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  • FLIGHT de Robert Zemeckis **

    Flight : affiche

    Quelques instants avant de décoller pour un vol court de routine d'à peine une heure, le pilote Whip Whitaker termine son week-end de beuveries, de sexe et de cocaïne par une petite "ligne" censée le remettre sur pieds. Et c'est le miracle, alors qu'il vacillait, la précieuse poudre blanche lui donne un coup de fouet. Dans son costume prestigieux de commandant de bord il rejoint son avion de sa démarche chaloupée. Mais loupe, signe du destin, la première marche de la passerelle. La charmante jeune femme qui a partagé ces quelques jours de débauche n'est autre qu'une des hôtesses du vol. Malgré une météo désastreuse et un co-pilote inexpérimenté (et inquiet) par l'état de son commandant, l'avion décolle, franchit une zone de turbulences de grande amplitude pour se stabiliser au-dessus des nuages. Tout n'est que joie et satisfaction et le pilote s'endort. Brusquement c'est l'avarie et l'avion dégringole en piqué vers une zone d'habitations. Whip se ressaisit et parvient avec un calme et une maîtrise exemplaires à faire attérir l'engin dans un champ. Sur la centaine de personnes, passagers et équipage, seules 6 trouvent la mort. Un moindre mal. Whip blessé est porté triomphalement en héros jusqu'à ce que les analyses toxicologiques révèlent plus de 2 grammes d'alcool dans le sang et autres substances illicites. Il devra donc faire la preuve devant un tribunal que c'est l'état de l'avion et non le sien qui est responsable de l'accident !

    Il y a de très bonnes choses et d'autres beaucoup moins qui laissent forcément un arrière goût de semi réussite et donc de semi ratage.

    Les plus :

    - Le crash. Pendant de longues minutes, le spectateur est dans l'avion et le plus souvent dans le cockpit. Alors que les moteurs crament un à un, Denzel/Whip imperturbable et efficace réalise l'exploit de retourner l'avion pour lui permettre de planer, puis de le retourner à nouveau et d'attérir sur le ventre en limitant les pertes. Zemeckis s'y connaît en crash d'avions. Celui de Seul au monde était déjà une réussite super flippante. On en mène vraiment pas large dans notre fauteuil qui ne bouge pas.

    - Les deux apparitions de John Goodman en pourvoyeur rock and roll de substances illégales. Ce type, cet acteur génial est un effet spécial à lui tout seul et tant pis s'il n'est pas un exemple pour les enfants !

    - Le mélange des genres savamment orchestré : film catastrophe, film de procès avec "coupable" récalcitrant, étude psychologique, rédemption.

    - L'interprétation subtile de Denzel Washington. Il exprime toutes les ambiguités de son personnage de héros défaillant, pas forcément sympathique, avec un génie incontestable. Menteur, addict, pétri de doutes mais résolu à s'en sortir, son jeu est vraiment impressionnant.

    Les moins :

    - Le personnage de Kelly Reilly en junkie repentie et sa rencontre providentielle à l'hôpital avec Whip. Inutile et invraisemblable, ce personnage coupé au montage aurait réduit le film de la demi-heure de trop. Quant à l'actrice, si elle est d'une beauté indiscutable, son jeu se limite exclusivement à pincer les lèvres.

    - La scène d'hôpital dans l'escalier où un cancéreux au stade terminal fume ("mon cancer va attraper le cancer" ah ah ah !) et se pose en prophète sur l'avenir de Whip et la Junkie ! Ridicule.

    - La femme et le fils du "héros" forcément hostiles à toute tentative de réconciliation.

    - ET SURTOUT : les bondieuseries qui jalonnent tout le film. Dieu présent partout et toujours. Le prêchi prêcha est insupportable au point qu'on ne parvient plus à comprendre si le réalisateur cherche à faire la critique ou l'apologie de la religion. J'ai parfois eu la sensation d'être face à un film catho intégriste. La seule défense de l'avocat en devient même "il faut faire valoir que cet accident est la volonté de Dieu", et le seul bâtiment détruit, le clocher d'une église. J'avoue que l'agacement de toute cette religiosité ambiante m'a vrillé les nerfs tout comme l'acte de contrition larmoyant final.

  • WADJDJA de Haifaa Al Mansour ***

     Wadjda : affiche

    Wadjda serait une petite fille de 12 ans comme les autres si elle ne vivait dans la banlieue de Riyad en Arabie Saoudite. Cette petite sauterelle délurée écoute du rock à fond les manettes dans sa chambre, porte des Converse au lieu des petits escarpins noirs tellement plus convenables et rêve de posséder le beau vélo vert qu'elle a vu voler (bel artifice que seul le cinéma peut offrir) pour faire la course avec son petit copain du même âge Abdallah. Mais une fille sur un vélo dans ce pays est une hérésie. Imaginez un peu quelle insulte ce serait à la vertu d'une fille "bien" ! Pourtant Wadjda est une mini rebelle avec mille causes et elle va affronter bien des difficultés (un concours de récitation coranique) pour parvenir à s'offrir ce cadeau.

    On sort de ce film ébloui et en colère. Ebloui par tant de finesse, d'intelligence et d'optimisme. En colère de découvrir une nouvelle fois le sort réservé aux femmes dans certains pays au nom de lois archaïques et de soi-disant textes totalement interprétés, déformés, trahis. Je découvre par ailleurs et abasourdie que dans ce pays un prédicateur vaseux préconise que les petites filles dès 2 ans sortent le visage entièrement couvert pour ne pas exciter ces messieurs. Vous avez bien lu : DEUX ANS !!! On croit rêver !

    Haifaa Al Mansour est une femme, la première à réaliser un film dans son pays, sur son pays. Elle dit : "L'Arabie Saoudite est un pays sans salle de cinéma et qui proscrit le cinéma". Et pourtant, elle réussit l'exploit de faire ce beau film sans colère ni provocation mais qui finalement apparaît comme le film le plus féministe vu depuis longtemps. Quelle petite fille rêverait encore d'un vélo dans nos contrées ? Quelle femme chercherait encore à séduire son mari qui s'apprête à épouser une seconde femme ? Les femmes sont voilées. Que dis-je les femmes ? Les petites filles, et dès leur plus jeune âge. Et si des ouvriers les observent du haut d'un toit dans la cour de récréation, c'est à elles de se cacher ! Quand elles ne sont pas mariées dès l'âge de 12 ans comme cette petite camarade de Wadjda qui continue néanmoins d'aller à l'école. Les femmes acceptent ce sort d'être toujours celles qui doivent se sacrifier, se cacher, accepter. Si elles sont surprises, comme cette adolescente qui voit un garçon en cachette, elles sont dénoncées, rejetées, mises au ban. Wadjda, victime elle aussi d'une injustice sans nom lors du fameux concours, remettra vertement à sa place la si vertueuse directrice de l'école qui donne tant de leçons de moralité mais n'applique pas pour elle-même ses enseignements.

    Wadjda ne manque par ailleurs ni d'humour et surtout pas d'audace et je vous encourage vivement à voir cette perle qui fait mal et qui fait du bien.

  • DANS LA BRUME de Sergeï Loznitsa ***

    Dans la brume : affiche

    Sushenya est un géant, un colosse blond, une véritable force de la nature au physique impressionnant. Mais il est aussi doux comme un agneau. Bon mari, père attentif. En cet hiver 1942 les nazis ont envahi la Biélorussie. Trois compagnons d'infortune de Sushenya accusés de terrorisme sont pendus alors qu'il est relâché sans explication. Il n'en faut pas plus à la Résistance pour faire de Sushenya un traître, un collabo, un coupable. Deux hommes, Burov et Voitik chargés de l'abattre viennent le chercher. A leur grand étonnement, il est chez lui tout simplement. Car Suchenya n'a pas fui, persuadé et conscient que toute sa communauté, et pire que tout, sa femme doutent de lui, le considèrent comme coupable. Sushenya suit ses deux boureaux sans résistance dans la forêt. Ils le contraignent à creuser lui-même sa tombe mais au moment de tirer, les trois hommes sont attaqués par des miliciens. Des russes portant l'uniforme de la Wermacht ! Burov est grièvement blessé et au lieu de s'enfuir, Suchenya va lui porter secours. S'ensuit une longue, lente et cruelle traversée de la forêt pour tenter de trouver de l'aide pour le blessé, qui s'apparente à une douloureuse descente aux enfers. Un chemin de croix éprouvant pour Sushenya forcé de porter son compagnon sur son dos.

    La forêt sublime et inquiétante est un refuge. Difficile de se faire repérer dans un endroit aussi dense. Elle est aussi un tombeau. Impossible d'en sortir ou de s'en éloigner sans attirer les tirs de la milice ou des allemands. Le calvaire et la souffrance des trois hommes sont une épreuve telle, que le froid et l'humidité semblent parfois traverser l'écran. Peu de dialogues, pas de musique, juste le bruit des pas, de la respiration, le bruissement des branches, le craquement des pas dans la neige. Quelques conversatoins et quelques flash-backs qui expliquent et démontrent ce dont le spectateur ne doute à aucun moment, Sushenya n'est pas seulement innocent de toute faute, c'est aussi un homme bon, meilleur que la plupart des humains. Son calvaire en est donc d'autant plus insupportable et bouleversant. L'acteur, dans un état de sidération impressionnant qui fait place à un désespoir sans fond offre une composition déchirante et subtile. Cet homme est au-delà de la résignation. Il endosse et endure la culpabilité de celui qui a survécu, la douleur insurmontable d'être l'objet de  la suspicion de la part de sa femme et de ses compagnons. Ne pas avoir été pendu avec les autres devient une honte suprême au point d'appeler la mort comme une libération.

    Ce film n'est donc pas une promenade de santé, mais il est d'une beauté saisissante et les images de cette forêt amie et ennemie et de cet acteur bouleversant restent imprimer longtemps dans la rétine. Lorsque la brume envahit totalement l'écran, on est étonné que toute cette langueur, cette lenteur, cette innocence côtoient avec tant d'évidence l'horreur et la barbarie.