SAMEDI 4 OCTOBRE 2014 - 4 mois
C'est compliqué, ou c'est moi ???
A ceux qui me demandent : "comment tu vas ?", je ne sais jamais s'il s'agit de la formule toute faite, toute prête ou s'ils veulent vraiment la version longue. Alors je dis "ça va."
Et puis l'autre jour je suis restée au téléphone pendant 1 h 12 mn (c'est mon interlocuteur qui me l'a signalé à la fin et s'il passe par ici il se reconnaîtra)... et je peux vous assurer que c'est un exploit et que ça ne m'arrive qu'exceptionnellement. Je n'aime pas le téléphone. Je suis bavarde et à l'issue de la conversation, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps. Que ce n'est pas un véritable échange. Bref, quelque temps après m'être souvenu de cette heure 12 mn passée au téléphone, je me suis aperçue que j'avais passé 1 h 12 au téléphone sans que mon interlocuteur ne me demande une seule fois comment je vais ! Et avec le recul, j'en suis quand même un peu choquée, déçue...
Donc vous voyez c'est compliqué. Pour tout le monde.
J'ai parfaitement conscience, et je pense l'avoir déjà dit, que le fait d'être veuve... (ça me fait rire ce mot... le concept aussi !), d'être sans Mouche ne me donne aucun droit sur qui que ce soit et surtout pas le monopole de la souffrance. Tout de même, ça me choque un peu. Et puis il y a ceux qui me disent "ah ben oui, ça ne fait que 4 mois, c'est tout récent". Et je me dis que d'ici peu... 1 mois, 6 mois ??? il faudra que je fasse encore davantage attention à ne plus être trop triste quand je ne serai pas seule. Toute seule, je laisse libre court à ma tristesse. A l'heure où je vous parle, je viens de passer un loooong moment à pleurer. Je recherchais une note dans ce blog et j'ai parcouru (sans les lire) quelques textes de ces trois ans et demi de maladie... et je me dis que finalement, ça a été un putain de parcours, qu'il a souffert comme c'est pas possible et que pourtant je n'ai pas eu l'impression qu'on était moins heureux. Quels efforts il a dû fournir ! Il me suffit de lire le titre de certaines notes pour voir qu'il a eu peu de répit. Que de souffrances !!! Et en ce qui le concerne je pense qu'il était plutôt rare qu'on lui demande "comment tu vas ?" car il a toujours, sauf à de rares exceptions montré un visage souriant et une attitude agréable. Je revois nos promenades à 2 à l'heure, les soirées avec les "ptits" et Bibi, les spectacles avec Salomé. Ses efforts, son courage, un exemple !
Et je me dis que si je vais si bien... c'est que peut-être j'ai profité et que je bénéficie aujourd'hui de ce courage, de cette volonté. Qu'il me les a transmis. Qu'à force de l'observer je me suis imprégnée de sa force moi qu'on pensait et qui pensais être si fragile. Que ces trois années de lutte, de cauchemar, de terreur m'ont endurcie ou préparée alors qu'en même temps je ne comprends toujours pas. Evidemment, je n'ai pas à lutter contre une maladie mortelle, douloureuse, éprouvante, inhumaine. Je suis là, je suis vivante. Je n'ai plus peur de choses telles que la solitude ou la mort. Mais plus que jamais de la maladie.
Je pense que la force et la vitalité de nos souvenirs m'empêchent de sombrer dans la mélancolie, de sombrer tout court. Que j'ai la chance d'avoir des dérivatifs qui me maintiennent à distance de l'abattement : le cinéma "mieux que la réalité" (comme dit Xavier Dolan), ce monde qui m'appartient où le mal n'existe pas (quoi que...). Et puis ma frénésie de travaux pas pour m'occuper comme certains le pensent mais pour que cette maison soit différente tout en restant celle de nos 22 années d'amour, celle que je ne pourrais pas quitter alors que le lendemain de sa mort j'ai dit et j'ai pensé : "je ne vais pas pouvoir rester ici". Car il est partout. J'ai TOUT viré de ce que j'appelais "la chambre des souffrances"... Plus aucune trace de ces longues journées que Mouche passait sans pouvoir sortir du lit. Et puis il y a la lecture, même si j'ai parfois du mal à me concentrer. L'écriture du blog. Et puis les indispensables copines/amies et Baptiste, Amélie, Salomé, Anaël, Bibi, Amaury...
Mais quoique je fasse, où que je sois, Mouche m'accompagne et ce ne sont pas que des mots. C'est la réalité. Il me manque constamment à chaque instant. Je cherche son avis, son approbation, son aide, nos conversations, nos fourires, cette complicité exceptionnelle que je n'atteindrai plus jamais, que je n'aurai plus jamais avec personne, qui a fait qu'on s'était inventé notre propre langage. ça me manque. Il déformait tout, les mots, les expressions et c'était tordant. Il me comprenait, il comprenait mon humour, ma façon d'agir, de "fonctionner" comme nous disions. Et c'est terrible de se sentir à ce point étrangère au monde parfois parce que je n'ai plus personne pour partager cela. Quand on donne tout à quelqu'un, qu'on en reçoit tout, qu'on en attend tout... il faudrait aussi s'entraîner à envisager le pire.
Je me souviens lorsque nous évoquions la mort, je disais : "je t'interdis de "partir" avant moi. Qu'est-ce que je deviendrais sans toi ?", il répondait : "mais tu vivrais !".
Il avait raison, je suis vivante.
Le temps de l'innocence insouciance !