THE RETURN, LE RETOUR D'ULYSSE
d'Uberto Pasolini *
Avec Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer
Quelques mots afin de vous permettre de faire quelques économies. Ne me remerciez pas, je suis là pour ça.
Avant toute chose, il n'est pas interdit de se moquer un peu. Non mais c'est quoi ce titre ??? Parfois il y a de quoi râler sur les traductions ou adaptations de titres étrangers en français mais là, pourquoi, mais POURQUOI ??? Pourquoi répéter le mot retour... une fois en anglais, une fois en français. Dans ce cas, pourquoi pas : Le retour, The return of Ulysse (ou Ulysse's return) ? Ou pire, pourquoi ne pas tenter un petit την επιστροφή ?
Comprends pas.
Il faut également un temps d'adaptation pour entendre tous ces grecs parler anglais sans pouffer.
Mais venons-en au fait.
Je pourrais me contenter de vous dire que ce film est d'un ennui à périr mais vous m'en voudriez de ne pas étoffer un peu l'argument. Et puis les images ensoleillées de la Grèce, de Corfou et de l'Italie donnent un avant-goût de vacances et également envie de se saisir de bâtons de marche et partir vadrouiller dans la campagne. Mais il fait décidément trop chaud (ben oui han, c'est l'été han !) pour crapahuter sous le cagnard dans les cailloux mythologiques. Mieux vaut aller au cinéma et s'assoupir un peu. Ce film est fait là pour ça.
Que les puristes me pardonnent, je n'ai pas révisé mon Odyssée pour l'occasion mais pour faire court, disons qu'Ulysse, fils de Laërte et d'Anticlée est parti guerroyer loin d'Ithaque (Troie, le Cheval, Achille, Hélène et tout le toutim !). La plaisanterie a duré dix ans. Pendant ce laps, sa chère Pénélope, pas un texto, rien, a donné naissance à Télémaque (elle devait être enceinte au moment du départ ou alors le gamin était vraiment tout minot quand papa est parti, j'ai pas révisé je vous dis) et elle patiente en regardant au loin si la route poudroie et si l'herbe verdoie. Tous les gars d'Ithaque persuadés que le roi est mort (ah oui, au fait, Ulysse est roi du morceau de caillou) veulent épouser la reine car une femme ne peut régner seule. Et même si la dame est choupinette on peut se demander pourquoi les gars se rendent malades et sont prêts à tout pour posséder un bout de rocher de 110 km². La légende parle de 114 prétendants ! Mais Pénélope, attachée à son homme comme une moule à son rocher (ne dit-on pas fidèle comme Pénélope ?) se refuse à tous mais leur promet de faire son choix dès que sa tapisserie sera terminée. Sauf que la coquine est rusée comme une renarde. Le jour elle tisse et la nuit elle détisse et "du coup" ben la tapisserie prend du retard.
Ulysse quant à lui met dix ans à retrouver le chemin d'Ithaque. On le surnommait pas GPS le gars. Lorsque le film démarre, nous le découvrons gisant sur le rivage, tel que Dieu l'a conçu, nu comme un vers. Il a vraisemblablement perdu ses vêtements dans le naufrage, ça arrive. Ce n'est pas dit dans la chanson mais c'est joli. Le muscle est sec mais vigoureux, la cuisse longue et élégante. Recueilli et soigné par un clampin du coin, livreur de cochons nains de son état, Ulysse ne décline pas son identité et devient clodo lui aussi. Personne ne lui donne de vêtements. De temps à autre, il porte un pagne miteux ou une couverture dégueulasse mais la plupart du temps il vire naturiste et même full frontal au lever du soleil. En gros, Ulysse il se traîne une culpabilité maousse costaud car revenir seul de la guerre n'est pas un titre de gloire mais une aberration et une honte. Mieux vaut mourir en héros avec les copains que revenir seul survivant comme un baltringue (c'est pas du Homère mais ça pourrait) ; t'as vite fait de passer pour un lâche.
Vous l'avez compris, Pasolini ne s'attache pas à l'épopée du héros mais à son retour, à la déchéance, la fatigue, la honte, l'épuisement et le refus de se battre encore pour l'un, la lassitude d'attendre en vain et la solitude pour l'autre (la dame de l'histoire). Rien d'homérique donc, pas de créatures fantastiques ni de sirènes ensorcelantes, pas de combats sanglants mais un homme et une femme, da ba da ba da, qui s'aiment et brûlent de se retrouver. Et là, lasse de voir ce pauvre Ulysse errer accablé par le remords et le dégoût de lui-même et Penelope se faire saigner les doigts à force d'arracher son ouvrage, j'ai pensé qu'on était dans une romcom. A un moment je me suis crue dans Retour à Nothing Hill ou plus précisément dans Le patient anglais ou Les hauts de Hurlevent puisque Ralph et Juju se retrouvent... et je me suis mise à trépigner, ivre d'impatience, en me mordant les poings qu'ils se tombent dans les bras, s'embrassent et filent dans la piaule que Péné avait scellée dès le départ de son époux. D'autant qu'Ulysse est nu, prêt à l'emploi. Je ne sais pas si elle le fait exprès ou quoi, si elle fait semblant ou bien mais quand ils sont face à face (mets toi dans la lumière que je te vois mieux, enlève ton pagne Ul etc...) elle ne le reconnaît pas. J'avais les poings en sang. Près d'une heure trente que dure la plaisanterie, il va falloir penser à conclure les chéris. Et bien non, ça se tournicote autour, et que je te dis pas qui je suis et que je fais comme si je savais pas qui tu es. Moi mon mec il revient, il dit Bonsoir, je le reconnais direct à la voix, dès qu'il dit Bonsoir, je ne lui laisse pas le temps de me baragouiner que ce monde est cynique, j'interromps le laïus et je lui dis "tu m'as eue sur ton bonsoir" (la preuve en réf. clic).
Et puis... à un moment (action !) Ulysse (nu) dit à Télémaque (parce qu'il faut dire la vérité aux enfants) : je suis ton père Luke. Et l'autre il veut rien savoir, il en veut pas de ce daron en haillons : son père est un héros splendide mort, pas un clodo vivant sans chemise et sans pantalon (à poil quoi), na ! Si la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende c'est pas d'aujourd'hui et c'est pas moi qui le dis, c'est James Stewart ou John Wayne ou la voix off, en tout cas Ulysse, Liberty Valance : même combat !
Pendant ce temps les prétendants complotent, enquêtent, terrifient les paysans, interrogent ces pauvres gens qui essaient juste de survivre en mangeant des graines, s'entretuent, et tout ça torse nu, les six abdos passés à l'huile d'olive garantie AOP et en pagne cracra.
Tout à coup, le rythme s'accélère dans le dernier quart d'heure (le meilleur même si le plus sanglant). Les prétendants en ont ras le paréo de prétendre et Pénélope sentant la colère monter parmi les gars qui se la mettent sur l'oreille depuis 10 ans leur propose une petite compète : celui qui bandera l'arc d'Ulysse que jusque là il était le seul à bander, deviendra son mari. Evidemment les guignols ne parviennent à rien et Ulysse se pointe recouvert d'un plaid (REMBOURSEZ !!!) qu'il retire rapidement (aaaaaaaah !!!) et bande mieux, plus fort et plus droit que tous les charlots réunis.
Ne lisez plus, ça va spoiler.
Cela se termine dans un bain de sang indescriptible car Ulysse doit se débarrasser de tous ceux qui veulent lui piquer sa femme, son trône, son cheval et son royaume. Il les dégomme un à un, à l'arc, au couteau, à mains nues. Il finit arrosé du sang de ses ennemis. Il ressemble à un steak tartare et Pénélope pleure parce que les massacres c'est mal. Avant d'emmener son Ulysse dans la chambre, elle le lave et c'est beau parce qu'Ulysse est nu, tout couturé de plaies, triste comme un héros malheureux, mais au fond de lui heureux comme un italien quand il sait qu'il aura de l'amour et du vin !
Pénélope, c'est notre Présidente Juju nationale, voilée comme pour une cérémonie d'ouverture cannoise, elle porte son masque intemporel de tragédienne pour remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier. Rappelez-vous, le jour elle tisse, je veux dire Penelope tisse. La nuit elle détisse consciencieusement, parfois un peu vénère quand même ("comme même" au cas où des influenceurs de Dubaï me liraient).
Et Ulysse c'est Ralph Fiennes, 62 ans, beau comme une statue grecque fatiguée, surtout quand il bande son arc dans un dernier effort admirable, c'est beau comme l'antique et on dirait qu'il a posé pour être peint sur un vase. Pour ce rôle : "il a suivi cinq mois d'entraînement intense, mais à rebours des codes hollywoodiens. Il a d'abord pris de la masse, puis a perdu du poids et de la tonicité pour donner l’impression d’un corps “sec”, “cassé”. Il voulait que le spectateur ressente les années d'errance et de guerre dans sa posture, son regard, sa démarche. Il a aussi retravaillé sa voix pour qu'elle paraisse plus rauque et usée".
P.S. : vous ai-je dit que Ralph Fiennes (tout petit budget costumes, gros budget basic-fit) est NU ? Et c'est beau, mais punaise, ça se mérite !
Christopher Nolan nous livrera sa version, et sa vison odysséennes en 2026 avec un casting chaud cacao et Matt Damon en Ulysse. Gageons que ça sera plus agité...
Commentaires
Je ne suis pas sûr que Nolan soit le bon réalisateur pour faire mieux.
Comment on dit "qui vivra verra", en grec ancien ? Il faut attendre dix ans de plus ?