L'ÉTRANGER
de François Ozon ***(*)
FRANCE
Avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Swann Arlaud, Denis Lavant, Jean-Charles Clichet
Meursault, modeste employé discret à Alger en 1938 se rend aux obsèques de sa mère.
Il la veille une nuit, s'endort, fume, boit un café, ne verse pas une larme et l'enterre le lendemain. Il retourne à ses rares occupations, va à la plage, entame une relation avec Marie qu'il avait rencontrée quelques années plus tôt, observe sans réagir son voisin Salamano battre son chien, écoute les récits de son autre voisin (et ami ?) Raymond Sintes (interprété par Pierre Lottin qui avec sa gouaille de poulbot semble droit sorti d'un film des années 30, réincarnation d'une petite frappe à la Julien Carette ; il est parfait). Ce Sintes, petit voyou proxénète, entend se venger de sa maîtresse (une prostituée) qui refuse de se soumettre à sa volonté. C'est par Sintes que le malheur va s'abattre puisqu'il va entraîner Meursault dans ses affaires louches.
Ma lecture du roman de Camus remonte à l'adolescence. Je revois encore la couverture blanche de l'édition poche avec le dessin d'un gros soleil jaune et la silhouette imprécise d'un homme. Je ne pourrai donc dire (d'autres s'en chargent) si le film est fidèle ou s'il trahit l'oeuvre. Mais j'ai le vague souvenir d'un rythme à la fois lent et soutenu et du soleil qui cogne et qui rend dingue. Le film est lui aussi écrasé de soleil et lors de son procès, Meursault, toujours étrangement ailleurs comme s'il assistait au procès d'un autre, ne prononcera que quelques mots : "c'est à cause du soleil". Car oui, on le sait dès les premières minutes du film, Meursault a tué un homme et à la question d'un des détenus qui partage sa cellule et lui demande pourquoi il est là, il répond sans gêne, sans honte et sans peur "J'ai tué un arabe". A ce titre, Ozon nous prend presqu'à rebrousse-poil en remplaçant l'incipit fameux "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas" par les premiers mots prononcés par Meursault ; ce laconique "j'ai tué un arabe". Dans la bouche et l'esprit de Meursault cela pourrait tout aussi bien être un français, un chinois ou un insecte. Cet homme n'éprouve rien et c'est curieusement cette absence totale d'émotions qui sera au centre de son procès comme si le fait de n'avoir pas pleuré à la mort de sa mère le rendait encore plus coupable de son meurtre. "Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort" a dit Camus dans une interview. Il applique cette certitude à la lettre et lorsqu'on demande à Meursault s'il éprouve des regrets ou des remords pour son acte odieux, il affirme, toujours calme et détaché qu'il ne ressent aucun regret mais de l'ennui.
Avec son noir et blanc magnifique, Ozon suggère parfaitement la chaleur qui s'est abattue sur la ville blanche. Le racisme latent des français installés là et ne s'intégrant absolument pas à la population des "indigènes" comme ils les nomment est omniprésent. Mais le plus admirable est de réussir à scruter et à rendre réel le tempérament d'un homme qui, sans explication est totalement absent au monde et aux êtres qui l'entourent. On se demande pourquoi Marie, la jeune femme qui l'aime reste attachée à cet homme qui ne dit jamais rien mais répond sans détour dès qu'on lui pose une question. Peut-être trouve-t-elle une sorte de mystère dans ce comportement et ne voit-elle pas à quel point cet homme est vide. Elle semble même l'admirer d'être incapable de mentir. Même si c'est pour s'entendre dire des horreurs, que l'amour et le mariage qu'elle réclame ne signifient rien, que cela n'a aucune importance. Si on ne lui pose pas de questions, il ne dit rien, prétend n'avoir rien d'intéressant à dire et préférant se taire que de dire n'importe quoi. On l'admirerait presque en effet pour cette espèce de tact. Tant de gens parlent pour ne rien dire.
Le détachement nihiliste de Meursault est admirablement incarné par Benjamin Voisin et l'on peut saluer la performance intense de l'acteur qui est un garçon plutôt bavard et agité de rester silencieux et calme pendant la plus grande partie du film. L'acteur est amoureusement caressé par la caméra du réalisateur et je n'ai aucun souvenir que le personnage du roman de Camus soit aussi beau. On peut également s'étonner au moment du meurtre de voir Meursault troublé par la beauté de sa future victime alanguie sur la plage. La caméra insiste alors sur une goutte de sueur qui perle à l'aisselle du jeune homme. Je n'ai pas non plus le souvenir de cette dimension homosexuelle dans le roman. J'en saurai plus quand je l'aurai relu. Mais il suffit du reflet du soleil sur une lame et la main posée sur la gâchette du revolver confié un peu plus tôt par Sintes pour que l'équilibre du monde bascule.
Je n'ai également aucun souvenir de la dimension coloniale de l'oeuvre écrite. Ici Ozon nous offre un petit récapitulatif de l'époque par le biais d'actualités et contextualise la période. Mais Meursault s'ennuierait autant ailleurs, même à Paris qui fait tant rêver Marie, que lui trouve sale et que les gens y sont blancs. Même lorsque son patron lui offre une promotion et un avenir, il les rejette. Rien ne l'atteint, rien ne l'émeut, rien ne l'intéresse. Ce n'est que lorsque l'aumônier (Swann Arlaud toujours juste) de la prison lui rend visite et tente de le convertir et surtout lui assure qu'il priera pour lui que Meursault sort de ses gonds. Il refuse toute repentance, affirme encore que rien n'a d'importance. Et enfin dans un flot incontrôlable de paroles il devient brusquement éloquent. Les certitudes du prêtre basées sur la promesse future d'une vie éternelle s'opposent à la certitude nouvelle de Meursault, la seule réaliste : il va mourir. J'ai trouvé cette scène admirable.
Et avec les jours qui passent, ce film au personnage tellement énigmatique et froid me semble envoûtant.

Commentaires
Meursault sort de ses gongs ? Tu es sonnée ma parole ! Ça doit être à cause du soleil.
Au moins yena un qui lit :-))))
Pas de dimension sexuelle dans le roman en effet, mais Ozon l'est et je trouve d'ailleurs qu'il instille de plus en plus d'élément gay dans ses films depuis quelques temps. Mais sinon le NB et l'esprit est fidèle à l'époque, j'ai pensé à "Pépé le moko" (1937) de Julien Duvivier avec Gabin...
Moi aussi j'ai pensé à Pépé le Moko notamment dans les scènes de rue et avec le personnage de Pierre Lottin (formidable).
Je suis d'accord les allusions homos sont un peu "relous".
Très beau film avec superbes images.. Même tourné à l'étranger, le film rend bien l'atmosphère du pays. Je me croyais la bas.
Dernière scène entre Meurseult et le prêtre m à moins convaincu (mais j'ai toujours un peu de mal avec Swann Arlaud).. Mais Pierre Lottin parfait.
Avant de rentrer en France j'ai laissé dans un arbre à lire à Alger La peste, L'étranger et Le petit Prince (rien que la dédicace est déjà belle) ... Espère ils trouveront preneur !