel de Jean Echenoz, c'est très bien. Et je suis fan des deux concertos pour piano par Samson François. Bonne journée.

  • Bonjour dasola. Quelle chance. Jorge Donn est une beauté de la création. Sur certaines chorégraphie on a l'impression qu'il vole.
    Grâce au film j'ai réécouté des œuvres de Ravel. C'est magnifique.
    Raphaël Personnaz est vraiment excellent.

  • Beaucoup plus engageant que les braqueurs ! En plus je sors d'une expérience orchestrale magistrale avec Bradley Cooper, bien envie de prolonger le mouvement grâce à Anne Fontaine.

  • Oh tu as aimé Bradley ?
    Je l'ai vu à Venise. C'était un moment merveilleux dans cette salle au son magique. Ce film aurait bien mérité une sortie en salle.
    Cette interprétation de Mahler, quel moment !
    Boléro est moins flamboyant parce que le personnage l'est moins mais j'ai aimé le voyage.

  • Il me semblait bien que tu l'avais vu. Mais je n'ai pas retrouvé trace d'une chronique.
    On est douze crans au-dessus des "shallows" de la Lady avec Mahler et Lenny. Par contre il lui a piqué son pif à la gaga.

  • Je n'avais écrit que quelques lignes.
    Ah ce nez ! Tellement problématique...
    La scène mahlérienne est exceptionnelle.
    http://www.surlarouteducinema.com/archive/2023/09/07/venezia-6460228.html

  • J'ai trouvé tout ça bien fait, mais de façon très scolaire, il m'a manqué du souffle sur le fond comme sur la forme, on ne sent aucune passion derrière ce Ravel/Personnaz un peu trop austère (il était un oiseau de nuit friand de soirée festive entre autre)

  • Il est vrai que c'est très très sage mais on voit bien qu'il participe aux soirées de l'ambassadeur sans être celui qui ambiance la fête.

  • Ah oui Jorge Donn ! Je me souviens. Moi ce dont je me souviens dans ce film, ce sont les autres œuvres de Ravel et la prestation de François Alu. !

  • Oui les autres œuvres sont bien présentes aussi.

  • De retour de 15 jours en Algérie.
    Mon père adorait ce morceau alors je pense être un de ceux qui a le plus entendu le Boléro dans sa vie.
    J'ai trouvé R. Personnaz ( content de savoir qu'il interprète lui même les morceaux) vraiment juste dans ce rôle. Et suivre quelques années de la vie de Ravel m a vraiment passionné. Et bonne idée de nous faire entendre plusieurs œuvres de M Ravel.
    Il est vrai que le film ne réussit pas vraiment à nous faire découvrir comment est né ce Bolero ( notamment avec les sons du quotidien ou ceux de l'usine) et Doria T avec ce sourire beat me fesait penser à Ariane Ascaride par moment. D'autres personnages comme la mère ou Marguerite l'agent étaient très bien.
    Drôme d'idée oui de mettre toutes ces interprétations du Boléro au début et j'ai lu par ci par là que la fin manquait de panache. Mais j'ai trouvé au contraire voir Ravel chef d'orchestre et le danseur ensemble une très bonne idée.

  • Tellement pratique depuis le petit aéroport.
    Je pense que ceux qui aiment ce morceau l'adorent et peuvent l'écouter encore et encore. En ce qui me concerne je suis toujours stupéfaite de cette progression jusqu'à l'explosion.
    L'Infante et les concertos sont des oeuvres sublimes je trouve.

    J'ai bien aimé le personnage de la domestique aussi.
    Madame Alvaro m'est absolument insupportable (physique et voix sont une épreuve redoutable pour moi :-) )
    Doria Tillier a dû se faire des crampes aux mâchoires. C'est insupportable ce sourire permanent.

    Le film vaut mieux que les critiques qu'il a reçues malgré ses moments incompréhensibles (la visite de l'usine ne sert à RIEN comme Jeanne Balibar l'exprime admirablement).
    Raphaël Personnaz est vraiment formidable.

  • Je l'ai enfin vu. Et je ne le regrette pas. Ce n'est pas le film de l'année certes, mais c'est très regardable. Et la musique est là, j'ai reconnu pas mal d'oeuvres. Personnaz est drôlement bien ; par contre je trouve que Doria Tillier est fade dans le rôle de Misia, que j'imagine nettement plus éblouissante. Jeanne Balibar s'en donner à coeur joie. Belle reprise du boléro à la fin. Je sens que je vais relire "Dans les forêts de Ravel" de Michel Bernard, que j'avais beaucoup aimé.

  • Ah tant mieux.
    Raphaël Personnaz est vraiment très bien oui.
    Je suis d'accord pour Doria Tillier.
    Anouk Grinberg en faisait trop jusqu'au ridicule pour ce personnage mais Doria n'a pas une présence très forte. Et je trouve son sourire crispé crispant.
    Jeanne Balibar se régale. Je l'adore.
    Le livre me tente. Il paraît que celui de Jean Echenoz est formidable aussi.

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