Un homme sauve une jeune femme en train de se noyer dans les eaux limpides et tumultueuses de l'Océan Atlantique en Afrique du Sud. Hasard et coïncidence, il s'agit de l'écrivain alors célèbre Jack Cope et de la poète Ingrid Jonker. Le coup de foudre est immédiat. Ingrid a lu cinq fois le roman de Jack. Elle lui écrit un poème, il n'en revient pas et malgré la différence d'âge l'installe illico avec son bébé Simone dans son bungalow au bord de l'océan. Le milieu intello du Cap des années 60 ressemblerait presque à tous les milieux intellos du monde si l'apartheid ne sévissait dans le pays faisant souvent de ces artistes des personnalités engagées contre le régime. L'idylle idéale des deux amants est de courte durée car Ingrid souffre de traumatismes durablement installés depuis l'enfance. Sa mère est morte, sa grand-mère l'a élevée jusqu'à ses six ans. A la mort de cette dernière elle est retournée vivre chez son père, député du parti national, qui l'installe dans les logements des domestiques. Toute jeune déjà elle écrit des poèmes sur les murs de sa chambre et n'aura de cesse de se faire aimer et de tenter de faire apprécier son travail à son père. Mais, Ministre de la Censure, il ne reconnaîtra jamais ni son travail, ni son talent. Désespérée d'être rejetée, déclarée "épuisante" par ses amants, anéantie par un avortement et les injustices dans son pays, elle sombre peu à peu dans la dépression et malgré ses tentatives pour s'en sortir, dans la folie.
Découvrir grâce au cinéma des personnalités de la littérature mondiale m'attire toujours. D'ailleurs, contrairement à des, je ne suis nullement allergique aux biopics. La personnalité tourmentée et attachante d'Ingrid Jonker doit beaucoup au choix de l'actrice, une des meilleures actuelles selon moi, mais trop rare, Carice Van Houten qui sait effectivement être "épuisante" dans ses exigences et sautes d'humeur et très émouvante dans sa quête toujours inassouvie d'amour. La cruauté avec laquelle son père (Rutger Hauer, formidablement, gratuitement, inutilement méchant) la rabroue et la dévalorise sans cesse est étonnante. Mais il est dommage que la réalisatrice ait accordé tant de place aux épisodes amoureux de la poète même s'ils sont fondateurs de son oeuvre, délaissant son côté fortement engagé. Elle était une opposante au régime en place, défendait les droits des noirs et des femmes et c'est à peine évoqué ici. On la voit effectivement s'effondrer devant le meurtre perpétré sous ses yeux d'un enfant par les policiers blancs lors d'une manifestation. Cela occasionnera chez elle des nuits sans sommeil et l'écriture de son poème "L'enfant n'est pas mort" que Nelson Mandela lira lors de son investiture en 1994.
Reste la présence de deux acteurs magnifiques. Carice Van Houtten donc, belle et indomptable mais fragile. Et Liam Cunningham dont il faut enfin l'imagination d'une réalisatrice qui a vu qu'il pouvait être autre chose qu'un activiste de l'IRA mais aussi un bel homme séduisant et intellectuel.