UN SINGE EN HIVER
d’Henri Verneuil ****
Il faut dire que les deux pochards ici présents élèvent la biture à un niveau artistique qui enivre !!! Et le singe égaré, comme on en rencontre en Orient au moment des premiers froids, c’est Jean-Paul Belmondo qui confirme la révélation qu’il fût dans « A bout de souffle » et tient toutes les promesses de l’acteur majuscule qu’il a toujours été. (Ah oui, j’aime Belmondo, le saviez-vous ?).
A force de voir et revoir ce film… l’histoire passe carrément au second plan (pourtant elle est belle et forte) et je ne vois plus que la rencontre de deux acteurs-monstres sublimes et d’un dialoguiste hors pair qui leur a mis en bouche une avalanche de répliques cultes qu’ils savourent et nous servent avec délectation. L’un vieillissant, Gabin, qui n’a pas eu son compte d’imprévus, « j’en redemande » hurle t’il, et semble passer le flambeau à l’autre, Belmondo, admirable. Il le prend sur son cœur : « dans mes bras fils, tu es mes vingt ans ! ». La tendresse et l’admiration que ces deux géants se portent sont palpables à l’écran.
Le mieux pour vous redonner l’envie d’avoir envie est d’entendre ceci :
« Depuis qu’il a arrêté de boire, il a viré sournois ».
« Le picon bière, ça pardonne pas. C’est de ça que mon pauvre papa est mort ».
"- Oui monsieur, les princes de la cuite, les seigneurs, ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qu'ont toujours fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients, ils vous laissent à vos putasseries, les seigneurs. Ils sont à cent mille verres de vous. Eux, ils tutoient les anges !
- Excuse-moi, mais nous autres, on est encore capables de tenir le litre sans se prendre pour Dieu le Père.
- Mais c'est bien ce que je vous reproche. Vous avez le vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond vous méritez pas de boire. Tu t'demandes pourquoi y picole l'espagnol ? C'est pour essayer d'oublier des pignoufs comme vous. »
« Je ne vous apprendrais rien en vous rappelant que Wang Ho veut dire fleuve jaune et Yang Tse Kiang fleuve bleu. Je ne sais si vous vous rendez compte de l'aspect grandiose du mélange : un fleuve vert, vert comme les forêts comme l'espérance. Matelot Hénault, nous allons repeindre l'Asie, lui donner une couleur tendre. Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde ! »
Et puis à la toute fin Albert et Gabriel se séparent dans un train pour ne plus jamais se revoir sans doute : une poignée de mains, le sourire ému de Belmondo, le regard attendri du jeune pour le vieux… et la dernière image emplie de la détresse de Gabin, seul sur le quai…
… « et le vieil homme entra dans un long hiver ».
Un miracle qui vous fait descendre le Yang-Tsé-Kiang et voir Manolete !
Albert : « A la gloire des fusiliers marins d'Extrême-Orient !
Gabriel : A Manolete ! Tué à Linarès par le taureau Isleiro ! »
En résumé, le bidule crée le bidule.
Je vous dis : MAGIQUE ! Tchin.