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LA PORTE DU PARADIS

de Michael Cimino ******

La porte du paradis”, de Michael Cimino : un western post-classique,  lyrique et désenchanté

ETATS UNIS

Avec Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, Jeff Bridges, Christopher Walken, John Hurt, Sam Waterston, Joseph Cotten, David Mansfield

Depuis que j'ai vu Sirat, plus aucun film ne me tente. Vous me direz qu'une semaine sans aller au cinéma, ce n'est pas la cata. Un peu quand même en ce qui me concerne.

Oui dans mon cas (3 à 5 séances hebdomadaires (et non, je ne vois pas TOUT)) c'est vraiment inhabituel et je me demande s'il est urgent que je consulte. Après un tel film (Sirat) tout semble fade, sans saveur, sans intérêt et tous ceux dont j'ai vu la bande annonce ces derniers temps me donnent l'impression d'avoir vu le film condensé en 3 min. 12. L'histoire du gars qui a un cancer, ne peut prononcer le mot et est interrompu chaque fois qu'il veut annoncer la nouvelle, celle de l'auteure en panne d'inspiration manipulée par son IA, celle du petit garçon dénutri par une mère végane (encore et encore l'hôpital, STOP L'HÔPITAL, je n'en peux plus !), celle de la chasse à l'homme (pourtant j'ai lu le livre qui est très bien), sans parler de l'homme qui a vu l'ours qui a vu l'homme... Je me laisserai sans doute tenter par Taïpei et Israël qui risquent d'être plus percutants... mais pour l'instant je suis en panne d'envie.

Heureusement mon Caméo a eu l'idée géniale et lumineuse de programmer en une seule séance La porte du Paradis de Michael Cimino. Seul un chef-d'oeuvre (et j'emploie rarement le mot je crois) pouvait m'inciter à me déplacer. Le soir en plus, et après une nuit d'insomnie (je vous dis tout).

Si ce n'est l'intervention étrange d'une personne qui a parlé de révisionnisme (à propos du film) sans plus d'explication... (rien compris à son blabla), ce fut une soirée exceptionnelle. J'étais d'abord infiniment ravie de constater que la moyenne d'âge des spectateurs devait tourner autour de 25 ans, que personne n'a bronché et que le silence était impressionnant lors des grandes scènes de tension dramatique. J'en avais moins (d'années) lorsque je suis tombée immédiatement amoureuse de ce film lors de sa sortie en 1980 malgré les critiques rarement aussi monstrueuses que celles qui ont été rédigées à son propos. Et pourtant nous n'avions eu droit qu'à la version tronquée mais déjà considérée trop longue à l'époque. Le film n'a cessé depuis d'être monté, démonté, remonté pour en arriver à cette version de 219 minutes (3 h 39 - director's cut) qui passe en un clin d'oeil et restaurée pour une édition blu-ray somptueuse. J'étais à la Mostra de Venise le 30 août 2012 lorsque le film a été présenté dans sa version définitive en présence de Michel Cimino. Malgré l'ovation et la réhabilitation du film en tant que film majeur de l'histoire du cinéma, Michael Cimino ne s'est jamais vraiment remis de cette bronca.

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L'injustice la plus incroyable, gratuite et imméritée qui soit. Même s'il est reconnu que le réalisateur s'est montré capricieux voire tyrannique pendant le tournage, gaspillant les millions de dollars à détruire et reconstruire des décors par exemple, déplacer et faire attendre les milliers de figurants le bon vouloir d'un nuage idéal et j'en passe.. Quant à Isabelle Huppert qui devait être sur place pour deux mois, elle est restée 7 mois dans le Wyoming. Les "anecdotes" (et pas les plus agréables, des animaux auraient été malmenés) concernant le tournage épique de ce film pharaonique sont nombreuses...

Il n'en demeure pas moins qu'au final, nous sommes face à un authentique chef d'oeuvre. Je ne reviendrai pas là-dessus, c'est indiscutable.

Le revoir une fois encore sur grand écran avec un son correct (la musique est un des personnages du film) est un plaisir et une joie indescriptibles. C'est pour moi un des plus grands, des plus beaux films du monde avec des scènes spectaculaires jamais vues ailleurs, des acteurs qui vous font mourir d'amour, une énergie communicative, un désespoir éprouvant, bouleversant, une réalisation grandiose. Et pour ce film Michael Cimino a pourtant reçu un Razzie Award en 1982 qui distingue le pire réalisateur de l'année, il a ruiné le studio créé par Charlie Chaplin United artists... Le budget qui ne devait pas dépasser 17,5 millions de dollars a atteint 44 millions. Bref la cata totale. Un grand film maudit entre tous, mais pas malade, plein de vitalité et de cinéma au contraire. Mais l'Amérique ne pardonne pas l'évocation d'un épisode peu glorieux de son histoire connu sous le nom de Guerre du Comté de Johnson : l'extermination dans le Wyoming d'une centaine de fermiers immigrants de l'Europe de l'est par une sorte de milice de riches éleveurs soutenue par le gouvernement.

Trente années rassemblées en une fresque somptueuse, lyrique où comment à la sortie de Harvard en 1870, deux amis étudiants aristocrates James (Kris Kristofferson) et Billie (John Hurt) prennent deux voies opposées. On les retrouve 20 ans plus tard, l'un est devenu un riche éleveur, l'autre défend les émigrés démunis des terres qu'ils exploitent. Par ailleurs James et Nathan Champion un beau gars (forcément c'est Christopher Walken) un peu fruste qui n'a pas choisi le bon camp, se disputent l'amour d'Ella une prostituée française (Isabelle Huppert), Billie désabusé boit comme un trou. C'est beau, c'est triste, c'est sublime et la musique est inoubliable ! 

Le prologue décrit la fin d'un monde. Une valse de Strauss, un beau Danube bleu virevoltant comme jamais scelle la fin des études, la remise des diplômes, la fin de l'insouciance. Les couples dansent jusqu'à épuisement, tourbillonnent en cercles, Billie murmure dans un sanglot : "ça y est, c'est fini", prémonitoirement conscient que tout ne sera plus jamais comme avant. D'autant qu'il va rester prisonnier de sa caste et faire le mauvais choix contrairement à James.

On les retrouve 20 ans plus tard dans l'immensité du Wyoming où James devenu shérif du Comté essaie de faire entendre raison aux riches éleveurs et défendre les émigrants qui cultivent leur terre sans qu'on leur donne de titre de propriété. Le conflit vire rapidement à la guerre civile. Les plus riches veulent reprendre ce qu'ils considèrent leur appartenir et font régner la terreur. Cimino aux commandes livre une rhapsodie cinématographique d'une beauté qui transporte et éblouit. Les scènes spectaculaires, véritables morceaux de bravoure, l'épopée trépidante s'imbriquent dans d'autres plus intimistes. Et le romantisme s'invite lorsque James rejoint Ella chez elle au bordel ou qu'ils vont pique niquer au bord d'un étang. Elle ne le fait jamais payer contrairement à Nath. Ils s'aiment et c'est merveilleux. A-t-on jamais vu regards plus tendres et éperdus que ceux qu'ils échangent entre deux rires, deux caresses et deux querelles ? Les moments de douceur et de joie culminent lors d'une scène dans ce western parfois contemplatif lorsque tous les migrants ainsi que James et Ella se retrouvent dans la salle qui porte le doux nom d'Heaven's gate (La porte du paradis) et sert à tout, aux réunions mais aussi à ce bal époustouflant de beauté, de joie et d'énergie comme la fin de l'insouciance où tout le monde danse sur des patins à roulettes. Sans doute l'une des scènes les plus belles, les plus spectaculaires et inoubliables de tout le cinéma mondial. On a envie que jamais elle ne s'arrête. Elle dure très longtemps. Juste avant que toute la ville entre dans une danse euphorisante et libératrice le violoniste patineur, l'exceptionnel David Mansfield (qui fut quelques années le violoniste de Bob Dylan) également compositeur de la musique, donne le rythme. La danse sur patins devient l'exutoire inattendu avant que les drames s'enchaînent en cascade.

Comme dans Sirat, danser pour oublier.

Alors dansons.

Et regardez, moi j'en pleurerais de bonheur :

Puis la salle se vide, il ne reste que James et Ella, les yeux dans les yeux, ils se mettent à valser, seuls au monde comme tous les amoureux. La beauté de ce couple fait presque mal aux yeux. Une leçon de danse et de cinéma.

Une valse avec Kris Kristofferson ce doit être aussi bon qu'un shampoing par Robert Redford...

Regardez encore (c'est un ordre) et prétendez ne pas succomber.

La reconstitution de l'époque, des lieux, des costumes vire au sublime. Cimino a soigné les détails, il est allé jusqu'à trouver des locomotives, des patins à roulettes d'époque. Tout est beau, juste, vrai, splendide. Impossible de citer toutes les scènes qui prennent aux tripes comme celle où James lit aux colons terrifiés les noms sur la liste des hommes à abattre. Pratiquement tous les hommes du comté y figurent et étrangement Ella. Mais aussi l'irruption des mercenaires dans le bordel. Et celle, époustouflante de la bataille finale homérique où les immigrants bien supérieurs en nombre aux mercenaires utilisent une technique romaine pour attaquer leurs ennemis. Comme dans le prologue, on est en totale immersion dans le tourbillon, sauf qu'ici il ne s'agit plus de danser mais de se battre de la façon la plus barbare qui soit.

Quant à l'interprétation, elle est étourdissante. Isabelle Huppert rit, danse, patine, caracole à cheval et dans son charriot. Une battle d'yeux bleus oppose les garçons Kris, Christopher et Jeff. Vainqueur : Kris élégant jusque dans les moments les plus mouvementés, souvent ivre à la recherche de ses bottes, totalement désenchanté, délicat, aimant absolument fabuleux.

J'aime éperdument ce film grandiose, captivant, bouleversant, percutant et inoubliable.

Ce texte est long, j'en conviens et vous serez peu à aller au bout de la lecture mais ce film envahissant ne quitte pas mes pensées depuis que je l'ai (re re re re...)vu. Cela me plaît mais ne laisse pas trop de place pour voir un autre film pour l'instant.

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